Massacres à Marseille : comment les caïds contrecarrent le pilonnage<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers enquêtent près du lieu de la fusillade où deux hommes ont été abattus dans une épicerie à Marseille.
Des policiers enquêtent près du lieu de la fusillade où deux hommes ont été abattus dans une épicerie à Marseille.
©BERTRAND LANGLOIS / AFP

Lutte contre le trafic de drogue

Au lendemain d’une nouvelle fusillade à Marseille dans la cité la Paternelle, qui a coûté la vie à un homme d’une quarantaine d’années exécuté à proximité d’un point de deal, Gérald Darmanin a déployé une unité d’élite, la CRS 8. En trois semaines, quatre morts et au moins autant de blessés seraient directement liés à la guerre que se livrent plusieurs barons qui tentent de prendre la main sur les trois points de vente de drogue très rentables du quartier.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Depuis la nuit du nouvel-an, "Pas un jour sans fusillade ou nouvelle victime des trafics de drogue", sanglote la presse locale. En jeu, le contrôle d'une zone hors contrôle et supermarché des stupéfiants à ciel ouvert ("four") : La Paternelle (14e) - "La Pater", en jargon local. Les morts et blessés graves s'entassent - d'autant qu'un jeu clanique d'alliance-haines entre gangs de cités jette dans la danse les pires de Marseille 15e : Cabucelle-Cité des Tourmarines, Conso­lat, Bassens, Parc Kallisté, les Arnavaux ... De là, par friction diraient les physiciens, jusqu'aux Micocouliers ("Les Micou", 14e), la Belle-de-Mai et Félix-Pyat (3e).

Était-ce prévisible ? Oui : voici 25 siècles, Thucydide, signale déjà cette contagion guerrière ("De cité en cité, la guerre civile étendait ses ravages...", La Guerre du Péloponnèse). Mais la culture classique manque peut-être aux préfets de police. Guerre si féroce à La Pater' que ses "champs de bataille" deviennent localement aussi célèbres que ceux de 14-18 ("Chemin des Dames") : Plan du Bas "La Fontaine", Plan du haut, "Vieux-Moulin" et "Le Maga".

Pour les habitants du lieu, c'est l'horreur : sol jonché de douilles de fusils d'assaut... fusillades de nuit, fenêtres explosées par les balles et voitures criblées d'impacts - voire, jets de gre­nades. Au sol, des cadavres "connus de la police". Aux "Micou", "Les habitants ont peur des balles... Ils n'osent plus sortir de chez eux"... À La Belle-de-Mai, des médiateurs conduisent les gens "aux courses, en visite médicale, acheter le pain... Ils ont peur des balles, il y a du sang partout, c'est triste..."(témoignage).

Pourquoi tant de violence gémissent les médias, quand la cité X ou Y était "en cours de réno­vation par son bailleur social" ? Simplement, parce que le problème n'est pas là.

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- D'abord, les avocats des caïds en guerre leur disent quoi craindre ou pas. Premier inoffensif - limite sympa - M. Dupond Moretti. Ces avocats de voyous ont scruté son entretien dans la Provence du 6 février, intitulé (Par antiphrase) "On va tout se dire de manière franche" : "D'ici 2027... Je veux déconcentrer... être à l'écoute du terrain... que l'on puisse se dire... tout faire pour... J'y travaille... je pense aux justiciables... J'ai envie d'annoncer vite... " Conclusion : "L'humanisme n'est pas l'angélisme". Soulagé, l'avocat annonce au caïd : incantations, ver­biage creux - rien à craindre, vas-y. Autre joie pour ces avocats : l'effroi manifeste de la préfète de police devant des caïds n'ayant "nul respect pour la vie humaine" et "peu de considération pour tous ces jeunes qu'ils emploient".

- Ensuite, ces supermarchés de la drogue rapportent des fortunes : La Pater' tourne 7/24 et rapporte 60 000 euros/jour - 100 000 certains week-end. Pourquoi perdre ce bel argent quand en face, la justice rêve et la police s'épuise à vider la mer à la cuiller ? Classiquement, ces caïds se sont adaptés au "pilonnage". Voici comment, disent des policiers et magistrats de base :

. Commandes en ligne et livraisons à domicile, sur des sites et réseaux sociaux criminalisés (type Uber-Shit) ; pour le hasch comme pour le crack ("cocaïne basée"), etc.

. Usage de guetteurs ou vendeurs ("charbonneurs") mineurs ou clandestins ; des filles de 14 ans "charbonnent" désormais à Bassens et à la Pater'.

. Extension de la guerre à tout Marseille (La Capelette, Marseille 10e). Un adjoint au maire lo­cal : "Nul quartier à Marseille n'est épargné".

. Intimidation des comités de quartiers, pour qu'ils exigent le retrait des blocs de béton gênant l'accès aux "Drive" des stups. En Juillet passé, en mode "on va voir qui commande ici" la pré­fète de police fait poser (devant les médias) de lourds obstacles au bas de la Pater' - retirés en douce fin octobre, du fait de "plaintes d'habitants pour leur sécurité".

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. Durcissement des gangs : filières séparées par drogues... cloisonnement strict... logistique par unités inconnues les unes des autres... rotation rapide des "nourrices", etc.

. Patrouilles policières manipulées par les guetteurs qui les orientent sur les rivaux. Dans leur jargon : "On crie pas les civils quand ils montent au Maga".

. Férocité accrue : 65 fusillades en 2022... assassinats à jet continu... ("adolescent battu à mort") etc. D'où pas de témoins, les quartiers sont muets.

Cette riposte oblique des caïds contrecarre-t-elle efficacement le pilonnage ? Oui, car s'il était efficace, les prix des drogues exploseraient - or ils stagnent, voire baissent (dernières données officielles, la cocaïne sous les 80 euros le gramme en moyenne).

Concluons par un avis à M. Darmanin, désormais muet sur Marseille : dans le combat, un gé­néral effrayé par l'ennemi doit être remplacé au plus vite - règle intangible ainsi énoncée par Clausewitz : dans la bataille, "les erreurs dues à la bonté d'âme sont précisément la pire des choses". Affronter le crime n'est ni une af­faire d'"humanisme", ni d'effroi devant des caïds en­voyant au massacre des lascars de cités. Il s'agit juste d'arrêter des malfaiteurs et les traduire à une justice sanctionnant fermement leurs crimes - seule chose qu'ils craignent.

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