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Massacre à la Préfecture de Police : le vertige face à l’ampleur des fautes accumulées par les autorités
©MARTIN BUREAU / AFP

Déni du réel

S'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les motivations de l'auteur de l'attaque au couteau à la préfecture de police, le profil du suspect, converti à l'islam et semble-t-il signalé à sa hiérarchie pour radicalisation, pousse à envisager la thèse terroriste.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Un agent administratif de la préfecture de police de Paris a agressé au couteau plusieurs de ses collègues jeudi 3 octobre, tuant quatre personnes avant d'être abattu par un fonctionnaire de police. Le parquet antiterroriste a été saisi de l'enquête. S'il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les motivations de l'auteur de l'attaque au couteau à la préfecture de police, le profil du suspect, converti à l'islam, pousse à envisager la thèse terroriste. Dans l'hypothèse où la piste de l'attentat terroriste serait retenue, comment expliquer que les services de renseignement n'aient pas pu identifier les pistes d'un passage à l'acte ?

Xavier Raufer : Vanité des entreprises humaines... Tout débutait si bien: la meute média-antifa aux trousses d'Éric Zemmour... L'amorce d'un dialogue détendu-convivial sur l'immigration lancé par l'Élysée. Soudain, le vrai monde anéantit tout cela avec fracas. Car si la moitié de ce qu'on lit sur la tuerie de la Préfecture de police est vrai - nous y revenons - la sécurité de la France, la confiance des Français en leur État, seront gravement affectés. Le philosophe Clément Rosset édicta naguère que "la réalité est insupportable, mais irrémédiable": nous y voilà.
Résumons : un individu depuis dix ans fasciné par l'islam... converti depuis deux ans peut-être... habilité au secret-défense... niché au cœur informatique du service opérant le renseignement d'une capitale mondiale majeure... Aussi: on ne compte plus les missions ultra-sensibles récemment confiées à la DRPP, de par sa taille réduite, son étanchéité et son esprit de corps. Les dégâts potentiels sont vertigineux.

Alain Rodier : Comme d'habitude dans ce type d'affaire, il convient de rester extrêmement prudent car les jours à venir vont certainement apporter d'autres informations.  Il n'empêche que le parquet national antiterroriste (PNAT) s'est saisi de l'affaire le 4 octobre après-midi. Les policiers possèdent donc des informations nécessaires qui font suite aux perquisitions effectuées, à l'analyse de(s) ordinateur(s) et des téléphones du "suspect" (en termes juridiques, c'est  la qualification qui doit être retenue à l'égard de Monsieur Mickaël Harpon impliqué dans ces meurtres) et aux réponses données par son épouse actuellement en garde à vue (ce qui est une mesure tout à fait normale au regard du Droit) et par des proches.

Cette  affaire entre dans le cadre d'"assassinats et tentatives d'assassinat sur personnes dépositaires de l'autorité publique en relation avec une entreprise terroriste" et "association de malfaiteurs terroriste criminelle". Ce sont ces deux dernières qualifications qui ont obligé le PNAT à se saisir de l'affaire qui, à l'évidence ne dépend plus du droit commun. Il semble que l'autorité politique aurait souhaité qu'il en soit autrement mais la justice est indépendante en France. La deuxième qualification est inquiétante car elle sous-entend qu'il n'était pas seul. Il est en particulier question d'au moins une connaissance qui l'accompagnait parfois à la prière.

Ce fonctionnaire né à Fort de France servait depuis 2003 comme adjoint administratif (agent de catégorie C) au sein du au service technique de la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). Il n'avait jamais attiré défavorablement l'attention de sa hiérarchie quant à sa conduite. Il a certainement été l'objet d'une enquête de sécurité au moment de son recrutement (en 2003) puis d'un suivi épisodique pour proroger ses habilitations au secret défense (tous les cinq ans).

Sa conversion à la religion musulmane ne constituait pas un acte délictueux et, jusqu'à plus ample informé, il ne fréquentait pas des lieux de culte salafistes incubateurs d'activistes - même si fort heureusement, ils ne passent majoritairement pas à l'acte -. Non seulement dans son cas avec les éléments connus, il n'y avait pas matière à enquêter plus avant, mais si cela avait été le cas, cela aurait pu être assimilé à du "harcèlement" et à de l'"islamophobie". La hiérarchie de l'administration - quelqu'elle soit - a très peur de se retrouver dans cette position face aux influents intellectuels qui n'attendent que ce prétexte pour intervenir dans les medias dans le seul but d'affaiblir l'Etat.

Cela dit, l'enquête en cours aurait prouvé qu'il s'était converti en 2008 et pas il y a 18 mois comme cela avait été annoncé précédemment. Si ce fait est confirmé, cela prouverait qu'il pratiquait la Taqiya (l'art de la dissimulation surtout en usage chez les chiites mais méthode reprise par les salafistes) à l'évidence pour cacher sa conversion à son environnement.  

De plus, il semble qu'il avait préparé son coup au dernier moment ayant acquis le couteau de cuisine en céramique qui a servi à ces assassinats le matin même de son action. Son épouse aurait affirmé qu'il aurait proféré des propos incohérents la nuit précédant son passage à l'acte. Bien sûr, il convient de laisser l'enquête confirmer ou infirmer ces premiers éléments pour en tirer plus de conclusions.  

Connaît-on l'ampleur de la radicalisation au sein les services de l'Etat ? Comment peut-on lutter contre cette menace ?

Xavier Raufer : Quand vos chefs prônent le politiquement-correct ; quand cent stages vantent l'idéal du vivre-ensemble et l'horreur de la discrimination ; quand toute blague déclenche la foudre ; s'inquiéter d'un collègue infirme et Antillais est ardu. Preuve, la réaction de l'État : le piteux Castaner bredouille que tout est normal et une péronnelle de la présidence suggère d'éviter les amalgames. Quand ces réactions émanent du sommet d'un État fort pyramidal, sa base évite tout propos malsonnant - comment lui donner tort ?
Second point majeur. On lit que l'assassin était "signalé" depuis 2015. mais signalé par qui ? Et vers qui ? En 2015, l'ambiance était électrique entre la direction de la DGSI et celle de la DRPP, pour affaires touchant à la françafrique. Que s'est il alors passé - ou pas passé, plutôt ? Il serait judicieux d'aller y voir de près.
Dernier point : Macron a fondé la coordination du renseignement : bien. Or depuis, sous l'empire de la nécessité - protéger le président de ses "affaires"... ambitions pseudo-savantes sans vrai contenu... la coordination semble oublier ses fondamentaux, dont celui-ci : coordonner est bien s'il s'agit d'un tout étanche et cohérent - ce n'est pas le cas, on l'a vu.
Brutal résultat – le protocole de la médecine d'urgence vaut pour le renseignement : toujours envisager le pire. Nul catastrophisme, mais seul moyen de sauver le patient. Et si M. H. était une taupe islamiste ? Qu'a-t-il transmis et à qui, des bases numériques de la DRPP ? Y a-t-il logé un logiciel-malveillant, cheminant ensuite - vers où ? On imagine la réaction des services alliés. Au pire, tout ou partie de l'informatique de la DRPP est à revoir.

Alain Rodier : Les services de l'Etat sont à l'image de la nation. Les chiffres varient car les statistiques officielles restent interdites mais il y aurait entre 7 et 10% de musulmans en France. Le chiffre devrait être logiquement le même au sein de l'administration. Cela dit, seule une infime partie des musulmans adhère aux thèses extrémistes des salafistes-djihadistes qui puisent leur inspiration sur les sites spécialisés (que décidément la puissance publique a bien du mal à entraver).

En France, il existe aussi d'autres versions de l'islam sunnite qui ne prônent pas la violence comme le mouvement tablligh et les Frères musulmans. Le cas des salafistes dits quiétistes pose question car c'est dans leurs rangs que les salafistes-djihadistes viennent recruter de nouveaux adeptes. Les activistes n'ont pas besoin d'être très nombreux pour être dangereux. C'est d'ailleurs la caractéristique des mouvement terroristes : quelques activistes bien formés valent mieux que des gros bataillons facilement repérables.  

Alors que l'on est focalisé sur les "revenants" de Syrie et d'Irak, ce type d'attaque interroge. La menace vient-elle davantage de vétérans du djihad ou des radicalisés sur le sol français, notamment les convertis ?

Xavier Raufer : On l'ignore - même, on aggrave les choses. Un exemple inquiétant. Pour grappiller quelques sous, l'Intérieur externalise la réparation de ses véhicules, camions de CRS, etc. Or dans leurs garages, les mécaniciens de la police voient ces sous-traitants chercher les véhicules à réparer. Parfois, des barbus portant au front la zebiba, tache noire du prosterné en prière. Voilà à qui on confie les camions des CRS.

On détecte ainsi des sots trop voyants, mais de longue date, les durs des Frères musulmans et les salafistes disposent de fatwas leur permettant de se raser et porter costume-cravate pour infiltrer les structures infidèles. Quand ils l'ont pu dans le monde musulman, ils ont infiltré les centres d'éducation : leurs recrues savent se planquer. En Turquie, on voit le mal qu'a  Erdogan à éradiquer la secte islamiste de Fetullah Gülen de l'administration et l'armée.

Alain Rodier : Il est vrai que pour le moment, ce ne sont pas les revenants qui représentent le menace principale en Occident en général et en Europe en particulier. Daech n'est pas vaincu militairement mais a actuellement d'autres soucis comme relancer la guérilla sur le front syro-irakien, activer ses provinces extérieures comme en Afrique - particulièrement au Sahel - , dans le Causasse et en Extrême-Orient.

Par contre, Daech continue à prodiguer sa propagande et à appeler ses adeptes au meurtre là où ils se trouvent. C'est sans doute ce qui explique cette dernière opération meurtrière. Il va être affirmé que l'assassin était quelque part "dérangé mentalement" mais il convient de se poser la question suivante: un individu qui se livre à un acte terroriste est-il mentalement sain d'esprit ? Il aurait aussi été insatisfait de sa position professionnelle qui n'évoluait pas mais cela ne peut pas expliquer grand chose. Il gardait son libre arbitre. Le cas juridique du "suspect" est clos puisque l'action est éteinte avec sa mort.

Cela dit, il reste un gros problème. Daech possède un service de sécurité (Amniyat) dont une des missions est le renseignement. Ce mouvement semblait se renseigner sur le passé des volontaires français qui le rejoignaient en Syrie. Quel rôle pourrait avoir joué le suspect dans ces enquêtes "de sécurité" (et autres) car sa position professionnelle au sein de la DRPP pouvait lui permettre d'avoir accès à des fichiers informatique confidentiels ? En effet, il pourrait avoir été recruté comme source par Daech ce qui expliquerait pour partie la Taqiya évoquée plus avant. A un moment, il a peut-être décidé de devenir un martyr de la "Cause", le but ultime de (presque) tous les salafistes-djihadistes.  

Si les informations les plus inquiétantes s'avèrent exactes, quelles pourraient être les conséquences dans l'opinion et pour le ministère de l'Intérieur ?

Xavier Raufer : Le péril État islamique - al-Qaïda recule. Ne pas baisser la garde, certes, mais la pression diminue. Quand on jette une pierre dans un étang, des cercles concentriques se forment à partir du point d'impact. Nous en sommes aux cercles extérieurs. Plus espacés, moins visibles -mais dangereux car proches de nous, voire actifs dans nos sociétés-mêmes.

Alain Rodier : Il est évident que cela va créer une inquiétude au sein de la population qui constate que même les organismes chargés de la protéger peuvent être infiltrés par des mouvements terroristes. Tous les ministères vont se sentir concernés et vont devoir revoir les procédures de sécurité et les enquêtes d'habilitation de leurs personnels. Cela va être très nuisible à l'ambiance interne qui risque de devenir suspicieuse.

Eric Verhaeghe : On sent bien que la énième répétition du même mode opératoire, à savoir une personnalité seule qui profite d'un effet de surprise dans la vie quotidienne pour poignarder des quidam, ici ce sont des collègues de travail, mais d'autres fois ce sont des passants, des gens qui rentrent chez eux dans des transports en commun, des jeunes femmes qui attendent un train dans une gare, des soldats en faction, un prêtre dans son église, c'est-à-dire n'importe qui ou tout le monde, tout cela use l'opinion publique et donne le sentiment qu'un danger imminent s'est diffusé dans notre vie quotidienne et peut nous guetter n'importe où à n'importe quel moment. On sent bien que l'ambiance se tend, et qu'une violence au quotidien se banalise. L'idée qu'à tout instant un attentat peut se produire sous nos yeux et qu'il faudra agir fait désormais partie du paysage. 

A long terme, la notion de tension religieuse prend forme, malgré les nombreux appels au calme et malgré les dénis sur le "pas d'amalgame". La multiplication, partout en Europe d'ailleurs, de ces épisodes fébriles où quelques personnes sont tuées au couteau, comme ça, simplement, dans un flash terroriste, lézarde progressivement la certitude que ces attentats ne seraient pas de nature religieuse. Sur ce point, la stratégie des pouvoirs publics suivie en France comme en Allemagne, consistant à expliquer immédiatement après les faits qu'il s'agit d'un acte perpétré par un déséquilibré et qui ne serait pas de nature religieuse devient une source ce méfiance. 

Depuis jeudi, des responsables politiques de la majorité s'expriment sur le sujet. Au vue de leurs déclarations, n'y a-t-il pas eu une forme de déni de réalité ? Quel est le risque politique pour le gouvernement ? 

Eric Verhaeghe : Cette fois-ci, le déni est terrible. On a tous entendu Christophe Castaner et Sibeth Ndiaye expliquer que rien ne permettait de présager l'action de cet informaticien habilité au secret défense et employé dans les services de renseignement. Mais le Parisien a révélé qu'il avait fait l'objet d'un signalement à sa hiérarchie en 2015 pour dérive radicale. Il semble que la machine administrative n'en ait pas tenu compte. En termes de gestion publique, ce hiatus entre les propos du gouvernement et la réalité est redoutable, parce qu'il donne à l'opinion publique le sentiment que la situation n'est pas sous contrôle. 

Ce sentiment est apparu très nettement avec l'affaire Lubrizol. Alors qu'une usine Seveso seuil haut était en feu, provoquant nausées et vomissements dans la population, le gouvernement est resté sourd et aveugle face aux évidences en expliquant que les fumées ne présentaient pas de toxicité inquiétante. La réaction incrédule de la population devrait alerter les pouvoirs publics, d'autant que l'émission de dioxine est désormais attestée, ce qui dément les propos des ministres. La même semaine, le même sketch reprend. Alors qu'un fonctionnaire de nos services de renseignement égorge l'un de ses collègues sur son lieu de travail, à savoir la Préfecture de police, ce qui n'est pas rien, deux ministres interviennent immédiatement pour tenir des discours qui manquent singulièrement de prudence, et qui sont démentis dans la journée par la presse. 

Le discrédit guette. Quand, sur deux affaires majeures en un laps de huit jours, des ministres sont pris en flagrant délit d'erreurs sur des faits et dans l'appréciation de leur gravité, la conséquence est bien connue: ils perdent toute crédibilité, et c'est l'équipe entière d'Edouard Philippe qui est désormais menacée de discrédit. 

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