Masques et crise de la masculinité : les ingrédients du cocktail explosif de violences en série<!-- --> | Atlantico.fr
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©LIONEL BONAVENTURE / AFP

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Des études américaines ont montré que les hommes étaient nettement plus nombreux que les femmes à refuser absolument le port du masque. En cause ? La peur de ne plus pouvoir affirmer leur masculinité.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico.fr : Quel lien peut-on faire entre le refus du port du masque et la crise de masculinité que traversent les hommes en Occident ?

Jean-Paul Mialet : Un certain mouvement féministe, essentiellement universitaire, enclenché il y a une quarantaine d’années par les Queers américaines mais rapidement propagé à tous et toutes les intellectuel(les) occidentaux, a voulu faire de l’homme le responsable de tous les malheurs de la femme, comme plus largement du monde. Même les guerres étaient de son fait. Naturellement, les arguments ne manquent pas : les conduites violentes sont rarement le fait des femmes, et les viols sont dans la plupart des cas masculins. Dans bon nombre de sociétés, comme on sait, la suprématie masculine ne met pas de frein aux appétits masculins et le rôle de la femme se réduit à celui d’instrument pour le bon plaisir de l’homme ou son organisation domestique.  

Cette révolte a son utilité : elle conduit l’homme à s’interroger sur ce qui le fonde en tant qu’homme et à remettre en cause une idée de la virilité performative, fondée sur la force physique, la puissance et la prise de risques. L’ennui est que les positions extrêmes favorisent un retour de flamme. L’homme d’aujourd’hui ne sait plus ce qu’il est en droit de s’autoriser : il doit obéir aux normes féminines – tenues comme seules respectables – et n’a pas jusqu’à présent su exposer qu’il n’était pas une femme comme les autres.  Lui en a-t-on laissé les moyens ? Le sectarisme de la pensée contemporaine ne laisse pas grand place au débat. Et dans nos sociétés avancées, la suprématie masculine s’éloigne de plus en plus pour devenir un fait historique. A titre d’exemple, 70% des étudiants en médecine sont des étudiantes…

Quoiqu’il en soit, plus que jamais, la masculinité fragilisée risque de pousser à des positions de virilité caricaturale, à la manière de Donald Trump. Plus que jamais, certains hommes, pour se sentir homme, vont se montrer capable de toutes les audaces et briser toutes les règles. Le « porc émissaire », pour reprendre le beau titre de l’ouvrage d’Eugénie Bastié, pourrait bien, si l’on n’y prend pas garde, se métamorphoser en sanglier. Dans mon livre Sex Aequo, je rappelle qu’à l’origine, être homme, c’est quitter le giron de sa mère. Ce point de départ, à mon sens, formate l’homme : la masculinité se vit toujours comme un défi.

Pour en venir à votre question, plusieurs études aux Etats-Unis démontrent en effet que les hommes opposent au port des masques une résistance nettement plus grande que les femmes – ceci alors qu’ils se savent plus exposés aux risques du Coronavirus. Cela, disent-ils, leur semble une faiblesse. Et une faiblesse plus grande encore si elle leur est imposée : ils peuvent lors devenir violents. Si les crises, dans le domaine du vivant, se traitent toujours sur le mode du combat ou de la fuite (« fight or flight »), être un homme, pour ceux qui résistent, suppose de choisir le combat. Pourra-t-on les empêcher de donner la priorité à leur fierté individuelle sur l’intérêt collectif ? Ou bien faut-il s’attendre à ce qu’ils se rebellent contre des normes qui leur paraissent une atteinte supplémentaire à l’expression de leur masculinité ? Pour tenter d’apaiser les esprits, des sportifs célèbres s’affichent avec le masque et des marques telles que Nike réfléchissent à des masques « virilisés ».

Le refus port du masque semble avoir été à l'origine de nombreux épisodes de violences qui ont eu lieu en France au cours des dernières semaines. Cette crise de masculinité est-elle à l'origine des épisodes de violence qui gangrène la société française ?

Je me garderai bien d’apporter une réponse simple à votre question. Mais essayons d’y répondre d’une manière globale. L’expression violente naît quand il n’y a pas d’autres moyens de se faire entendre. Certes la violence est plutôt le fait des hommes que des femmes. Alors qu’un journaliste lui posait la question de savoir qui souffrait le plus dans les guerres, les femmes ou les hommes, le Général de Gaulle avait répondu sans hésiter : les femmes car elles sont du côté de la vie. Les temps ont changé, mais cette réponse me paraît toujours d’actualité. Donc oui, lorsque les hommes se révoltent, il faut s’attendre à de la violence. Mais la révolte ne naît pas du chromosome Y. Elle naît d’un contexte ressenti comme intolérable poussant à affronter la pression de l’ordre établi. En sommes-nous là ? 

La crise de l’autorité devenue illégitime tant au niveau de l’Etat qu’au niveau de l’éducation et de la famille ne permet pas de bien contenir la violence ordinaire, celle qui pousse chacun à exister plus que son voisin, et elle fait de nous une société fragile. Et l’absence de débat face à une pensée qui ne connaît plus que la doxa, et s’exprime d’une façon monolithique dans le discours officiel tout en se doublant d’un contre courant confus et incohérent dans les réseaux sociaux - cette absence de débat favorise, comme on vient de le dire, l’expression violente. Ajoutons le manque de visibilité pour l’avenir rend nerveux… La crise de la masculinité ne me paraît au milieu de tout cela qu’un facteur parmi bien d’autres – bien qu’il fasse sans doute la prendre au sérieux. Mais il me semblerait plus urgent de rétablir l’ouverture d’esprit que de réhabiliter la masculinité, ce qui ne peut pas se faire du jour au lendemain.

Cette crise de masculinité peut-elle se résorber ?

Ne rêvons pas. Les crises ne se résorbent que lentement, et souvent à travers des secousses. Mais, si l’on en juge par les jeunes néo-féministes, il me semble que le balancier de la critique masculine pourrait bientôt freiner son mouvement et s’ouvrir à un vrai débat avec les hommes. Jusqu’à présent, la parole des hommes a été confisquée par les femmes ; lorsqu’un universitaire, sociologue ou philosophe, intervient, c’est le plus souvent pour reprendre des propos convenus. Il est aujourd’hui indispensable d’être féministe pour faire carrière dans les grandes institutions, comme il le fut autrefois d’être communiste : la menace de sexisme, etc., pèse sur tout homme qui ne communie pas dans l’affliction et la compassion pour le statut victimaire de la femme. Je pense qu’il y aurait pourtant un grand avantage à laisser s’exprimer des hommes non inféodés à la pensée dominante.

A propos de la masculinité, par exemple, les asiatiques nous enseignent d’autres voies qu’une virilité performative écrasante et naïve. Cela a d’ailleurs joué un tour à un ami psychiatre, chercheur en neurobiologie à Harvard, que je ne peux m’empêcher de relater ici, pour l’anecdote mais aussi pour son caractère édifiant. Il s’était engagé dans une comparaison interculturelle sur les relations entre masculinité et téstosterone.  Pour évaluer la masculinité, il employait des échelles validées en Occident. Or ces échelles se montrèrent sans validité en Chine, car elles comportaient plusieurs  questions sur la prise de risques. L’exposition au risque, découvrit-il, n’est en rien tenue dans ce pays comme un critère de masculinité. C’est la maîtrise qui est valorisée et représente un indice masculin. Quant à la prise de risque, elle serait plutôt  une indication d’immaturité. 

Qui sait si, après nous avoir envoyé le Covid, nos collègues chinois ne vont pas nous aider à réviser nos positions masculines sans sombrer dans la violence ?  

Jean-Paul Mialet a publié Sex aequo: Le quiproquo des sexes aux éditions Albin Michel.

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