Marseille : les tueurs à la Kalachnikov doivent-ils avoir peur du plan du gouvernement ? <!-- --> | Atlantico.fr
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A l'issue d'une réunion interministérielle consacrée à la sécurité dans la cité phocéenne, le Premier ministre a annoncé que 205 policiers et gendarmes seront envoyés en renfort.
A l'issue d'une réunion interministérielle consacrée à la sécurité dans la cité phocéenne, le Premier ministre a annoncé que 205 policiers et gendarmes seront envoyés en renfort.
©Reuters

Contre-attaque

Alors qu'un vingtième règlement de comptes depuis le début de l'année a été enregistré cette semaine à Marseille, une quinzaine de ministres ont proposé à Jean-Marc Ayrault des pistes pour répondre aux violences qui secouent Marseille, pour la plupart liées au trafic de drogue.

Stéphane Quéré et Karim Zéribi

Stéphane Quéré et Karim Zéribi

Stéphane Quéré est diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II. Il est animateur du site spécialisé sur le crime organisé crimorg.com.

Karim Zéribi est un homme politique marseillais, conseiller municipal et communautaire (Europe Écologie Les Verts). Il est président du Conseil d'Administration de la Régie des transports de Marseille.

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Atlantico : Une quinzaine de ministres* ont proposé à Jean-Marc Ayrault des pistes pour répondre aux violences qui secouent Marseille, pour la plupart liées au trafic de drogue. Le Premier ministre a annoncé la création d'une préfecture de police pour l'ensemble des Bouches-du-Rhône ainsi que la "création d'un poste de préfet chargé de la stratégie de l'agglomération, placé au côté du préfet de région". La stratégie globale du gouvernement concernera "l'éducation, l'enseignement supérieur, la décongestion de l'agglomération, le port de Marseille, le soutien aux entreprises". Cette réunion montre-t-elle que le gouvernement comprend la situation marseillaise ?

Stéphane Quéré : Ce n'est pas une réunion de quelques heures qui va changer quelque chose à une situation marseillaise qui date de plus d'un siècle, avec un grand banditisme enraciné et l'apparition plus récente d'un banditisme de banlieue. Ce sont deux mondes qui se fréquentent, qui parfois se croisent, plus ou moins violemment.

Il est clair qu'il faut prendre la situation dans son ensemble. A part la création d'une préfecture de police et le déploiement de 205 policiers supplémentaires, je ne vois pas beaucoup de mesures liées à la criminalité. Mais les problèmes marseillais vont au-delà de la criminalité, et sont liés aussi à certaines pratiques qui ont cours dans cette ville. A mon avis, il faudra aller dans une opération main-propres plus en profondeur. Tant que Monsieur Guérini sera président du conseil général, il sera difficile d'aller faire la leçon aux dealers dans les quartiers, alors que les frères Guérini semblent – l'affaire n'a pas encore été jugée, donc restons prudents - avoir des liens avec le grand banditisme.

Dans ces mesures, je ne vois pas de réponses fortes contre la criminalité. Avant tout, ce qui peut arrêter un criminel, c'est la police et une paire de menottes. Je nie pas qu'il faut des mesures sociales et éducatives, mais j'ai du mal à voir comment la décongestion de l'agglomération pourra améliorer les choses.

Karim Zeribi : C'est une bonne chose d'avoir une approche globale pour répondre à cette problématique. Cette posture politique qui consiste à dire que tous les sujets seront abordés, au-delà de la sécurité, peut me convenir. D'autant qu'ont été annoncés 208 postes de gendarmes et de policiers. Je pense que c'était nécessaire et que le gouvernement a pris la mesure du problème.

Mais ces termes de « soutien aux entreprises », « éducation », « enseignement », ce n'est pas du concret. J'attends de voir comment le Premier ministre va décliner cette « approche globale » lors de sa venue lundi à Marseille. Il faut qu'il définisse ce que ça signifie en termes financier. J'espère aussi que le Premier ministre va nous présenter des financements importants pour le développement des transports, qui est fondamental. J'ai été déçu de ne rien entendre là-dessus aujourd'hui. Je pense qu'il a aujourd'hui pallié l'urgence, j'attends de voir ce qui sera concrètement annoncé dans le champs de l'éducation, dans le champs des transports, en parallèle de l'approche sécuritaire.

Avec ses 2932 fonctionnaires, Marseille est la seconde ville de France -  derrière Paris - en termes de nombre de policiers par habitant. Le gouvernement souhaite néanmoins déployer "un renfort de 205 policiers et gendarmes" dans l'espace public. Est-il nécessaire d'augmenter leur effectif ?

Stéphane Quéré : Il faut voir à quoi ils correspondent. Faire stationner un car de CRS au bas de tours ne réglera pas les problèmes, au mieux ça déplacera les dealers, et encore... S'il s'agit de mettre du bleu dans les quartiers, ça ne servira à rien : les CRS arrêtent rarement des dealers et encore moins des gros trafiquants.

Il faut aussi travailler au rétablissement de confiance envers la police de Marseille. Les magistrats marseillais travaillent très bien, sur des grosses affaires, mais il est clair qu'ils font peu confiance aux policiers locaux. Il y a eu des affaires de corruption, des fuites, il y a parfois des proximités entre policiers et voyous. Certaines affaires – comme l'affaire Guérini - sont donc confiées à la gendarmerie et non la police, ou alors sont confiées à des enquêteurs parisiens.

Karim Zeribi : On ne peut pas dire ça ! La Seine-Saint-Denis a 4500 fonctionnaires de police, pour une superficie moins importante que Marseille, ville la plus étendue de France avec 230 km². Paris est quant à elle bien plus pourvue. Il était donc important de renforcer les effectifs de police, dont Marseille était loin d'être pourvue, avec une problématique d'investigation, de PJ, d'enquête, et une problématique de présence quotidienne sur le terrain. Marseille n'a pas cette présence policière pérenne ; j'espère que ces effectifs resteront donc durablement installés sur ces territoires. Il faut fidéliser cette police, ces gendarmes, et faire en sorte qu'ils connaissent bien le terrain. La population sera alors rassurée, et les trafics démantelés. Ça ne sert à rien de faire du one-shot, en mettant en place un dispositif qui durera trois mois, à l'exemple des escadrons de CRS installés par Claude Guéant seulement durant les fêtes l'année dernière.

Vincent Peillon a proposé la scolarisation des petits Marseillais dès l’âge de 2 ans, Michel Sapin, propose, lui, de mobiliser certains dispositifs comme les contrats d’avenir. Cette approche sociale du problème, si elle peut éventuellement donner des résultats à long terme, est-elle une réponse crédible à court terme ?

Stéphane Quéré : Il est impossible de régler les problèmes à court terme. C'est un problème qui date des années 20, avec un penchant politique et économique. Il y a des relations troubles dans la classe politique, mais aussi à l'OM, au Port de Marseille... C'est enraciné depuis des décennies. Mais cette situation n'est pas extraordinaire : 14 morts depuis le début de l'année, c'est moins que dans les années 80, lors de la guerre des machines à sous. Il y a un focus politique sur Marseille qui n'a, je pense, pas lieu d'être.

Karim Zeribi : C'est une réponse nécessaire pour donner un cap. Je crois que la réponse sécuritaire doit répondre à l'urgence, à l'immédiateté, mais qu'il faut aussi envisager le moyen et le long terme pour cette agglomération. Il est important que le ministre de l'Education marque de tout son poids cette réunion, en faisant en sorte que les petits Marseillais soient concernés par un grand « Plan Marshall », qui consisterait à éviter le décrochage, pour ne pas que les jeunes de 15 ans deviennent guetteurs après avoir échoué à l'école.

Quant à Michel Sapin, il est important qu'il dise qu'il y aura des contrats d'avenir pour la jeunesse. Cela répond au besoin de dignité par le travail. Je préfère voir un jeune doté d'un contrat d'avenir qu'un jeune au pieds des cités, alors que certains ont des bac +3 et peuvent être utiles à la sécurité.

Christiane Taubira avait expliqué cet été vouloir vider les prisons des personnes condamnées à des courtes peines. Est ce que Marseille est un défi pour une gauche qu'on pourrait qualifier angélique ?

Stéphane Quéré : C'est sans doute un exemple, mais on se focalise sur Marseille, alors que la situation est aussi grave, voire plus grave, dans certains quartiers d'Île-de-France. Il n'y a certes pas de règlements de comptes, mais certains quartiers sont en sécession totale de la République, et les dealers y font la loi. C'est le cas de la cité Pablo Picasso, à Nanterre, où les policiers n'entrent plus. C'est moins voyant, car il n'y a pas de règlements de comptes, mais c'est peut-être pire : ces quartiers sont en sécession.

Il faut dépasser le cas marseillais pour prendre en considération d'autres causes. On verra comment fonctionneront les ZSP de Manuel Valls. Mais la proposition de Taubira de vider les prisons des condamnés à des courtes peines dépend surtout de la personnalité des mis en cause : un gros voyou arrêté pour une affaire banale a plus sa place en prison que quelqu'un qui fait le coup de poing après une soirée où il aura trop bu. Mais pour connaître ces personnes, il faut un travail de renseignement criminel, qu'on ne fait pas en France.

Karim Zeribi : Je pense que cette accusation d'angélisme est un faux-procès. Manuel Valls est quelqu'un qui ne fait pas dans l'angélisme, c'est le Jean-Pierre Chevènement du 21e siècle. En 1997, dans le gouvernement de Lionel Jospin, on avait une Elisabeth Guigou un peu équivalente à Taubira aujourd'hui,  et un Chevèment équivalent de Manuel Valls. Côté angélisme, je pense qu'il a donné des gages sur la révolution qui a eu lieu au PS. Taubira est parfois un peu décalée de la réalité. Entre la prison, criminogène, et l’impunité, il faut trouver la bonne réponse, qui est pour moi les centres éducatifs fermés ou les travaux d'intérêt général. Je crois au principe selon lequel qui casse, paye. Si la seule réponse que propose Taubira est le rappel à la loi, ça me paraît un peu léger.

Propos recueillis par Morgan Bourven


*dont Manuel Valls (Intérieur), Christiane Taubira (Justice), Arnaud Montebourg (Redressement productif), François Lamy (Ville), Cécile Duflot (Logement), Michel Sapin (Travail)...

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