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Mark Chapman : le procès fascinant de l’homme qui assassina John Lennon
©AFP

Bonnes feuilles

Emmanuel Pierrat publie "Stars à la barre", chez Hugo Doc (2019). Cet ouvrage nous fait revivre les grands procès autour de personnalités du monde entier, qu'elles soient accusées ou victimes, telles que Michael Jackson, Marlon Brando, Donald Trump ou bien encore Johnny Hallyday. Extrait 1/2.

Emmanuel  Pierrat

Emmanuel Pierrat

Emmanuel Pierrat est avocat au barreau de Paris et dirige un cabinet spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle. Chroniqueur, romancier et auteur de nombreux essais et ouvrages juridiques, il est notamment l’auteur de La Justice pour les Nuls (First, 2007).

 
 
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Né en octobre 1940, le « petit gars de Liverpool » fut l’âme du groupe fondé au début des années 1960 et l’auteur de ses principaux tubes. C’est en 1966 qu’il rencontre pour la première fois Yoko Ono, une figure alors incontournable de l’underground new-yorkais. Née au Japon en 1933, au sein d’une famille de commerçants richissimes qui émigra aux États-Unis après la guerre, Yoko Ono connaît tout ce que New York compte d’artistes d’avant-garde, ouvrant ainsi de nouveaux horizons à Lennon. 

Ils se marient en mars 1969 et forment un couple autant politique qu’artistique. En guise de « lune de miel », ils se livrent d’ailleurs à un certain nombre de performances, dont le fameux « bed in » à Montréal, où ils occupent pendant une semaine une suite de l’hôtel Reine Elizabeth et reçoivent les médias en pyjama blanc dans leur lit.

Cependant, la présence rapidement jugée « envahissante » de Yoko Ono auprès de Lennon est très mal vécue par les trois autres Beatles, ainsi que par leurs fans. Le groupe se sépare l’année suivante et Yoko Ono, désormais vouée aux gémonies, est accusée d’avoir œuvré à cette fin. John Lennon entame alors une carrière solo, aussitôt marquée par un tube planétaire, Imagine, devenu une sorte d’hymne universel à la paix. 

En août 1971, le couple — qui aura un fils, Sean — s’installe définitivement à New York. Deux ans plus tard, il emménage dans le Dakota Building, un immeuble d’appartements de luxe, face à Central Park, construit dans le style néo-Renaissance à la fin du XIXe siècle. L’adresse sera fatale à John Lennon. 

Le 8 décembre 1980, à 17 heures, la star sort de l’immeuble en compagnie de Yoko Ono et dédicace des exemplaires de son dernier album, Double phantasy, aux quelques groupies qui se relaient en permanence devant le domicile de leur idole. L’un d’eux s’appelle Mark David Chapman. Alors que les autres fans se dispersent à la tombée de la nuit, Chapman reste dans les parages. John Lennon et Yoko Ono reviennent à 22 heures 50. 

Mark David Chapman lui tire dans le dos, à quatre reprises, quand Lennon pénètre dans le hall du Dakota Building. Le chanteur s’effondre sous les yeux de Yoko Ono. Il est déclaré mort à 23 heures 15. Mark David Chapman, qui n’a pas cherché à fuir, est arrêté, pendant qu’une foule immense, alertée par les radios, commence de converger devant le Dakota Building. 

De Chapman, il n’y a pas grand-chose à dire. Individu minable, au parcours minable, il a voulu se venger de sa médiocrité en abattant de sang-froid l’un des musiciens les plus talentueux de son siècle, dans le but d’aspirer lui-même à un peu de célébrité. Un premier avocat, Herbert Adlerberg, commis d’office pour défendre Chapman, se désista rapidement devant les menaces de représailles des soutiens de Lennon. C’est finalement Jonathan Marks, rompu à toutes sortes d’affaires criminelles, qui releva le gant. 

Marks souhaitait plaider la folie de son client et il commença à amasser les témoignages susceptibles d’étayer sa thèse. Il espérait que Chapman serait reconnu irresponsable de son geste et qu’il serait enfermé dans un hôpital psychiatrique jusqu’à ce que les médecins le déclarent « guéri ». Chapman acquiesça d’abord à cette stratégie ; toutefois, au mois de juin 1981, à quelques jours de l’ouverture de son procès, il avertit son avocat qu’il entendait revendiquer la pleine responsabilité de son acte. 

Chapman tint parole et son procès se réduisit à une seule audience, tenue à huis clos, le 22 juin 1981. Entouré d’une escouade de policiers et revêtu d’un gilet pare-balles pour éviter qu’un éventuel sniper ne cherche à venger la mort de Lennon, Chapman se présenta au tribunal pour plaider coupable et il expliqua que c’était Dieu qui lui avait enjoint de revendiquer son crime. Le juge lui posa quelques questions, pour s’assurer qu’il était parfaitement conscient de la portée de ses paroles et qu’il les prononçait de son plein gré. Et ce fut tout. La délibération fut fixée au 24 août suivant. Chapman risquait la perpétuité, dont une peine incompressible de quinze à vingt-cinq ans de prison. Ce fut vingt ans. 

À défaut d’être un détenu « exemplaire », Chapman se révéla un prisonnier sans histoire. Il était donc libérable à l’automne 2000. Mais, le 22 septembre, Yoko Ono adressa une très longue lettre au tribunal chargé de statuer sur sa libération conditionnelle, et dans laquelle elle n’appelle pas autrement Chapman que « l’individu », pour s’y opposer farouchement : 

« Mon mari John Lennon était un homme très particulier. Un homme d’origine modeste qui éclaira le monde avec ses paroles et sa musique. […] Pour moi, il représentait l’autre moitié du ciel. Nous étions passionnément amoureux l’un de l’autre, comme peuvent l’être tous les grands amoureux de ce monde. Mais ce monde s’est brisé quand ‟l’individu” a appuyé sur sa gâchette. […] Le souvenir de ce qui s’est passé ce soir-là n’a jamais cessé de me hanter depuis vingt ans. Ce fut si cruel. Si injuste. Mon mari ne méritait pas cela. Il n’était pas prêt à mourir. […] Sa famille et le reste du monde ont pu connaître la paix parce que justice fut rendue et que ‟l’individu” fut condamné. S’il devait être libéré maintenant, beaucoup se sentiraient trahis. La colère et la crainte renaîtraient. Une telle libération donnerait aussi un très mauvais signal à tous ceux qui voudraient suivre les pas de ‟l’individu” pour s’attirer l’attention du monde. […] De plus, ce ne serait pas non plus une bonne solution pour ‟l’individu”. Il cesserait de bénéficier de la sécurité que lui procure l’État à l’intérieur de sa prison. Beaucoup de personnes, au dehors, lui en veulent de ce qu’il a fait. Ces personnes trouveraient injuste que ‟l’individu” puisse retourner à une vie normale, alors que John a perdu la sienne. La violence appelle la violence. Autant que possible, j’aimerais que nous évitions de contribuer à une situation qui risquerait de replonger le monde dans la folie et la tragédie. » 

Étrange rhétorique, en réalité, qui prône la violence — l’enfermement à vie — au nom de la non-violence, faisant fi des valeurs de pardon et de rédemption et oubliant qu’un criminel ayant purgé sa peine est du même coup supposé avoir réglé sa dette envers la société.

Cependant, les juges suivirent les « réquisitions » de la veuve et refusèrent sa libération à Mark Chapman. Depuis, celui-ci est habilité tous les deux ans à déposer une nouvelle demande de libération, contre laquelle s’insurge à chaque fois Yoko Ono, brandissant de nouvelles menaces (« Il pourrait recommencer, s’en prendre à moi, à notre fils… ») 

Chapman a eu beau s’excuser, demander pardon pour son crime, à ce jour, ses neuf demandes de libération (la dernière, en août 2016), sont restées vaines. En revanche, l’exemplaire de l’album Double phantasy, qu’il avait fait dédicacer par Lennon l’après-midi du 8 décembre 1980 et qui porte leurs deux empreintes digitales, a connu une belle carrière : passé entre les mains de plusieurs collectionneurs, sa valeur n’a cessé de grimper pour friser, aux dernières enchères, à l’été 2016, les 2 millions de dollars.

Extrait du livre d’Emmanuel Pierrat, "Stars à la barre", publié aux éditions Hugo Doc. 

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