Marché de l'énergie : la loi Nome et l’ARENH ou comment la fausse concurrence chasse la bonne <!-- --> | Atlantico.fr
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Hervé Machenaud publie « La France dans le noir C'est maintenant ! » aux éditions Manitoba / Les Belles Lettres.
Hervé Machenaud publie « La France dans le noir C'est maintenant ! » aux éditions Manitoba / Les Belles Lettres.
©JEFF PACHOUD / AFP

Bonnes feuilles

Hervé Machenaud publie « La France dans le noir C'est maintenant ! » aux éditions Manitoba / Les Belles Lettres. Cela pourrait se produire cet hiver. Un jour prochain, la France va se trouver dans le noir ; au sens propre du terme. Il n’y aura pas assez d’électricité. En Allemagne et en France, c’est la peur du nucléaire et le mirage des énergies renouvelables qui guide la transition énergétique. Extrait 2/2.

Hervé Machenaud

Hervé Machenaud

Hervé Machenaud, X Ponts et IEP Paris, a mené toute sa carrière professionnelle au cœur des questions industrielles liées à l’énergie, tant en France qu’à l’étranger. Il réside actuellement en Chine où il a participé durant plus de trente ans au développement du programme énergétique.

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C’est une autre évidence portée par l’air du temps que « la SNCF et EDF sont des bastions de résistance à la réforme » (Bertille Bayart, Le Figaro du 8 mars 2016). Mme Bayart ne dit pas de quelle réforme il s’agit, ni pour quoi faire, ni ne donne d’exemple d’électricien européen qui aurait réussi ce passage dont elle sous-entend l’évidence. Ce n’est en tout cas aucun des producteurs d’électricité européens que sont E.ON, RWE, EnBW ou ENGIE, alias GDF-SUEZ, qui sont, toutes entreprises privées habituées à la concurrence qu’elles soient, dans des situations bien plus périlleuses qu’EDF. Ainsi, l’éditorial du Monde du 17 février 2016 titre : « EDF, la fin d’un monopole… et d’une époque. » On peut y lire : « […] Affaibli par la concurrence des autres fournisseurs, […] l’ex-monopole n’a désormais plus le choix : s’il veut éviter de se déliter progressivement et devenir un acteur de seconde zone du monde de l’énergie, il lui faut se réformer en profondeur. » Encore ! Mais de quelle réforme s’agit-il ? On ne le dit toujours pas. Et moins encore dit-on ce qui serait responsable du délitement d’EDF.

Qui sont ces fameux « fournisseurs » dont la concurrence affaiblit EDF ? Aucun des autres producteurs d’électricité, en tout cas. Ce sont des gens qui ne produisent pas d’électricité, qui s’approvisionnent sur un marché déprimé pour vendre aux clients traditionnels des producteurs en faillite, en dessous des coûts de production de ces derniers, avec des marges significatives, une électricité que, pour l’essentiel, ils n’ont pas produite.

Nous sommes ainsi heureux d’apprendre qu’au moment où la plupart des grands producteurs passent d’énormes provisions pour perte, le fournisseur alternatif d’électricité et de gaz Direct Énergie a vu son bénéfice net s’envoler de 78,7 % en 2015. Il a fait mieux en 2016 et fera mieux encore en 2017 et 2018, selon les analystes. Soyez rassurés, même si les prix de marché remontaient significativement, la loi NOME (Nouvelle Organisation du marché de l’électricité) du 7 décembre 2010, qui crée l’Accès réglementé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), donne à ces « concurrents » la possibilité de s’approvisionner auprès d’EDF qui est tenu de leur vendre, à un prix fixé par le gouvernement, largement inférieur au coût de production, une partie significative (20 %) de sa production, leur épargnant ainsi la pénible obligation d’avoir à la produire eux-mêmes. De toute façon le consommateur est à l’abri car, comme l’a dit ingénument Philippe de Ladoucette, alors président de la Commission de régulation de l’électricité (CRE) : « Il n’y a aucun risque à se tourner vers des réseaux alternatifs. Vous pouvez retourner au tarif réglementé à tout moment. » La loi a vraiment tout prévu.

La mécanique est implacable : quand les prix de marché sont au-dessous des coûts de production, l’Autorité de la concurrence (de Bruxelles), saisie par ces mêmes « fournisseurs alternatifs » qui s’approvisionnent sur le marché, impose aux producteurs de relever leur prix de vente pour couvrir leurs coûts. Ils sont réduits à produire à perte pour alimenter un marché sur lequel ils n’ont pas le droit de vendre à perte ! Mais quand le marché se retourne, toujours au nom de la concurrence sous l’œil vigilant de Bruxelles, la loi NOME permet aux « fournisseurs alternatifs » de s’approvisionner au-dessous du prix de revient des producteurs. Dans le pire des cas, s’ils sont conduits à déposer le bilan, ils auront mis assez d’argent de côté pour qu’on n’ait pas d’inquiétude à avoir pour eux. Ils s’engraissent de la bonne conscience du libéralisme et de la déréglementation.

C’est ainsi qu’avec les premiers froids de l’hiver 2016 et l’indisponibilité d’un certain nombre de centrales nucléaires, les prix ont beaucoup monté en Europe, en particulier sous l’effet des importations réalisées par EDF. « Les concurrents d’EDF se précipitent sur son électricité nucléaire » titre Le Figaro du 1er décembre. Pourquoi se priveraient-ils ? Acheter 42 euros un MWh qu’ils vont revendre (éventuellement à EDF) 70 euros n’est-il pas tentant ? « Obliger EDF à vendre à ses concurrents à 42 euros le MWh risque de peser sur sa rentabilité », déclare Paul Marty, vice-président chez Moody’s, dans une interview au journal L’Opinion. Charmante litote ! Évidemment, cela crée des vocations et de nouveaux « fournisseurs alternatifs » apparaissent sur le « marché ».

Si l’Europe avait vraiment voulu promouvoir la concurrence pour le bénéfice des clients finaux, elle aurait imposé la construction d’un grand réseau interconnecté. Alors EDF aurait été le producteur le plus compétitif d’Europe parce que c’est celui qui a les moyens de production les plus efficaces et les coûts les plus bas. C’est précisément ce dont nos voisins n’ont pas voulu.

Ils ne s’en sont pas cachés : à l’assemblée générale de l’association des électriciens européens, EURELECTRIC, en juin 1998, comme était évoquée la construction d’un grand réseau de transport européen, l’un d’entre eux s’était emporté, arguant que « si un tel réseau existait, l’Europe serait envahie par l’électricité nucléaire française ». Ils se sont alors attachés, avec l’aide des institutions européennes qu’ils ont circonvenues, au nom d’une vision idéologique de la concurrence, à détruire le monopole d’EDF, sans que personne ne s’avise que si EDF était un monopole en France, pour le plus grand bénéfice des Français, elle ne l’était évidemment pas en Europe.

C’est alors, au nom de la dérégulation et de la concurrence, qu’a commencé le jeu de massacre, avec la collaboration bienveillante de l’administration française qui ne cesse de se repentir d’être « l’élève honteuse du libéralisme ». Désolidariser le réseau de transport d’EDF n’avait d’intérêt que pour l’intégrer dans un grand réseau européen. On s’est contenté de détruire la synergie qui existait entre le producteur, le transporteur et le distributeur, synergie dont on avait pu évaluer la réalité et l’efficacité au moment de la tempête de décembre 1999 (où l’entreprise s’était mobilisée comme un seul homme pour secourir, désenclaver, mettre en place des groupes électrogènes, rétablir les réseaux, cela de la façon coordonnée et solidaire propre au service public). Mais on ne s’est pas arrêté là. On a retiré à EDF la Compagnie nationale du Rhône pour créer un concurrent et redistribué les centrales à charbon des Charbonnages de France pour créer un autre concurrent, celui-là allemand. L’étape suivante a consisté à séparer le réseau de distribution de la vente de l’électricité pour la plus grande confusion des clients qui ne savent plus s’ils doivent s’adresser à celui qui fournit, EDF ou l’un de ses concurrents, ou à celui qui achemine, ERdF, devenu ENEDIS. Ayant séparé les moyens, il a, en outre, fallu les multiplier pour accompagner la désoptimisation. 

Extrait du livre d’Hervé Machenaud « La France dans le noir C'est maintenant ! », publié aux éditions Manitoba / Les Belles Lettres

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