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Cette drôle de campagne qui mènera la France dans le mur du conservatisme quel que soit le vainqueur
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I had a dream ...

La campagne électorale ne décolle pas. Les candidats semblent ne pas avoir grand chose à proposer et les Français donnent le sentiment de ne pas franchement y croire. La crise et la situation économique du pays auraient-elles réussi à faire de l'élection présidentielle une simple formalité administrative ?

Frédéric de Gorsse

Frédéric de Gorsse

Frédéric de Gorsse est le pseudonyme d'un consultant en poste auprès du gouvernement.

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Et si, le 7 mai au matin, les Français s’éveillaient avec le sentiment amer d’être passés à côté de l’élection présidentielle au terme d’une d’une « drôle de campagne » où considérations tactiques et annonces démagogiques auront supplanté les enjeux de fond. ? Politics As Usual (Les hommes politiques, fidèles à eux-même, ndlr) dira-t-on, sauf que cet évitement intervient dans un contexte dramatique : celui d’une crise politique sans précédent, celle de l’endettement public, celle de l’Etat national et celle de l’Europe.

Pourquoi ce rendez-vous décisif qui oblige à poser toutes les grandes questions, de celle de l’autorité et du rôle de l’Etat à celle de l’articulation entre compétitivité économique et progrès social, ne prend-il pas toute son ampleur ? La presse internationale observe avec étonnement et cruauté cette élection présidentielle, The Economist en tête, ironisant sur « la plus frivole des élections occidentales »… Alors à qui la faute pour cette décevante campagne depuis longtemps lancée, en raison des primaires socialistes, mais dont beaucoup espère encore qu’elle commence vraiment ?  

Autant la campagne de 2007 fut excitante mais superficielle, autant celle de 2012 aurait dû être grave et sérieuse.

La principale responsabilité reviendrait, répète-t-on à l’envi, aux Français eux-mêmes, ces irresponsables impénitents incapables d’entendre les vérités, et qui n’auraient, en somme, que l’élection qu’ils méritent. Pourtant, tout indique, au contraire, que les électeurs désiraient autre chose de cette campagne, comme le révèlent les enquêtes d’opinion et les perspectives d’abstention. Sur fond d’inquiétude pour l’avenir et de désarroi collectif, les Français n’y croient visiblement guère. Et si le premier ennemi de ce pays était cette lassitude qui interdit les grandes résolutions collectives ?

Dans les têtes, la conséquence de la crise, c’est une exaspération qui conduit au rejet de la politique. « Ni ne nous promettez, ni ne nous demandez », tel semble être l’état d’esprit de l’opinion de sorte, qu’en 2012, il n’est plus d’espace entre le vote utile et le vote protestataire. Il y aura bien sûr un « troisième homme » mais guère de troisième voie : François Bayrou a perdu son statut d’alternative, Marine Le Pen a échoué au test de crédibilité, Jean-Luc Mélenchon réenchante la gauche sur fond de désillusion tandis que l’écologie a perdu la voix.

Mais ni l’incapacité présumée des Français à sortir d’une culture de l’endettement public, ni l’ampleur de la crise ne suffisent à expliquer l’inquiétante vacuité de cette campagne.

Osons une autre hypothèse : si loin d’être futile, cette élection était bien trop professionnelle et trop bien contrôlée? Et si loin d’être l’expression d’un dérèglement accidentel, cette élection sans véritable débat devait s’imposer comme un modèle du genre, illustrant la capacité des deux principaux partis à imposer leur maîtrise sur l’espace politique ? 2012 serait alors bien comme le suggère Nicolas Sarkozy, « la première présidentielle du XXIe siècle », non plus celle de la « France d’après » de 2007, mais celle de l’après France, ou pour être plus précis : l’élection de l’après gouvernement national représentatif. Une élection nécessaire, parce que nos sociétés démocratiques ne peuvent s’en passer, mais une élection sans engagement, parce que personne n’y croit vraiment, parce que le temps collectif n’est plus qu’une fuite en avant. .

Étrange paradoxe que cette élection. D’après les enquêtes d’opinion, en dépit de la crise, de l’impopularité du président sortant et de l’absence d’espérance pour l’alternance, plus d’un électeur sur deux choisiront le candidat du PS ou celui de l’UMP au premier tour de l’élection présidentielle, à peine moins qu’en 2007.

Comment du point de vue d’une élite politique marquée par le traumatisme de 2002, ne pas finalement considérer que la campagne présidentielle 2012 est réussie ? Le tour de force de Nicolas Sarkozy c’est de presque recouvrer son socle électoral de 2007. Celui de François Hollande de s’être maintenu, depuis six mois, à un niveau élevé dans les sondages, en dépit d’une campagne très longue et en demi-teinte, et de maintenir son avance pour le second tour.

Pourtant, à mesure que le scrutin approche et que l’opinion cristallise, un doute paralysant s’appesantit dans le pays et impose les conditions, pour celui qui l’emportera, quel qu’il soit, d’une victoire à la Pyrrhus, au sortir d’une élection peu à même de donner à un chef de l’Etat le souffle et l’autorité nécessaires pour gouverner. En fin de compte, les deux favoris enferment le pays et s’enferment eux-mêmes dans le piège de leur propre maestria.

Car l’habileté suprême des deux principaux candidats à la présidence de la République semble, à ce stade, de lier par leur posture les deux votes qui dominent cette élection sans espérance, le vote de nécessité et le vote de protestation, le vote utile et le vote de rejet. Cependant, dans ce jeu d’équilibre, la balance, irrésistiblement, penche vers ce qui crie toujours plus fort : le rejet… Les sentiments négatifs dominent cette élection. La caricature, la dénonciation, l’intimidation, la dérision l’emportent… Nicolas Sarkozy abuse des peurs et François Hollande du rejet de Sarkozy.

L’impopularité du président sortant, qui est l’atout de François Hollande, est aussi sa faiblesse. Plus son fil d’Ariane est l’antisarkozysme, plus le candidat socialiste estompe les contours de son programme. En défendant son projet avec une clause suspensive, celle du redressement préalable des comptes publics, le pari osé de Hollande est de ne pas décevoir en décevant toute attente. Dès lors, pour maintenir son avantage en combinant vote de protestation et vote utile, François Hollande a abaissé son horizon, au risque de se priver de souffle politique. Dès lors, le « rêve français » n’a d’autre ambition que d’être un artifice rhétorique.

De son côté, pour déjouer l’impopularité et la déception, Nicolas Sarkozy s’est placé dans à une posture politique intenable  : s’imposer à la fois comme le choix de la raison et le « candidat du peuple » contre le système. Les charges répétées contre les corps intermédiaires et l’appel ambivalent à la « majorité silencieuse » fragilisent la confiance dans les institutions qui est au fondement d’une « France forte ». Son équation électorale est de plus en plus tendue : en réduisant à sa seule personne la diversité qui donnait à la droite française sa respiration et sa capacité de renouvellement, Nicolas Sarkozy renforce le risque d’être la merci de l’électorat frontiste. Et son mode d’exercice de la présidence désignant comme obstacle tout ce qui lui résiste accentue la crise du gouvernement représentatif. Par la force de son caractère, Nicolas Sarkozy a réaffirmé son ascendant sur son camp mais au risque d’être, même réélu, un chef de l’Etat solitaire, voire immédiatement désavoué lors des législatives, et, en fin de compte, le Président affaibli à la tête d’une France faible.

Même si le dévissage d’un ou des deux grands candidats peut être la surprise finale du premier tour, rien n’indique que les électeurs soient disposés à sortir de l’équation électorale fermée entre le candidat du PS et celui de l’UMP, même si la plupart des Français considèrent que ni l’un, ni l’autre, ni leurs partis respectifs, ne détiennent, seuls, les réponses à la crise actuelle.

L’avenir du pays dépend pour partie de l’attitude qu’adopteront les deux principaux candidats au soir du premier tour. Pour se montrer à la hauteur des enjeux, ils peuvent encore renoncer aux considérations tactiques pour oser faire passer les intérêts de la France avant ceux de leur parti.

Mais tous les Français, et tous les partis, sont confrontés à une seule et même question : face à la crise, qu’est-il nécessaire et juste de faire, qu’est-il nécessaire et juste de donner à son pays et d’attendre de la collectivité?

La politique, c’est d’accorder la nécessité et la justice. Nicolas Sarkozy insiste sur la nécessité de la force régalienne pour permettre aux Français de maintenir leur juste place dans le monde ; de son côté, François Hollande considère comme plus impérieuse la nécessité de redonner une consistance à l’idéal social républicain pour la France. Mais Nicolas Sarkozy se doit d’expliquer comment et avec qui il entend redonner des moyens à la France, et notamment de la compétitivité, sans mépriser ni les institutions, ni les personnes. Quant à François Hollande, il doit encore convaincre qu’il a le courage de proposer un véritable réformisme social et non un rafistolage superficiel et coûteux.

A ce stade, ni Sarkozy, ni Hollande ne sont en mesure de proposer la forme de gouvernement qui rende au pays sa confiance en l’avenir, car qu’il ne saurait y avoir de France forte sans une société qui croit de nouveau en elle-même, ni de rêve français sans une France qui ait les moyens de son existence et de ses choix.

Et dans le cas probable d’une victoire par défaut de l’un ou de l’autre, du gouvernement UMP ou du gouvernement PS, la France s’enferrera dans un climat d’empêchement et de rejet aux conséquences imprévisibles, surtout en temps de crise.

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