Manger des gâteaux moches pour lutter contre la déprime : pourquoi ça marche<!-- --> | Atlantico.fr
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La créatrice du projet "The Depressed Cake Shop" vend des gâteaux grisâtres évoquant le mal-être.
La créatrice du projet "The Depressed Cake Shop" vend des gâteaux grisâtres évoquant le mal-être.
©Depressedcakeshop.com

Autoflagellation calorique

En réaction à l'explosion des pâtisseries dégoulinantes de couleurs et de décorations kitsch, une Anglaise a lancé les "depressed cakes". Ces gâteaux - gris, moches, mais délicieux - rencontrent un franc succès.

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard

Catherine Grangeard est psychanalyste. Elle est l'auteur du livre Comprendre l'obésité chez Albin Michel, et de Obésité, le poids des mots, les maux du poids chez Calmann-Lévy.

Elle est membre du Think Tank ObésitéS, premier groupe de réflexion français sur la question du surpoids. 

Co-auteur du livre "La femme qui voit de l'autre côté du miroir" chez Eyrolles. 

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Atlantico : À l’initiative de l’Anglaise Emma Thomas, alias Miss Cakehead, se sont développés avec un grand succès les Depressed Cake Chops qui vendent des gâteaux grisâtres, moches, évoquant le mal-être mais délicieux. Un projet similaire serait également sur le point d'être lancé en France. Comment expliquer ce paradoxe du succès de nourriture « laide » dans une société qui ne jure que par l’aspect de ce que mange ?

Catherine Grangeard : Tout est toujours relatif. L’art nous a habitués au laid, disent certains ! Le gâteau moche fait parler de lui, comme le tableau moche, idem le vêtement, etc. Certains tableaux modernes ressemblent aux peintures d’une école maternelle. Il y a dans la nouveauté quelque chose d’assez snob, parfois.

Certains gâteaux ont une allure décourageante. Il arrive qu’ils soient fort bons… Ainsi, nous revenons à quelque chose de connu. Pas beau dehors, bon dedans. Il y a quelque chose de l’enfance associé à cela, un paradoxe de la période actuelle, si déprimante sous de nombreux aspects. L’opposition bon/beau renforce presque le plaisir pris à déguster avec la bouche ce qui n’est pas apprécié avec les yeux. On peut aussi comprendre d’apprécier de revenir au goût pour de la nourriture. L’aspect a parfois tellement primé sur un goût… médiocre. L’emballage plus que le contenu.

Crédit photo : depressedcakeshop.com

Les produits les plus addictifs et les plus jubilatoires - Nutella, glaces etc. - ne sont pas nécessairement les plus beaux. Quel est réellement l’impact du visuel dans le rapport à la nourriture ?

Les aliments que vous citez sont des aliments régressifs. On ne les mâche pas, comme les jeunes enfants sans dents… ils sont sucrés, gras. Ce n’est pas leur aspect qui importe. Il existe des mets plus élaborés, qui associent le regard et le goût. La nouvelle cuisine est basée sur ces principes, il y en a peu dans l’assiette, c’est tout l’inverse du rassasiement qui est recherché. On est dans les subtilités du palais. La cuisine traditionnelle est encore différente, à la fois bonne au goût et elle remplit sa fonction nourricière. On n’a plus faim en sortant de table mais on ne lui demande pas visuellement d’émouvoir. Tous ces registres coexistent de nos jours. Selon les humeurs, on passe de l’un à l’autre. Selon les goûts aussi, ça remplit aussi des fonctions différentes. Si vous voulez éblouir une personne, vous ne lui servez pas – généralement - de la pâte à tartiner…

Crédit photo : depressedcakeshop.com/Miss Insommnia Tulip

Peut-il y avoir une dimension « antidépresseur » , expiatoire, quant à consommer de tels gâteaux ?

Manger quelque chose qui n’est pas engageant et qui se révèle fort bon est jubilatoire, on ne s’y attendait pas ! A l’inverse, la vue d’un mets très beau fait déjà saliver, il peut facilement s’avérer décevant.

Ensuite, ce qui peut avoir cette fonction antidépresseur, indubitablement, c’est le retour en enfance, où le bon prime sur le beau. Se faire plaisir à faire un gâteau, soi-même, tout seul, ça le fait trouver merveilleux en dépit de certains critères esthétiques ultérieurs. L’enfant est fier d’avoir su faire, eh bien, retrouver cela, au travers d’un gâteau assez moche, ça peut faire vraiment du bien !

Il se peut que certaines personnes se décomplexent à manger une pâtisserie  « même pas belle » ! Elles seront gourmandes, certes, mais sans que le plaisir de la vue soit convoqué. Juste les papilles ? Ce serait l’idée de se faire juste un peu plaisir, peut-être…

Peut-on voir dans ce succès une forme d’auto-flagellation quant au fait de consommer un produit sucré et calorique ?

Non, l’autoflagellation vient après. Les gens qui pensent qu’ils ne devraient pas, souvent pour des raisons d’apport calorique que constitue le gâteau (par ex.) alors qu’ils ont un problème d’excès de poids, et qui le font quand même cherchent, soit à se faire plaisir, sur l’instant, parce qu’ils ont très envie de tel aliment, soit c’est un affreux besoin de se remplir d’un truc lourd, qui comble un vide, sans recherche de plaisir. Sur le moment, la réflexion est suspendue. Après viennent les reproches, les remords. Si quelqu’un a envie de ce type de gâteau, c’est parce qu’il est bon, au goût. La recherche n’est pas à d’autres niveaux, puisqu’il n’est pas beau.

Certains produits industriels n’ont aucune esthétique, certains ne sont même pas bons au goût. Alors, c’est un progrès, non ?

Crédit photo : depressedcakeshop.com/Secret Marmalade

Cela traduit-il plus généralement une exaspération des Occidentaux quant à la mode de la cuisine et et ses pendants qui semblent parfois artificiels ?

Oui, le superficiel de la mode, en général, de la société d’hyperconsommation se fait sentir un peu partout, dans tous les domaines. Le retour à des plaisirs simples, le besoin de nature, le repli sur la famille, moins de sophistication, cela coexiste avec tout le reste de la société hyper-matérialiste. Tout est HYPER, même ce goût finalement de choses un peu moches. Quoique… c’est peut-être la coexistence qui rassure. On peut aimer le moche si le beau se trouve à proximité… Tout ces « moche/beau » sont relatifs. A partir de quoi sont-ils définis, etc. L’enfant qui fait son gâteau le trouve beau même s’il est raplapla. Ses parents aussi souvent. Dans cette valorisation actuelle, il y a fortement ce côté régressif, rassurant.

Il y a aussi la culpabilisation de manger ce qui est interdit par la morale bien-pensante diététique qui règne et instaure la minceur la plus extrême en norme. Alors, se manger un gâteau même pas beau, c’est moins culpabilisant ?

Peut-être est-ce juste un des mouvements de balancier de notre société à l’affût de toujours inventer du neuf…

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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