Malika Sorel : « Sur les tenues religieuses à l’école, Pap Ndiaye fait le choix de la lâcheté » <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Service central du renseignement territorial a publié une note confidentielle faisant état de 144 entorses à la loi de 2004 sur la laïcité au deuxième trimestre 2022 dans les établissements scolaires.
Le Service central du renseignement territorial a publié une note confidentielle faisant état de 144 entorses à la loi de 2004 sur la laïcité au deuxième trimestre 2022 dans les établissements scolaires.
©Ludovic MARIN / AFP

Hausse des incidents

En réclamant plus d’informations sur le nombre d’incidents liés au port de tenues religieuses traditionnelles à l’école, le ministre feint d’ignorer que tout est déjà juridiquement tranché et connu. Y compris l’impact sur les résultats scolaires.

Malika Sorel

Malika Sorel est Ancien membre du Haut Conseil à l’intégration. Auteur de "Les Dindons de la Farce" (Albin Michel, février 2022) et "Décomposition française" (Fayard, 2015) qui a reçu le prix « Honneur et Patrie » de la Société des Membres de la Légion d’Honneur.

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Atlantico : Le Service central du renseignement territorial (SCRT) a publié le 8 juin dernier une note confidentielle faisant état de 144 entorses à la loi de 2004 sur la laïcité au deuxième trimestre 2022 dans les établissements scolaires, contre 97 faits similaires recensés le trimestre précédent. Cette note, révélée par RTL, précise que les incidents scolaires liés au voile islamique et aux tenues traditionnelles se multiplient. Peut-on penser que ces chiffres représentent véritablement l’ampleur du phénomène ?

Malika Sorel : Cela correspond aux seuls signalements qui remontent à l’échelon national. Or nous savons depuis longtemps que pour diverses raisons, des établissements ne signalent pas les incidents qui se produisent en leur sein. C’est un phénomène que nous observions déjà lorsque je siégeais au sein du Haut Conseil à l’Intégration. Il y avait de l’autocensure par crainte que cela puisse conduire à la « stigmatisation » des quartiers de l’immigration, ainsi qu’un prégnant sectarisme de gauche qui place l’esprit partisan avant le service de la France, conduisant à masquer des incidents pour ne pas prendre le « risque » d’alimenter un vote au profit des partis classés à droite de l’échiquier politique. Et certains chefs d’établissements, et même des enseignants, ne soutenaient pas leurs propres collègues confrontés à des situations critiques, trouvant bien plus confortable d’imputer la responsabilité des incidents à la manière dont ces enseignants appréhendaient leurs classes, préférant alors parler besoins de formation et autres pédagogies plutôt que de regarder la réalité en face. Au lieu d’agir avec autorité lorsque cela était encore possible de manière sereine, c’est la fuite en avant et le laisser-aller qui ont prévalu, interprétés comme un laisser-faire par un certain nombre d’élèves et de familles.

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Le nombre d’incidents exploserait si une proportion importante des enseignants n’en était pas réduits, par peur, à pratiquer l’autocensure. Selon une étude de l'Ifop datée de septembre 2020, ce sont en effet près de 40% des enseignants qui déclarent se censurer pour ne pas créer de problèmes avec les élèves. Dans les Zones d’Éducation Prioritaires – traduire zones où la proportion d’élèves issus de l’immigration domine –, ils sont plus de 50 % à pratiquer l’autocensure ! C’est dans cette peur et dans le climat d’insécurité qui s’est installé dans les établissements scolaires de nos villes et de nos campagnes, qu’il faut chercher les raisons de l’effondrement de la vocation du métier d’enseignant.

Dans quelle mesure la distinction entre vêtements et signes culturels d’un côté et religieux de l’autre est-elle parfois difficile à faire ?

Cette question me rappelle la période de discussions autour de l’interdiction du port de la burqa. Des parlementaires, pour se justifier ou « s’excuser », en étaient venus à s’ériger en islamologues et expliquer que la burqa n’était pas une prescription coranique. Si l’on suit leur raisonnement, il eût suffi que quelqu’un leur fasse la preuve du contraire pour qu’ils s’abstiennent de l’interdire... Qui eût pu croire, il y a seulement quelques décennies, que la France en arriverait là ? Parfois, au vu des débats, on peine à croire que nous sommes encore en France, et c’est le célèbre refrain de Michel Sardou « ne m’appelez plus jamais France » qui résume le mieux ce qui advient. En vérité, il ne fallait pas se poser cette question de distinction entre signes cultuels ou culturels ; c’est pourtant dans ce piège que la société française s’est laissé entraîner. Il convenait de tout analyser au travers du filtre des principes, valeurs et normes culturelles qui fondent le pacte moral et social – donc le pacte politique –  qui lie les Français entre eux et en font un peuple. Tout ce qui ne correspondait pas devait être écarté, car il était évident que le viol du pacte politique finirait par mettre en danger le principe même de cohésion nationale. Ce raisonnement, c’est celui qui est à l’œuvre dans tous les peuples sur terre et c’est d’ailleurs sur cette même base que les Algériens se sont un jour levés. Certes sur le papier l’Algérie était française mais dans les faits, elle ne l’était ni dans son âme ni dans son esprit.

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Maintenant, si vous voulez vraiment savoir ce qui relève du culturel ou du cultuel, je vous répondrai que cette question a déjà été tranchée et que la réponse se trouve dans un document public dont je cite de larges extraits dans Les dindons de la farce, document signé par les ministres européens chargés des questions de migration, réunis les 17 et 18 septembre 1991 à Luxembourg. On y lit que « pour de nombreux immigrés et membres des groupes ethniques, l'identité culturelle se confond largement avec la religion » et que « des problèmes peuvent surgir lorsque les pratiques ou les sensibilités religieuses des immigrés sont étrangères ou contraires aux traditions de la société du pays d'accueil ». L’identité culturelle et l’identité religieuse tendent donc à se confondre et c’est pourquoi on observe parfois une rapide montée des tensions sur le terrain lorsqu’un évènement ou une prise de parole est perçu comme une atteinte ou un manque de respect à une composante de l’identité.

Au sujet du voilement des femmes, voici ce que disait Tahar Ben Jelloun en 2016 sur France Culture : « le corps de la femme est le principal objet de fixation chez certains musulmans. C’est pour cela qu’on cherche à ce que le corps des femmes ne s’exprime pas, qu’il ne se dévoile pas, qu’il ne soit pas libre. Alors, on le cache. » Qui peut sérieusement prétendre que cette vision de la femme correspond à l’identité française ?

« J’ai besoin de données avant de pouvoir agir », explique Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale. S’il faut évidemment quantifier le phénomène, n’y a-t-il pas une action de principe à mener ?

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Pour agir dans la direction qui s’impose, il n’est nul besoin d’en savoir davantage, car tout est déjà connu. Depuis l’affaire du voile à Creil, ces questions n’ont jamais disparu, pas même après la loi de 2004. Pas une année scolaire sans tentative de remise en cause de l’ordre culturel établi, que ce soit la contestation de certains contenus scolaires, le refus de participer à des activités sportives ou encore l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées. Dès 2007, le linguiste Alain Bentolila avait remis un rapport à Xavier Darcos, alors ministre de l'Éducation nationale, évoquant l'existence de problèmes de compatibilité culturelle entre l'école et la maison pour ces « enfants venus d'ailleurs », selon son expression. Dans mon livre je cite un grand nombre de sources, dont Hugues Lagrange, qui écrit en 2013 que « depuis deux décennies, une tendance néotraditionnelle s'est développée au sein de la deuxième génération venue d'Afrique sahélienne, de Turquie et du Maroc, notamment. En matière religieuse aussi bien qu'au sujet du mariage et de la conception des rôles sexués, de nombreux descendants de migrants ont adopté des positions hypertraditionnelles, franchissant à rebours le chemin que la génération de leurs parents avaient suivi à la fin des années 1970. » Plus récemment, en décembre 2021, le ministère de l’Éducation Nationale communiquait sur l’augmentation du nombre d’incidents à l’école depuis « l’affaire » Samuel Paty ! 614 cas étaient alors recensés depuis la seule rentrée.

Toutes ces dernières décennies, qu’a-t-on fait au juste sur le plan politique pour remédier à ces situations et protéger notre société d’une spirale de violences dues à un vivre ensemble qui se meurt sous nos yeux ? On a persisté à accueillir d’importants flux migratoires alors que la plupart des pays d'immigration s'étaient engagés, depuis déjà de longues années, dans un processus de retour à la religion comme principe organisateur de la cité, y gommant ainsi les transformations qui avaient été apportées au fil des siècles.

Nous sommes dans un moment où la concorde civile exige que les principes qui font le peuple français soient appliqués sur le sol français, et ils ne peuvent l’être que par des gens déjà convaincus eux-mêmes de l’urgence qu’il y a à agir. Mais le plus grand frein est la pratique de l’électoralisme et du clientélisme par une classe politique qui s’est elle-même piégée avec l’évolution de la démographie électorale, évolution faite dans le mépris du Code civil qui imposait que l’octroi  de la carte d’identité, donc de la carte d’électeur, soit subordonné à la réussite de l’assimilation.

Quelle est la solution face à cette situation ? Des interdictions supplémentaires ne seraient-elles pas un remède pire que le mal ?

Les Occidentaux (et encore, pas tous !) ont mis des siècles à prendre ne serait ce qu'un peu de recul vis‑à-vis de leurs convictions religieuses. Du fait même de l'évolution démographique actuelle du public scolaire, il importait que l'école demeurât plus que jamais le sanctuaire qu'elle a longtemps été. En y laissant entrer les expressions religieuses, les adultes occidentaux ont fait quitter à nombre d’enfants de l’immigration musulmane leur statut d'élèves pour revêtir l’habit du croyant. Tour à tour, ces élèves endossent alors la robe du juge ou celle de l'avocat ; cela commence très tôt, comme le mettent en lumière aussi bien le rapport Bentolila sur la maternelle, que Jean-Pierre Obin soulignant en octobre 2020 que plus d’un tiers des signalements d’atteinte à la laïcité concernent le primaire. Dans nombre de familles de l’immigration, l’exigence d'allégeance spirituelle des enfants envers leurs parents est puissante, considérable. Aussi, les Occidentaux se sont fourvoyés en pensant qu'il convenait d'augmenter la pression et les sanctions envers les mineurs, quand il fallait tout au contraire faire peser la pression sur les parents, et placer ceux-ci face à leurs responsabilités, y compris en les contraignant à réparer les agissements de leurs enfants.

Quand la dispute est potentiellement partout, la sérénité, si importante pour les apprentissages, n'est nulle part. Dans l'édition 2018 de l'évaluation PISA, la France se « distingue » comme l'un des trois pays où les plus grandes préoccupations des élèves sont liées aux problèmes de discipline en classe. Dans les classements internationaux, voilà déjà quinze ans que la proportion d'élèves qui tirent le classement de la France vers le bas est de plus en plus forte et que, dans le même temps, les meilleurs élèves sont de moins en moins bons pour ce qui concerne les mathématiques. Dans l'édition 2019 de TIMSS (Trends In International Mathematics and Science Study), la France est tout simplement classée dernière des pays de l'Union européenne. Stop ou encore ? Dans tous les pays musulmans, dès lors que les conditions d’une course au rigorisme et au fondamentalisme ont été réunies, la paix civile et l’insouciance ont fini par s’envoler, entraînant avec elles l’espoir d’un développement économique qui puisse répondre au défi de l’explosion démographique. Que veulent au juste les Français ? Que leur société subisse le même sort ? Il est arrivé que les Français se posent la question du comportement qu'ils eussent adopté s'ils s'étaient trouvés à la place de leurs aïeux dans les années 1940. La réponse, chaque Français l’a sous ses propres yeux.

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