Malika Sorel : « Que ce soit face aux étudiants de Sciences Po, face aux délinquants ou face aux islamistes, l’Etat est comme un bateau ivre qui laisse la société française démunie »<!-- --> | Atlantico.fr
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Malika Sorel, actuelle numéro 2 sur la liste du RN pour les élections européennes.
Malika Sorel, actuelle numéro 2 sur la liste du RN pour les élections européennes.
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Comment se relever ?

La numéro 2 sur la liste du RN pour les élections européennes, Malika Sorel, se confie sur l'état de la France. Pour elle, la perte d'autorité à tous les niveaux marque la démission des représentants de l'Etat.

Malika Sorel

Malika Sorel est ancien membre du Haut Conseil à l’intégration. Auteur de Les Dindons de la Farce (Albin Michel, février 2022) et Décomposition française (Fayard, 2015) qui a reçu le prix « Honneur et Patrie » de la Société des Membres de la Légion d’Honneur. Elle est numéro 2 sur la liste du RN pour les élections européennes de 2024.

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Atlantico : Quel est votre regard sur les derniers évènements qui se sont produits à Sciences Po Paris ?

Malika Sorel : J'ai ressenti beaucoup de peine. J'ai repensé à l'époque où c'était un havre de paix, un temple du savoir où il faisait bon vivre. C'est tellement triste pour les élèves ainsi que pour notre société ! Mais Sciences Po avait amorcé sa dérive il y a longtemps, dans une indifférence quasi-générale et même, à certains moments, en bénéficiant d'approbations et encouragements. Nous récoltons aujourd'hui les fruits amers de changements majeurs opérés à l'époque de Richard Descoings et de ceux qui l'ont accompagné dans cette aventure. Il y eut la rupture avec la méritocratie républicaine pour la sélection d'une partie des élèves, ainsi que l'ouverture de plus en plus conséquente à des étudiants venus de l'étranger au détriment d'étudiants français, avec de surcroît, comme dans bien d'autres établissements ou grandes écoles, l'abandon progressif de la langue française au bénéfice de la langue anglaise. Aujourd'hui, la moitié des élèves de Sciences Po sont étrangers. La langue n'est aucunement un moyen de communication banal. Au travers de la langue, c'est aussi une vision des autres et du monde que l'on transmet. Une occasion a été manquée de faire de ces étudiants étrangers des ambassadeurs de la langue française et de l'esprit français, ou à tout le moins des sympathisants. Aussi, il n'est pas surprenant de voir les fureurs du monde y être importées par une partie des élèves qui vivent à l'heure anglo-saxonne.

Il y eut également, dans un même temps, l'abandon de la méritocratie républicaine pour une part des étudiants, approche qui repose sur l'idéologie de la repentance et l'accusation nourrie de la société française, société qui est accusée d'être responsable et coupable des malheurs des enfants de l'immigration. Je veux parler des conventions ZEP pour lesquelles Richards Descoings fut adulé en son temps. Au lieu d'aider les élèves à atteindre le niveau requis pour y entrer et gagner ainsi la reconnaissance de leurs pairs, comme ont su le faire d'autres établissements, il a préféré imposer l'abandon de l'égalité républicaine. Cette approche par la discrimination positive, et je l'ai souvent écrit dans mes livres, aura largement participé à injecter le poison de la haine et du ressentiment dans notre société. Si des parents commettaient l'erreur, lourde de conséquences, d'attribuer à un membre de la fratrie les malheurs ou déconvenues de tous les autres membres de la famille, c'est ce même résultat qui serait atteint, sans l'ombre d'un doute.

Je me souviens d'Assemblées Générales des Anciens élèves où Richard Descoings nous tenait des propos extrêmement durs sur la société française, sa mentalité, son esprit, sur le fait qu'il était injuste que les frais de scolarité soient identiques pour tous, qu'il fallait que nos enfants, parce que nécessairement privilégiés - selon son schéma mental -,  devraient s’acquitter de frais de scolarité élevés afin de payer ceux des enfants des autres. Le pire, c'est que l'amphi Boutmy résonnait alors des applaudissements nourris des Anciens. Cela me sidérait, à plus d'un titre...

Plusieurs cas de menaces contre des personnels de l’Education nationale ou de l’Islam ont été rapportés par les médias dernièrement. S’agit-il selon vous de cas relativement isolés mais prenant une grande résonance à cause des drames connus par Samuel Paty ou Dominique Bernard ou d’une vraie détérioration de la situation ?

Chaque jour apporte son lot de révélations, sans compter toutes les personnes qui taisent leur situation. Selon un rapport du Sénat du mois dernier, ce sont 100.000 enseignants qui, chaque année, sont victimes de menaces, voire d’agressions. Donc non, nous n’avons pas affaire à des faits isolés mais à un tsunami de violence qui se déchaîne contre tous ce qui peut incarner, de près ou de loin, un symbole de la République française. Un enseignant sur deux déclare par ailleurs s’autocensurer par peur de ses propres élèves. Cette autocensure est extrêmement préoccupante en cela qu’elle révèle le climat de peur, parfois de terreur, dans lequel enseignants et élèves évoluent, ce qui n’augure rien de bon pour le devenir du niveau scolaire en France, donc celui de l’économie. On perd bien trop souvent de vue que santé de l’économie, niveau de vie des individus au sein de la société, et performances scolaires sont étroitement corrélés.

Il n’y a pas qu’à l’école que des problèmes de sécurité se posent. Il suffit d’observer la croissance des démissions chez les enseignants et la police pour saisir la gravité de la situation. Lorsque je siégeais au sein du Haut Conseil à l’intégration, nous étions parfaitement informés de menaces et agressions qui se produisaient au sein des hôpitaux ou des universités. En réalité, aucun espace de vie, ni territoire de France, n’est plus épargné. La douce France que j’ai connue en arrivant d’Algérie est en voie d’extinction.

L’État vous paraît-il avoir pris conscience de la situation ? 

Pour une expulsion, combien demeurent sur le territoire et continuent de fouler au pied les principes républicains qui structurent l’identité de la France et des Français, sans qu’aucune sanction efficace ne tombe ? Tout cela entretient un sentiment d’impunité qui ne dissuade pas le passage à l’acte.

L’État m’apparaît comme un bateau ivre et notre société bien démunie. Ce qui est le plus préoccupant, c’est la perte de l’autorité de l’État, le fait que les représentants de l’État, à tous les niveaux, ne parviennent plus guère à susciter le respect et encore moins à l’imposer. Les raisons en sont multiples. Même si nous vivons une accélération du processus, ce qui advient est le résultat de décennies de laisser faire et même d’actions politiques à rebours de la défense de l’intérêt général. Il y aurait tant à dire. Depuis près de vingt ans, je n’ai eu de cesse d’alerter. Je pense, entre autres, à toutes les mesures contre-productives qui ont été déployées et qui s’appuyaient sur la repentance, donc sur la culpabilisation de la société d’accueil et dans le même temps, sur la déresponsabilisation des individus et des familles. Comment se faire respecter lorsque l’on s’auto-flagelle en permanence, et que l’on se décrète coupable des tous les maux ? C’est impossible !

Prenez le cas du proviseur du lycée Maurice-Ravel qui a simplement souhaité faire respecter la neutralité religieuse et cela, faire respecter les lois de la République. Comment pouvait-il y parvenir alors même que le président de la République, lors d’un déplacement, avait dit trouver « beau » de rencontrer une femme voilée et « féministe ». Rappelons ici l’analyse de l’islamologue Abdelwahab Meddeb, publiée dans Le Monde du 27 décembre 2009, selon lequel : « Il n’y a pas de différence de nature ni de structure mais de degré et d’intensité entre burqa et hijâb, lequel est rien qu’en lui-même une atteinte au principe de l’égalité et de la dignité partagées entre les sexes. » Nous sommes confrontés à un manque cruel de cohérence et cela a largement participé à la perte de l’autorité de l’État.

Les représentants de l’Islam de France sont souvent plus enclins à dénoncer les discriminations dont seraient victimes les musulmans en France qu’à faire entendre leur soutien aux personnes menacées au nom de leur religion. Serait-il justifié à vos yeux de leur demander de faire activement plus ?

Non. Dans une démocratie, chaque individu doit être placé face à ses responsabilités. Penserait-on utiliser les prêtres comme relais ? Les politiques n’ont eu de cesse de violer la loi de 1905 alors même qu’ils ont pour première obligation de respecter et de faire respecter les lois. Depuis Pierre Joxe qui a initié la volonté d’organiser l’islam en France, le pouvoir politique s’est égaré, a fait fausse route. Tous les gouvernants, sans aucune exception, se sont lourdement trompés en voulant institutionnaliser des interlocuteurs qui s’exprimeraient au nom de tous les citoyens de confession musulmane. Tout au contraire, il convenait que l’État ne se mêle pas d’organiser le culte musulman, et ménage ainsi aux croyants un chemin vers l’émancipation, de sorte qu’ils puissent réussir, comme d’autres avant eux, à conjuguer foi et citoyenneté. Aujourd’hui encore, l’État persiste à agir à rebours de ce qu’il conviendrait de faire.

L’État aurait dû se concentrer sur le fait de contrôler les conséquences des pratiques religieuses et sanctionner, le cas échéant, dès lors qu’une pratique contrevenait au respect des principes républicains tels que la liberté individuelle, l’égalité homme-femme et la neutralité religieuse, et que la personne, après en avoir été informée, refusait de modifier son comportement.

En organisant, en instituant des responsables musulmans, ils ont en réalité bâti une communauté qui exerce une pression sur chaque personne censée lui appartenir de pas sa seule naissance, rendant ainsi extrêmement difficile ne serait-ce que la simple insertion culturelle au sein de la société, sans même parler d’intégration culturelle et encore moins d’assimilation. J’engage les lecteurs à lire le contenu de mon audition par Simone Veil dans le cadre de la révision du Préambule de la Constitution pour qu’ils saisissent à quel point l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Mon audition est disponible en ligne sur le site de la Documentation française ou encore sur mon blog.

Vous avez énormément travaillé sur les problématiques juridiques comme sociologiques de l’intégration des immigrés et vous avez notamment souligné la responsabilité des élites françaises dans le séparatisme qui s’est installé en France. Que faire pour rattraper le temps perdu ?

Comme le dit si bien Juliette Gréco, le temps perdu ne se rattrape plus. Le redressement sera long et difficile. La première étape et elle est décisive est de sortir du déni et d’accepter de regarder la réalité en face. La prise de conscience a déjà eu lieu pour une belle part de la population qui subit les conséquences de l’impéritie des élites de gouvernement, mais pas chez ce que j’ai appelé les élites de commandement, celles qui participent directement ou indirectement à décider de la trajectoire. Parmi ces élites, il y les politiques, la haute administration mais également la presse, le monde des arts et de la culture, pour ne citer qu’eux.

Pour espérer sauver la France, il faut, comme je l’ai toujours écrit, traiter tous les sujets de manière simultanée : flux migratoires ; école ; responsabilité parentale ; droit de la nationalité ; méritocratie républicaine, laïcité, etc.

Les enquêtes sur les menaces proférées par la voie du système de messagerie électronique de l’Éducation nationale ont pour partie abouti à l’identification de lycéens n’ayant rien à voir avec l’islamisme. Que vous inspire ces comportements et la facilité avec laquelle les menaces de mort sont désormais formulées dans ce pays ?

Nous sommes dans une société où la responsabilité est diluée, ce qui ouvre la voie à une impunité qui, peu à peu, détruit toute possibilité de bien vivre ensemble. Il ne faut pas négliger non plus un mal-être profond et croissant, au sein des sociétés occidentales, qui amène beaucoup à vouloir exister et cela passe à leurs yeux par le fait d’être repéré. La course effrénée au nombre de « like », au nombre de « vues » ou au nombre de « retweets » sont autant de manifestations d’une grande solitude intérieure, d’un besoin d’amour, d’affection et de réassurance.

Un visionnaire avait anticipé ce qui advient. Il s’agit d’Alexis de Tocqueville dont je n’ai eu de cesse de rappeler les prophéties. Un autre a tracé la voie qui permet à chacun de trouver son utilité dans la chaine des échanges au sein de la société. Il s’agit du penseur Marcel Mauss, de sa lumineuse approche de l’impératif du don contre-don afin que chacun s’intègre, trouve sa place et œuvre ainsi au maintien de la cohésion nationale. Empêcher autrui de participer à cette chaine des échanges, c'est une manière de le maintenir dans une position d'infériorité qui alimente la frustration et nourrit la violence contre la société. Pour Marcel Mauss, le travail est indispensable à la bonne santé des relations inter-personnelle au sein d'une société. Voici ce qu'il nous en dit et qu'il convient, plus que jamais, de méditer à une heure où notre société se délite : « Il faut que l’individu travaille. Il faut qu’il soit forcé de compter sur soi plutôt que sur les autres. D’un autre côté, il faut qu’il défende ses intérêts, personnellement et en groupe. L’excès de générosité et le communisme lui seraient aussi nuisibles et seraient aussi nuisibles à la société que l’égoïsme de nos contemporains et l’individualisme de nos lois ».

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