Maîtriser les coûts des médicaments mais asphyxier l’industrie pharmaceutique ou le bilan de 20 ans de politiques françaises de la Santé <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Une employée de pharmacie, à Colomiers (France), en mars 2023. (Photo par Valentine CHAPUIS / AFP)
Une employée de pharmacie, à Colomiers (France), en mars 2023. (Photo par Valentine CHAPUIS / AFP)
©Valentine CHAPUIS / AFP

Dilemme

Cela fait des années, maintenant, que la France s'est désigné un objectif en matière de politique de santé : garantir le bas coût, pour les patients, du médicament. Seulement, cela implique des arbitrages qui ne sont pas toujours les meilleurs pour le secteur pharmaceutique... et pourrait mettre en péril sa pérennité.

Olivier Redoules

Olivier Redoules

Olivier Redoules est le directeur des Etudes de Rexecode. 

 

Diplômé de l’École polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae), administrateur de l’Insee, Olivier Redoulès a débuté sa carrière à l’ Insee en 2008, au sein du département de la conjoncture comme économiste et statisticien, avant de rejoindre la Direction générale du Trésor en 2011.

Nommé conseiller financier à l’Ambassade de France en Suède puis en Turquie, il occupe ensuite les postes de Directeur des études économiques (2017-2019) et de Chef économiste (2019-2020) au Medef.

Avant de rejoindre Rexecode, il était Rapporteur général adjoint auprès du Haut Conseil des finances publiques et Conseiller référendaire en service extraordinaire à la première chambre de la Cour des comptes.

Il est par ailleurs membre du conseil d’administration de la Société d'économie politique.

Olivier Redoules a pris la direction du pôle Etudes de Rexecode en octobre 2022. Il est notamment chargé de l'évaluation de l'impact des politiques publiques sur le système productif, la compétitivité, l'emploi et la croissance.

Voir la bio »

Atlantico : Une récente note de Rexecode attirait l’attention sur les enjeux macroéconomique de la régulation, sur le plan économique, du médicament en France. A quels problèmes notre pays fait-il face, au juste ? Pourquoi s’inquiéter de la situation actuelle ?

Olivier Redoulès : Nous faisons face à deux problèmes croissants dont on commence maintenant à mesurer les effets. 

Le premier n’est autre que le risque d’affaiblissement de notre secteur pharmaceutique, un des piliers traditionnels de notre industrie. Bien sûr, pour l’heure il reste un secteur fort, en témoignent les chiffres de l’emploi, du commerce extérieur ou de la recherche et développement. Hélas, notre positionnement stratégique s’affaiblit de manière graduelle et ce depuis plusieurs années. C’est particulièrement visible comparativement à d’autres pays européens.

Deuxièmement, et on le voit de plus en plus, nous faisons face à des ruptures d’approvisionnement ainsi qu’à des problèmes d’accès aux médicaments. Tout cela n’est pas sans lien avec les politiques publiques, particulièrement celle que nous pointons chez Rexecode, concernant la régulation du prix des médicaments.

A certains égards, il semble aujourd’hui que la régulation économique du médicament en France soit confrontée à ses limites… Notamment au regard de la situation en Allemagne ou en Italie. Nos entreprises ont plus de mal à dégager des marges pour investir, à rémunérer leurs salariés… Qu’est-ce que cela implique pour l’avenir de ce secteur économique, notamment en matière d’indépendance du pays ?

L’indépendance du pays et l’avenir du secteur économique constituent, me semble-t-il, deux sujets différents quoique liés. 

Attardons nous d’abord sur le second : en économie, un secteur perd du terrain en termes de positionnement stratégique dès lors qu’il devient plus petit relativement à ses concurrents étrangers. Sauf à être positionné sur un marché de niche, il fait alors face à des coûts structurellement plus élevés, à des pertes de capacité de projection et d’investissement. 

Il faut bien savoir que les entreprises du médicament en France bénéficient généralement d’une portée mondiale. Il peut s’agir d’entreprises étrangères installées sur notre sol ou alors de sociétés françaises également implantées à l’international. Or, la localisation des sites de production obéit à des règles économiques ; en termes de rentabilité notamment, mais aussi de disponibilité des matériaux, des compétences, de l’existence d’un écosystème. Et la France perd du terrain à ce niveau relativement à ses compétiteurs.

Les marges et la rémunération diminuent progressivement, comme vous l’avez souligné. Cela pose évidemment la question de la pérennité et de la soutenabilité du modèle industriel français du médicament. Quand les grandes entreprises regardent où investir, elles s’interrogent évidemment sur ces questions.

L’indépendance est un autre sujet. Rappelons que, par la force des choses, la France importe une grande partie des médicaments qu’elle consomme, elle importe aussi beaucoup d’intrants pour la production nationale. Bien sûr, il y a une volonté de relocalisation de certains principes actifs, mais cela ne permettra pas de devenir autosuffisant sur tout. A échelle française, c’est une tâche infaisable. Peut-être pourrions-nous y arriver davantage à échelle européenne. La France représente un peu moins de 3% du marché mondial. Dès lors, quand la Sécurité sociale française négocie le prix des médicaments, elle prend le risque de renoncer à certains objectifs si sa priorité dans la négociation est le faible prix des médicaments. Placer l’objectif sur les prix bas, c’est potentiellement renoncer à la sécurité d’approvisionnement en continu (ce qui a un coût, il faut le rappeler).

Ces deux dernières décennies, cela a plutôt bien fonctionné : nous avons réussi à faire baisser les prix, ce qui a permis à la fois de maîtriser le reste à charge et de faire des économies budgétaires, tout en augmentant le volume de médicaments servi. Mais depuis quelques années, nous assistons à des tensions de plus en plus visibles, notamment en 2022 avec des pénuries sur certains médicaments de base.

Dans quelle mesure la crise sanitaire (et, peut-être, les difficultés de la France à produire un vaccin contre le coronavirus Covid-19 ?) a-t-elle pu jouer le rôle d’un lanceur d’alerte ? Peut-on parler d’une prise de conscience sur ces questions, depuis ?

Il y a là deux sujets à identifier, à mon sens.

D’abord, on peut de fait parler d’une certaine prise de conscience. La question des pénuries de certains composants ou matériels médicaux, par exemple, a permis d’illustrer certaines de nos faiblesses. Nous avons réalisé à quel point nous pouvions être dépendants de certains principes actifs importants produits dans des pays différents, en cas de rupture d’approvisionnement soudaine. Cela a été une piqûre, évidemment.

Ceci étant dit, c’était là quelque chose d’inévitable. Un pareil choc, à échelle mondiale, à la fois sur l’offre et la demande de biens médicaux, allait nécessairement se traduire par des pénuries. Et ce quelle que soit la politique de médicaments mise en œuvre, sauf à tout stocker à l’avance (ce qui n’est pas possible d’un point de vue financier). 

Depuis quelques années, néanmoins, les chaînes d’approvisionnement et le commerce de médicaments à échelle mondiale fonctionnent légèrement moins bien. On peut imaginer que l’expansion n’est plus aussi rapide que ce que nous l’avons connu entre 1995 et 2010, dans la phase d’expansion de la mondialisation, et des problèmes d’approvisionnement sont apparus. Cela concerne d’ailleurs d’autres produits manufacturés. Cela s’explique par un morcellement des échanges mondiaux, par exemple du fait de tensions politiques entre certains grands pays comme la Chine et les USA et plus généralement d’une montée en puissance des politiques protectionnistes.

Pour régler le problème, peut-être faut-il envisager une poussée des prix du médicament. Cela aurait-il un impact négatif sur le pouvoir d’achat et l’accès au soin des Français ? Comment conjuguer ces deux états de faits ?

On observe en France, à en croire les indicateurs de prix européens, une réduction du reste à charge des ménages depuis une vingtaine d’années. Ce n’est pas le cas en Italie ou en Allemagne, deux autres pays comparables. Il serait alors envisageable d’augmenter un peu le reste à charge (sans nécessairement le faire de la même manière pour chaque médicament), ce qui pourrait permettre de mieux rémunérer les producteurs… et donc de mieux garantir la continuité de l’approvisionnement. Et cela sans incidence sur la santé de la population, dès lors que ces hausses de prix sont proportionnées.

Quel rôle l’Etat pourrait-il jouer pour éviter une diminution de la capacité des Français à se soigner, sans pour autant handicaper notre industrie ? Quelle gouvernance mettre en place, selon-vous ?

 Je crois effectivement qu’il faut en arriver à une gouvernance plus cohérente. L’Etat doit faire preuve d’une certaine capacité d’arbitrage dans les missions qu’il se choisit et ses objectifs devraient être les suivants : 

·         Un reste à charge modéré, mais qui pourrait augmenter ;

·         Une continuité de l’approvisionnement ainsi qu’un bon accès aux médicaments de manière générale pour les Français ;

·         Une volonté de politique industrielle, car on ne peut pas se permettre de mettre en danger le secteur pharmaceutique.

 Nous naviguons dans une phase de désindustrialisation qui a déjà duré plusieurs décennies. Perdre ce moteur industriel constituerait un choc dont il serait difficile de récupérer. Difficile et long.

Il nous faut donc faire preuve d’une nouvelle gouvernance, qui prend en compte nos besoins en approvisionnement, mais aussi le risque ainsi que les contraintes susceptibles de s’imposer à la production (l’inflation, de manière conjoncturelle, mais aussi les coûts liés à la transition écologique, de manière structurelle). Cela passe aussi par la bonne identification des gains que peuvent engendrer certains médicaments innovants, en dehors du budget spécifiquement alloué au médicament. Certains de ces produits pourraient faire réduire les dépenses de santé au global. Si cela se traduit par davantage de recettes fiscales et sociales, du fait notamment des exportations, on peut aussi envisager d’augmenter légèrement les prix sur certains médicaments.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !