Mais que vont devenir les premiers criminels recrutés par Wagner pour combattre en Ukraine et désormais relâchés en Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Défense
Un piéton passe devant une peinture murale représentant les mercenaires russes du groupe Wagner sur le mur d'un immeuble à Belgrade, le 17 novembre 2022.
Un piéton passe devant une peinture murale représentant les mercenaires russes du groupe Wagner sur le mur d'un immeuble à Belgrade, le 17 novembre 2022.
©OLIVER BUNIC / AFP

Bombes en liberté

Après six mois sur le front ukrainien aux côtés de Wagner, des criminels russes ont obtenu l’amnistie suite à leur engagement. Selon le patron du groupe paramilitaire, Evgueni Prigojine, ces anciens prisonniers sont des "guerriers-nés".

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

Voir la bio »

Atlantico : Le chef du groupe paramilitaire Wagner a annoncé la libération et l’amnistie de prisonniers russes ayant accepté de combattre en Ukraine. Pourquoi sont-ils de retour en Russie ?

Viatcheslav Avioutskii : Evgueni Prigojine, le chef de Wagner, lorsqu’il a commencé à recruter des prisonniers, a promis à ces anciens détenus un pardon après six mois de présence sur le front. Ce recrutement de prisonniers avait débuté au mois de juin 2022. Les premiers survivants ont donc été « libérés ». Ils ont pu bénéficier de ce pardon. Il faut souligner que sur la vidéo dans laquelle Prigojine s'adresse à ce groupe de prisonniers, on voit beaucoup d'individus qui sont mutilés ou grièvement blessés.

Le statut de Wagner pose question. Prigojine a reconnu officiellement être à la tête du groupe il y a quelques mois seulement. Ce groupe paramilitaire était très opaque et une organisation où le secret règne. Wagner n’a pas de statut adéquat dans le champ juridique russe. Le terme qu'on utilise pour l'appeler dans la presse, à savoir "société de sécurité privée", ne correspond pas à ce que cette organisation fait réellement. Les sociétés de sécurité privée en Russie sont généralement impliquées dans la surveillance de supermarchés. Or, Wagner est une unité de combat qui est engagée sur plusieurs fronts, en Ukraine et à l'étranger. Elle peut être considérée comme une organisation armée illégale. De facto, ce groupe est une mini-armée privée.

Wagner a néanmoins un lien direct avec l’armée officielle et dispose d’une force de frappe réelle avec des chars, de l’artillerie et même des avions de combat.

À Lire Aussi

L’inquiétante montée en puissance des réseaux criminels au sommet du pouvoir russe

Pour le pardon promis par Prigojine auprès des anciens prisonniers incorporés au sein de Wagner, dans la loi russe, la seule personne qui a le droit d’accorder ce pardon est Vladimir Poutine lui-même. Le chef de l’Etat a le droit d’accorder le pardon ou une grâce.

En étudiant les chiffres des personnes pardonnées par Vladimir Poutine depuis plusieurs années (entre 20 à 30 personnes), il a très peu accordé ce pardon. Avec l’arrivée au pouvoir de Poutine, le nombre de pardonnés a diminué par rapport au règne de Boris Eltsine.

Selon la législation russe, il existe toute une procédure très stricte qui conduit à un pardon. Un dossier est constitué et est examiné par la prison, la police et les magistrats.

Les conditions pour bénéficier du pardon sont très exigeantes. Les personnes touchées par des maladies graves, au seuil de la mort, peuvent être libérées pour des raisons de santé avant leur décès.

Combien de soldats de Wagner sont en Ukraine ? Et combien d’anciens prisonniers pardonnés sont revenus en Russie ?

Ces chiffres ne sont pas connus et ne sont pas transparents. Les ONG qui s’occupent du sort des prisonniers et qui se sont penchés sur la question des recrutements  par Wagner pour combattre sur le front ont avancé le chiffre de 20.000 personnes.

Vladimir Poutine avait lancé un appel à la mobilisation pour 300.000 individus. Il avait aussi évoqué la présence de 20.000 volontaires.

Selon toute vraisemblance, des dizaines de prisonniers seulement sont pour le moment revenus en Russie. Des vidéos ont circulé montrant que ces anciens criminels revenaient mutilés du front, après avoir perdu un bras, un pied ou une jambe. Ils étaient décorés par Evgueni Prigojine.  Il leur a alors donné ce pardon officiel.

À Lire Aussi

Ces technocrates russes qui ne voulaient pas de la guerre mais qui ont permis à Poutine de limiter la casse économique

Beaucoup d’ONG ont tenté d’alerter l’opinion publique en indiquant que ces individus n’étaient pas protégés et qu’ils n’avaient pas le statut de soldat. Ils ont été utilisés comme de la chair à canon par Wagner.

Selon ces ONGs, directement connectés aux prisonniers et leurs proches, en juin et en juillet 2022, en l’espace de quelques semaines, jusqu’à 80 % des personnes recrutées dans les prisons qui se trouvaient sur le front, notamment dans la région de Bakhmout, avaient déjà été tuées lors des combats face aux forces ukrainiennes. Les prisonniers recrutés par Wagner ont connu des pertes massives, bien supérieures à l’armée russe régulière.

L’illustration de cette brutalité de la guerre concerne un ancien prisonnier mobilisé sur le front par Wagner qui avait été capturé par les Ukrainiens. Après son retour auprès des troupes russes lors d’un échange de prisonnier, il a été assassiné et tué à coups de marteau par Wagner. Cet assassinat atroce a été filmé et la vidéo a été largement diffusée pour dissuader les autres prisonniers de se faire capturer (il semble que beaucoup d'entre eux n'étaient pas très motivés et préféraient être fait prisonnier par les Ukrainiens que mourir sur le front). 

Selon de nombreuses ONG, il y a des exécutions extrajudiciaires systématiques parmi ces criminels. Certains d’entre eux ont tenté de déserter. Ils ont donc été éliminés.  

Ces dizaines ou ces centaines d’anciens prisonniers qui ont combattu pour Wagner et qui sont de retour en Russie ont obtenu le pardon de la part du chef de Wagner. Vladimir Poutine n’aurait donc pas signé formellement ces accords ? Cette procédure est-elle donc vraiment valable et adoubée par le pouvoir du Kremlin ?   

À Lire Aussi

Aider l’Ukraine pour en finir rapidement avec la Russie… ou pas : les Occidentaux ont-ils bien compris où était leur intérêt ?

Ces décisions sont prises dans l’opacité la plus totale. Dans une vidéo où l’on voit des anciens prisonniers mutilés qui ont réussi à obtenir le pardon et leur « libération », ils ont présenté des documents. La signature de Vladimir Poutine n’apparaît pas.

Tout laisse à penser que ce pardon a été accordé en connaissance de cause par le Kremlin et par Vladimir Poutine.  

Les statistiques sur la criminalité en Russie sont aussi très éclairantes. Le recours aux armes à feu a bondi dans plusieurs régions. Les criminels en Russie appartiennent souvent à de grandes organisations. Ces anciens prisonniers mobilisés étaient pour la plupart des tueurs en série ou des pédophiles qui ont commis des actes atroces. Avec la procédure du pardon, ils vont se retrouver en liberté. Vont-ils retourner en prison après avoir commis de nouveaux crimes ? Quels dommages vont-ils faire au sein de la société russe ? Ces individus sont aussi très fragiles sur le plan psychologique. Ces personnes nécessitent un accompagnement médical avant d'être réintégrés dans la société après avoir purgé leurs peines souvent très longues. Au lieu de cela, ils ont été envoyés sur le front... 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !