Mais que se passe-t-il vraiment en Russie avec le patron de Wagner ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd’hui, 80% des Russes soutiennent la guerre mais il y a beaucoup de nuances au sein de cette population : Prigojine pourrait donc rassembler, fédérer la population russe.
Aujourd’hui, 80% des Russes soutiennent la guerre mais il y a beaucoup de nuances au sein de cette population : Prigojine pourrait donc rassembler, fédérer la population russe.
©AFP

Tensions internes

Evguéni Prigojine, chef de Wagner, s’en est violemment pris à l’État et à l’armée russe dans plusieurs vidéos. Il a notamment dit que l'État russe n'était plus en mesure de protéger le pays et que l'armée mentait à Poutine.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Evguéni Prigojine, chef de Wagner, s’en est violemment pris à l’État et à l’armée russe dans plusieurs vidéos. Il a notamment dit que l'État russe n'était plus en mesure de protéger le pays et que l'armée mentait à Poutine. Comment interpréter son discours ?  

Viatcheslav Avioutskii : Ces discours nous montrent que la chaîne de commandement russe est définitivement rompue. Cela démontre aussi que Wagner constitue une entité autonome, voire indépendante. L’appel de Prigojine envers Kadyrov montre aussi que les kadyrovites font également partie d’une armée privée, au même titre que Wagner. Globalement, nous avons donc l’armée régulière ainsi que deux armées privées.  

Deuxièmement, ces prises de position montrent les ambitions politiques de Prigojine, qui se situe à l’extrême-droite de la scène politique russe. Il se positionne en patriote trahi par la hiérarchie et la bureaucratie. Plus étonnant, il qualifie l’armée d’incompétente, ce qui est plutôt vrai puisque les seules avancées surviennent sur les segments de front contrôlés par Wagner. Enfin, Prigojine souhaite adresser un message à Vladimir Poutine en personne. Il tient à rappeler qu’il a été engagé en Afrique, qu’il a eu beaucoup de succès mais qu’il a été obligé de se retirer, contre son gré, pour « sauver la situation » en Ukraine. En somme, il érige Wagner en sauveur, malgré un manque flagrant de munitions.  

Quel est l’objectif de Prigojine en publiant de telles vidéos ? 

On ne connaît pas son objectif réel. Pourtant, on peut faire des suppositions. Ses prises de position multiples nous indiquent qu’il veut jouer un réel rôle politique en Russie. Dans le contexte actuel, il s’agit donc de s’ériger en chef de guerre indépendant qui souhaite transformer son capital militaire en capital politique. Prigojine est d’ailleurs en conflit depuis très longtemps avec le gouverneur de Saint-Pétersbourg. Il accuse ce dernier de trahison et aimerait certainement prendre sa place. 

Ce discours de Prigojine peut-il permettre de changer des choses en Russie ? L’opinion russe peut-elle évoluer au sujet du conflit en Ukraine ? 

Les choses sont déjà en train de changer en Russie, mais cela ne va peut-être pas dans le sens souhaité par l’Occident. Je pense que la société russe se radicalise de plus en plus. D’ailleurs, si le discours de Prigojine est validé par le Kremlin, cela signifie qu’il trouve un public, un segment électoral dans l’opinion publique russe. Aujourd’hui, 80% des Russes soutiennent la guerre mais il y a beaucoup de nuances au sein de cette population : Prigojine pourrait donc rassembler, fédérer la population russe. 

Evguéni Prigojine annonce notamment que les soldats de l’armée régulière ont « fui » Bakhmut et que Vladimir Poutine a été victime de tromperie. Que penser de ces affirmations ?

En tant qu’ancien condamné, Prigojine ne devrait pas être médiatisé car il ne fait pas partie de l’élite. C’est tout le paradoxe dans la situation, puisque c’est la seule personnalité de premier plan qui parle des réalités de la guerre. C’est d’ailleurs lui qui a confirmé les pertes et le nombre de morts au sein de son unité. À ce titre, il a déjà parlé de plus d'une centaine de soldats de son unité tombés en une seule journée. Pour lui, le groupe Wagner, qui est considéré comme une organisation terroriste en Europe, est un grand projet sur le point de mourir. Prigojine, à la différence d’autres porte-paroles du Kremlin ou de l’armée russe, affirme que les Ukrainiens ont une bonne armée, très motivée et que si la prise de cette ville très modeste qu’est Bakhmut n’est pas possible en 9 mois, il sera impossible de gagner cette guerre. 

Quand Prigojine a commencé à dire qu’ils manquaient de munitions les pro-russes disaient que c'était un jeu de rôle. Peut-on croire à cette analyse ?

Prigojine joue un rôle d’homme politique, avec la part de théâtralité que cela recouvre. Il y a toujours une partie de vrai et de faux, une partie de souhaité et une partie de manipulation. Il y a donc bien entendu des manipulations. Il y a une guerre d’information jouée des deux côtés. Et face à la partition jouée par Prigojine, certains pro-Kremlin n’hésitent pas à lui répondre. Kadyrov a ainsi dit, dans une vidéo, à Prigojine qu’il allait être contacté pour des ordres à venir, en lui proposant de remplacer Wagner par des unités tchétchènes. Mais Prigojine qualifie les généraux d’incompétents, d’incapables. Il critique tout le système bureaucratique, qui est bien réel, et dénonce son manque d’efficacité. Il avait probablement besoin d’une pause dans les combats pour cette mise en scène théâtrale.  Mais paradoxalement, dans ces déclarations théâtrales on retrouve beaucoup de vérités qui dérangent une Russie qui n’est pas habituée à cela.

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