Mais pourquoi vouloir prendre plus d’argent à Bernard Arnault quand l’Etat ne parvient pas à éliminer la pauvreté malgré des dépenses publiques à hauteur de 58% du PIB ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Bernard Arnault et Emmanuel Macron, photo d'illustration AFP
Bernard Arnault et Emmanuel Macron, photo d'illustration AFP
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Le sens des priorités

Alors que la famille propriétaire de LVMH a annoncé qu’elle donnerait 10 millions d’euros aux Restos du cœur suite au cri d’alarme de son président, une pluie de réactions outrées de la France insoumise s’est faite entendre.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Quelle est la part des dépenses sociales de manière détaillée dans notre pays par rapport au volume des dépenses publiques ? Quelles sont les sommes ou les parts des dépenses allouées à la lutte contre la pauvreté ou contre la faim ?

Michel Ruimy : Selon une étude de l’OCDE, la France reste le pays développé dont le poids des prestations sociales (retraite, santé, famille, emploi…), rapporté au PIB, est le plus élevé. En 2022, ce ratio s’établissait à 31,6%, niveau en légère baisse après un plus haut atteint en 2015 et 2016 (32%). Notons toutefois que les dépenses sociales sont essentiellement publiques en Europe c'est-à-dire financées par la fiscalité, à la différence des Etats-Unis où la protection sociale relève en grande partie des assurances privées. Ainsi, le montant global des dépenses sociales aux Etats-Unis s’élève, en réalité, près de de 30% du PIB.

Si la France n’est pas la plus généreuse dans chacune de ces catégories, elle reste parmi les pays les plus généreux pour chacune d’entre elles, ce qui explique sa première place au classement. Étant donné que plus de 25% de la population française est aujourd’hui âgée de plus de 60 ans (contre 17% en 1980), les dépenses de santé, de survie et de retraites, qui bénéficient particulièrement à cette classe d’âge, représentent la « part du lion » des prestations sociales. 

Par ailleurs, s’il n’existe pas de chiffre officiel pour la lutte contre la pauvreté ou la faim, des initiatives ont été toutefois mises en œuvre comme la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (2018) dotée d’un budget de 8 milliards EUR sur 4 ans (Elle inclut l’aide alimentaire, avec un renforcement des moyens des associations et des banques alimentaires). Dans cette optique, il y a aussi le plan « Mieux manger pour tous » (2021), qui prévoit un fonds de 60 millions EUR pour soutenir l’accès à une alimentation durable pour les plus démunis. Enfin, l’État a également promis une aide de 15 millions EUR aux « Restos du cœur ».

Quelle est l’influence réelle des dépenses publiques en France dans le cadre de la lutte contre la faim et la pauvreté par rapport aux efforts menés par d’autres pays ? Comment expliquer que les Etats scandinaves ne connaissent pas notre situation et qu’il y ait moins de personnes qui souffrent de la faim ou de la pauvreté chez eux ? Comment serait-il possible de lutter plus efficacement contre la pauvreté en France ?

Si l’influence réelle des dépenses publiques en France dans la lutte contre la faim et la pauvreté est difficile à mesurer du fait de l’existence de nombreux facteurs pouvant influer sur le niveau et l’évolution de la pauvreté (croissance économique, marché du travail, fiscalité, prestations sociales…), certains indicateurs permettent d’évaluer l’efficacité des politiques publiques en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté. Un exemple est le taux de pauvreté monétaire. En 2019, ce taux (14,6% / 9,3 millions de personnes) était plus faible en France que la moyenne européenne (16,5%) mais plus élevé que celui des pays scandinaves (entre 10 et 13%).

Les pays scandinaves (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède) se distinguent par un système de protection sociale qui vise à réduire les inégalités dans leur ensemble, et pas seulement la pauvreté, en offrant des services publics de qualité et des prestations sociales généreuses, financés par une fiscalité progressive. Ils offrent ainsi à leurs citoyens des services publics de qualité (éducation, santé, petite enfance, transports…) tout en accordant également une grande importance à l’égalité entre les sexes et à l’intégration des minorités culturelles. 

Ces politiques publiques permettent de réduire les risques de pauvreté et d’exclusion sociale, en garantissant un revenu minimum à tous les résidents, en favorisant l’emploi et la formation tout au long de la vie, en soutenant les familles et en prévenant les discriminations. Selon l’OCDE, ces pays affichent des taux de pauvreté monétaire parmi les plus faibles du monde développé, ainsi que des indicateurs de bien-être social parmi les plus élevés.

Pour lutter efficacement contre la pauvreté en France, il faudrait sans doute s’inspirer des bonnes pratiques des pays scandinaves… tout en prenant en compte les spécificités du contexte français. Car la pauvreté est un phénomène complexe et multidimensionnel, qui touche diverses populations et qui nécessite des réponses adaptées à chaque situation.

Mais, si le Gouvernement veut vraiment lutter contre la pauvreté, il doit s’interroger sur l’état de santé de la société française et les performances de notre appareil productif. La pauvreté puise, en grande part, sa source dans le fléchissement du secteur industriel. 

En cette rentrée 2023, les clignotants sont alarmants : un taux de croissance revu à la baisse, un chômage qui se maintient à un niveau élevé, une balance commerciale régulièrement déficitaire, et un Etat qui s'endette un peu plus chaque année. Cette situation résulte de l’enchaînement fatal qui a miné progressivement notre économie : à l’origine, l’effondrement de l’industrie, qui est, en fait, le plus important des secteurs d’activité qui composent notre économie. Il s’est ensuivi un accroissement, année après année, des dépenses publiques pour remédier aux dégâts causés à la population par la défaillance du secteur industriel. D’où, des prélèvements obligatoires de plus en plus élevés pour financer ces dépenses, ce qui a conduit, finalement, à une asphyxie de l’économie, sans compter un accroissement chaque année de l’endettement de l’Etat pour boucler ses budgets.

Alors que les Insoumis plaident pour prélever encore plus d’impôt, il n’y a pas la moindre réflexion sur l’efficacité de notre dépense publique et sur l’efficacité de notre modèle d’organisation économique et sociale. 

Pourquoi les membres de La France insoumise ne se posent-ils pas la question de la dépense publique et d’une meilleure répartition ou utilisation de l’argent public ? En quoi cette question est-elle centrale dans la lutte contre la pauvreté ?

Ces questions relèvent d’un débat politique et idéologique, qui oppose différentes visions du rôle de l’État, de la fiscalité et de la redistribution dans la société. 

D’un côté, La France insoumise défend l’idée d’une augmentation des dépenses publiques pour financer un plan de relance écologique et social, incluant notamment la création d’1 million d’emplois verts, la revalorisation des salaires et des pensions, la réduction du temps de travail, la gratuité des services publics essentiels (santé, éducation, transports, etc.) … Pour financer ces mesures, le mouvement propose une réforme fiscale qui vise à augmenter les impôts des plus riches et des grandes entreprises, à lutter contre l’évasion fiscale et à créer une taxe sur les transactions financières. Ces choix permettraient ainsi de réduire les inégalités, de relancer la croissance, de protéger l’environnement, de renforcer la démocratie….

De l’autre côté, les opposants à cette vision estiment que la maîtrise des dépenses publiques est nécessaire pour réduire le déficit et la dette publique, qui se sont creusés avec la crise sanitaire et qui pèsent sur les générations futures. Ils critiquent également le niveau élevé de la pression fiscale en France, qui découragerait l’investissement, l’innovation et la compétitivité. Ils plaident donc pour une réduction des dépenses publiques, notamment en supprimant certaines niches fiscales, en rationalisant les administrations et en privatisant certains secteurs. Selon eux, ces choix permettraient de restaurer la confiance des marchés, de stimuler l’activité économique, de créer des emplois et de préserver le pouvoir d’achat

On voit bien que la question de la répartition de l’argent public est centrale dans la lutte contre la pauvreté. Elle détermine le niveau et la qualité des prestations sociales et des services publics dont bénéficient les personnes les plus vulnérables. La France dispose d’un système de protection sociale relativement développé, qui permet de réduire le taux de pauvreté de près de la moitié. Toutefois, ce système n’est pas parfait, et il existe des inégalités, des lacunes et des difficultés d’accès qui affectent certaines catégories de population, notamment les jeunes, les familles monoparentales, les personnes handicapées ou les migrants.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !