Mais comment expliquer que le danger posé par Facebook à ses utilisateurs comme à la démocratie ne préoccupe aucun des candidats à la présidentielle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dirigeant et co-fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, lors d'une conférence de presse.
Le dirigeant et co-fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, lors d'une conférence de presse.
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Menace démocratique

Les nouvelles révélations des fuites de documents issues des Facebook files montrent que le réseau social a un impact sur le bien être des utilisateurs et sur le débat public. Facebook parasite-t-il la démocratie ? Comment expliquer que les responsables politiques ne se positionnent pas sur ce sujet ?

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Les nouvelles révélations des Facebook files montrent que le réseau social a un réel impact à la fois sur le bien être des utilisateurs mais aussi sur le débat public. Dans quelle mesure Facebook parasite-t-il la démocratie ? 

Fabrice Epelboin : Parasiter n’est pas le bon terme. Facebook transforme les sociétés et ce qui en résulte, dont les démocraties. C'est un réseau social. En cela c’est un système qui lie les hommes les uns aux autres. Facebook a exporté des valeurs fondamentales de la société américaine, dont le premier amendement, la liberté d’expression absolue, à des pays qui fonctionnaient sur différents modèles. La France a de nombreuses lois qui mettent des limites à la liberté d’expression. Facebook a mis à disposition une liberté d’expression à l’américaine qui n’était pas du tout compatible avec certains régimes politiques. L’autre apport de Facebook est sa base communautaire. Dans un pays comme la France qui rejette le communautarisme, ça a fortement changé la manière dont les communautés sur le sol français se pensent et s’identifient. C’est avant tout les fondamentaux sociaux qui ont été reconfigurés.  

Un article de The Atlantic consacré aux Facebook files résume le fait que la plateforme était au courant qu’elle facilitait, notamment, les discours de haine au Moyen-Orient, les cartels au Mexique, la rhétorique antimusulmane en Inde et le trafic sexuel à Dubaï. Quels sont les effets pervers français ? 

Au niveau international, on peut penser à l’opération Barkhane au Mali. Actuellement, les forces françaises se retirent et l’on assiste au déploiement du groupe russe Wagner. Il y a quelques mois, Facebook a démantelé une opération de l’armée française et une opération des trolls russes sur la zone malienne. Certains actionnaires du groupe Wagner sont aussi impliqués avec les trolls russes. Il y a donc une défaite française intrinsèquement liée à un théâtre d’opération né sur Facebook. 

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Sur le plan national, on trouve une multitude d’effets. Les gilets jaunes sont liés à un changement d’algorithmie de Facebook qui a donné des phénomènes similaires à travers le monde. Mark Zuckerberg, au milieu du mandat de Trump, a décidé de changer l’algorithme. Du jour au lendemain il n’était plus déterminé par les pages likés mais par les groupes dans lesquels l’utilisateur était inscrit ainsi que les amis à proximité géographiquement. Donc le flux d’information a radicalement changé du jour au lendemain. Les gilets jaunes ont pu voir que des gens partageaient les mêmes colères dans leur entourage immédiat. On peut également penser au repli communautaire après les printemps arabes. La communauté arabe a réalisé que la presse française ne se faisait pas l'écho de ce qui se passait en Tunisie. Le sujet a été victime d’une forme de censure et cela a fait perdre toute forme de crédibilité envers la presse à de nombreuses personnes. Ces dernières ont ainsi pris l’habitude de s’informer de manière prioritaire sur Facebook plutôt que par la presse. Cela a accentué le repli communautaire. Enfin, la polarisation politique que l’on observe en France et ailleurs est aussi due à un effet Facebook.

Face à ce double enjeu, comment expliquer que les responsables politiques actuels, ou ceux aspirant à la fonction suprême, ne se positionnent pas sur l’enjeu ? 

Premièrement, les politiques appartiennent souvent à des classes d’âge qui comprennent mal la technologie et ce qu’est Facebook d’un point de vue de transformation sociale. Ils se sont un peu réveillés avec l’affaire Cambridge Analytica mais ils l’ont mal compris et on leur a mal expliqué. Il y a une vraie difficulté à saisir la chose technologique et une vraie facilité à faire comme si c’était le cas. En Chine, le comité central du PC est composé d’ingénieurs, ce qui leur permet une réflexion solide. Ensuite, dans la culture française, la chose technique est au service des décideurs. Aux Etats-Unis, elle a pris le contrôle de la finance. Il y a aussi des raisons plus « terre-à-terre ». Une confusion - certains diraient corruption – entre des membres de la fonction publique et les GAFAM. Certains haut-fonctionnaires deviennent lobbyistes. Le directeur de Facebook France est un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Il faut aussi ajouter que Facebook a versé beaucoup d’argent à la presse ces dernières années, ce qui n’aide pas à l’indépendance. C’est ce qui explique que le sujet n’est pas présent à l’approche de la présidentielle, rarement présent dans les médias, alors que c’est un problème de fond. L’Union européenne est trop lente pour agir et au niveau national les décideurs ne peuvent absolument rien faire. 

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