Logique économique
Mais au fait, quel est le plan des « anti-mondialisation-libérale » pour empêcher des dizaines de millions de personnes dans le monde de retomber dans la grande pauvreté ?
Un rapport de la Banque mondiale publié ce mercredi indique que 60 millions de personnes pourraient retomber dans une extrême pauvreté en raison de la crise du Coronavirus. Un « détail » que semblent souvent oublier les partisans d’un repli national et/ou d’une décroissance anti-capitaliste.
Jacques Garello
Economiste libéral - Président de l'ALEPS - Professeur émérite à l'université Aix-Marseille III - Fondateur du groupe des Nouveaux Economistes
Thibault Huchet
Thibault Huchet est ancien maître de conférence à Sciences Po Paris, fonctionnaire, soumis à ce titre au devoir de réserve et donc écrivant sous un pseudonyme.
Pierre Bentata
Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université.
Atlantico : Quel a été l'impact du libéralisme sur la pauvreté au regard des 30 dernières années ?
Thibaut Huchet : L’impact de la libéralisation économique sur la pauvreté globale est assez clair et en fait peu débattu par les économistes. Ces dernières décennies, les pays qui ont fait le choix de s’inscrire dans la mondialisation ont développé rapidement une croissance économique importante, qui a un rattrapage rapide et un enrichissement global de la population. Au regard des chiffres inscrits dans le rapport 2020 de l’ONU sur la pauvreté, l’extrême pauvreté a reculé de façon spectaculaire au cours de ces 30 dernières années (40% de la population mondiale en 1984, 10% aujourd’hui), en particulier dans les pays asiatiques.
Si l’on s’attarde sur ces anciens pays émergents d’Asie, on peut observer que les autres facteurs de pauvreté comme la mauvaise santé, la précarité du logement et la sous-alimentation ont fortement reculé dès le moment où ces pays se sont inscrits dans la mondialisation. La Chine, où le salaire moyen est maintenant proche de certains pays d’Europe de l’est (Ukraine par exemple), en est l’exemple le plus frappant.
En Europe, le libéralisme a permis aux pays de l’ancien bloc de l’Est par exemple de considérablement s’enrichir et de rattraper progressivement leurs voisins de l’Ouest. La Pologne est un cas d’école puisque qu’elle est le seul pays européenne à avoir bénéficié d’une croissance constante depuis 20 ans, même pendant la crise financière de 2008. La globalisation permet aux pays de s’enrichir, il n’y a aucune ambiguïté là-dessus lorsque l’on regarde les chiffres.
Il y existe bien sûr un envers à ce décor. Si la globalisation profite particulièrement aux pays en développement et, au sein des pays occidentaux, aux populations les plus qualifiées, les travailleurs les moins qualifiés sont eux soumis à une extrême concurrence mondiale. La globalisation a clairement pour effet d’accroître les inégalités au sein des pays développés. Si les décisions politiques ne sont pas prises afin d’atténuer ces effets négatifs, en mettant en place des amortisseurs sociaux, comme dans les pays sociaux-démocrates du nord de l’Europe (investissement dans la formation professionnelle, éducation, redistribution d’une partie de la richesse, etc…), le pouvoir d’achat des classes moyennes et inférieures stagne. Ce sentiment d’appauvrissement relatif fini inévitablement par créer les tensions sociales que nous avons connues ces dernières années, aux États-Unis, comme en Hongrie ou en France, et qui permet aux discours anti-libéraux d’émerger et d’être suivis par la population.
Pierre Bentata : S'il est rare d'user d'hyperbole lorsqu'on s'intéresse à des sujets scientifiques, il faut pourtant l'admettre, le libéralisme a eu un effet tout simplement miraculeux. J'avais rappelé cette réalité historique dans "Les désillusions de la liberté", comme bien d'autres avant moi, notamment Steven Pinker ou Angus Deaton pour ne citer qu'eux. En 1960, sur les 3 milliards d'habitant de la planète, 2 milliards vivaient dans l'extrême pauvreté. A présent, nous sommes 7 milliards sur Terre et l'on compte moins de 900 millions de personnes en situation d'extrême pauvreté. Je pourrais multiplier les chiffres et les faits, mais prenons simplement quelques indicateurs éloquents. Le nombre de personnes vivant en situation de sous-alimentation a été divisé par deux en vingt-cinq ans, pour passer sous la barre des 10%. De même, alors que seule une personne sur deux savait lire et écrire il y a cinquante ans, le taux d'alphabétisation s'approche des 90% aujourd'hui. Conséquence de cet enrichissement, près de 2 milliards d'habitants des pays en développement ont vu leurs revenus doubler en cinquante ans.
Presque partout sur la planète, les revenus ont augmenté alors que la population et que l'espérance de vie s'allongeait. Plus nombreux, plus riches et en meilleure santé, telles sont les caractéristiques de notre époque et des dernières décennies. Rappelons d'ailleurs que cela constitue une première dans l'histoire de l'humanité. Alors que Sapiens est apparu il y a 200 000 ans, la quasi totalité de la richesse produite l'a été au cours des cinquante dernières années. Avant l'apparition d'un libéralisme devenu global, la pauvreté et la misère constituait la règle pour les humains.
Voilà le miracle du libéralisme. Avoir réussi à sortir l'humanité de sa situation de lutte pour sa survie. Et tous les pays qui ont tenté l'aventure ont connu cette trajectoire; pas uniquement les nouveaux pays riches tels que la Corée du Sud. Pour preuve, le décollage de la Chine a débuté lorsqu'elle a mis en place ses réformes de privatisation et d'ouverture au commerce, tout comme celui de l'Inde. Il en va de même du Salvador, de l'Ethiopie, de la Géorgie ou du Vietnam. AU fond, tout s'est joué au cours d'une décennie, 1979-1989, qui a marqué le tournant libéral du monde et la chute des Etats autoritaires.
Bien sûr, les idéologues anti-marché pourront toujours insister sur le rôle des dépenses publiques ou des découvertes scientifiques. Ils auraient raison de le faire. Mais cela n'aurait pu exister sans l'accroissement des richesses rendu possible par l'ouverture des frontières commerciales et la libéralisation des économies. C'est d'ailleurs le drame de la situation actuelle: le libéralisme nous a rendu si riches que nous ne sommes même plus capables d'estimer sa valeur, au point que les mieux loties pensent sincèrement qu'une autre organisation de société serait plus efficace.
La crise sanitaire a vu les discours souverainistes et anti-libéraux revenir au premier plan de la scène politique mondiale. Un discours que nous retrouvons dans la parole de nombreuses personnalités politiques françaises. La posture souverainiste est-elle suffisante à appréhender les 60 millions de personnes qui devraient être amenées vers l'extrême pauvreté par la crise sanitaire ?
Thibaut Huchet : La crise du Covid 19 a fait apparaître de manière plus évidente qu’il n’est pas illégitime pour un État de défendre son économie, au niveau national comme au niveau européen. Il est légitime de vouloir défendre ses entreprises stratégiques face aux pays émergents, ses technologies, ses fleurons industriels, ses brevets. Il est logique d’avoir une pensée régalienne en matière de défense et de sécurité. Pour autant, ces sujets ne sont qu’un pan de la question souverainiste. Au-delà de ces aspects stratégiques, ce que veulent la plupart des souverainistes anti-libéraux que s’expriment sur les scènes politiques mondiales, c’est une relocalisation massive de l’industrie, une nationalisation des entreprises en difficulté, souvent associés à une augmentation drastique des droits de douanes, en faisant croire aux populations que cela règlera la question du chômage. C’est une illusion. Nous ne pouvons pas à la fois avoir des pans entiers de notre économie dans des secteurs à faible productivité et valeur ajoutée et espérer être un pays riche avec des salaires élevés. Il y a là une énorme contradiction. Ce rapatriement global, cet isolationnisme économique est certes possible – c’est un choix politique, mais induirait nécessairement un appauvrissement généralisé de la population. Le fort ralentissement de la mondialisation que cette crise sanitaire entraîne a déjà pour effet de faire replonger une grande partie de la population mondiale dans la pauvreté. Aller plus loin par des mesures isolationnistes ne ferait qu’accentuer ce phénomène, y compris dans les pays développés.
Pierre Bentata : Pour répondre à cette question, permettez-moi de rappeler un exemple historique, largement utilisé en économie. En 1970, le revenu par habitant était le même au Ghana et en Corée du Sud. Vingt ans plus tard, les Coréens étaient en moyenne 15 fois plus riches que les Ghanéens. Comment un tel écart a-t-il pu se creuser entre deux économies autrefois si proches? La réponse tient en un mot: libéralisme. Alors que le Ghana s'embourbait dans le socialisme pan-africain, sous l'influence de Nkhrumah, la Corée du Sud faisait le choix de l'ouverture au commerce international, abolissant les barrières douanières et les mesures protectionnistes. Tout simplement.
Les conséquences sont déjà connues. En moins d’un an, à très court terme, il se passera ce que nous avons un peu vécu en 1981. Au bout d’une année nous avions déjà compris que la faillite était complète. Il y avait eu trois dévaluation par messieurs Mauroy et Delors, suivies d'une perte totale de compétitivité. Nous avons gonflé des secteurs qui étaient déjà condamnés comme la sidérurgie. Monsieur Mauroy avait créé 10 000 emplois dans ce secteur ce qui a permis deux ans plus tard de vider 40 000 sidérurgies… Il n’y a aucun d’exemple au monde où le passage à la planification et au collectivisme s’est traduit par une croissance ou un retour à la prospérité et au bonheur général. Si ces messieurs veulent passer au socialisme, c’est évidemment le programme le plus destructeur de l’économie française, mais aussi de la société française. L’économie n’est pas tout. Ce qui compte aussi, c’est la qualité de la relation entre les hommes. Si les hommes travaillent ensembles, qu'ils ont le droit d’épargner, d’entreprendre librement, la société se porte mieux. Si au contraire nous dépendons de l’État providence, tandis que nous voulons que chacun ait ce qui doit lui revenir d’après ce qu’il croit être, tout le monde sera alors mécontent. Certains diront « nous n’avons pas ce à quoi nous avions droit » et les autres diront « nous avons été volés ». C’est un projet de société qui dresse les Français les uns contre les autres, au lieu de les faire participer ensemble à une croissance harmonieuse qui permet à des gens de travailler, d’épargner, d’entreprendre dans la complémentarité et dans le respect du travail fournis. Les gens les plus modestes vont être les premières victime de ce qu’il se passe à l’heure actuelle, mais ce n’est pas à cause du système de production, c’est simplement parce que les instruments et les comportements nécessaires à la croissance économique ne sont pas satisfaits. Le problème n’est pas entre les pauvres et les riches, car ces deux catégories existeront toujours. Les sociétés égalitaires n’ont jamais existé, y compris dans les dictatures collectivistes où les gens sont en effet égaux, mais certains sont plus égaux que les autres et ce sont ceux qui sont au pouvoir. Dans les États égalitaires, ce sont les dictateurs qui s’en mettent pleins les poches. Il y a toujours des différences entre les gens. Certaines sont naturelles, d'autres artificielles. Mais est-ce que les pauvres ont la possibilité de devenir riches ? Appauvrir les riches n’est pas une formule ! Lorsque cela sera fait il n’en restera plus et ceux qui subsisteront partiront ailleurs, dans des pays qui ne pratique pas le collectivisme. Pour permettre aux pauvres de vivre mieux, il faut leur laisser la possibilité d’exprimer les capacités par leur travail, leur épargne ou par leur esprit d’entreprise. Ils ont quelque chose dans la tête ou dans le cœur, et réalisent ce qu’ils ont en eux. Le problème de l’économie n’est pas d’accumuler les richesses, le problème de l’économie est que chacun puisse faire ce dont il a envie. Si au contraire chacun attend de l’État ou d’un riche quelconque, imaginaire, qu’il l’enrichisse, alors il ne fait que s’appauvrir. Il faut remettre l’ascenseur social en route, pour que les pauvres deviennent riches, il faut la liberté économique et non pas l’oppression étatique.
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