Mais à quoi donc ont servi les dizaines de milliards injectés par Poutine pour moderniser l’armée russe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et le ministre de la Défense Sergueï Choïgou quittent la Place Rouge après un défilé militaire, à Moscou le 24 juin 2020.
Vladimir Poutine et le ministre de la Défense Sergueï Choïgou quittent la Place Rouge après un défilé militaire, à Moscou le 24 juin 2020.
©Pavel Golovkin / POOL / AFP

Guerre en Ukraine

Suite à la guerre de 2014 et tout à son ambition de recréer la puissance soviétique perdue, le président russe a lancé un vaste programme de reconstruction de ses forces militaires. Comment expliquer que la guerre d’Ukraine suggère en l’état que ces milliards n’aient pas permis d’atteindre le résultat escompté ?

Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : Vladimir Poutine a cherché de longue date à renforcer son armée. Quels moyens a-t-il mis en place, notamment à partir de 2014 ?

Jérôme Pellistrandi : Ce qui a été fondamental pour Poutine, c’est le naufrage du sous-marin Koursk, en août 2000. Ce sous-marin nucléaire, le plus grand au monde, a coulé et une partie de l’équipage est morte dans l’accident. Pour Poutine qui venait d’arriver au pouvoir, c’est un traumatisme. Depuis, il n’a cessé de moderniser son armée. Il a profité pour cela de la manne financière des hydrocarbures. Et cette modernisation s’est faite tous azimuts. En marine, avec des sous-marins, dans l’armée de l’air avec de nouveaux avions et l’armée de terre, avec des dépenses importantes. Le budget militaire russe a doublé depuis 2004. Il est aujourd’hui aux alentours de 62 milliards de dollars. Ainsi les dépenses militaires sont de 4% du PIB russe. Poutine a eu l’occasion de tester son armée, à plusieurs reprises, en Géorgie, en Crimée. Dans les deux cas, le rapport de force était tel que les Russes l’ont emporté rapidement. Or là, la situation est plus difficile à appréhender. La saisie de la Crimée a amené une augmentation de l’effort de défense mais aussi le début de l’isolement de la Russie.

Un point à noter, est que l’armée russe n’a jamais été en compétition. Elle n’a que peu d’alliés sur le plan international, quand elle est en coalition, c’est avec la Syrie, donc c’est la Russie qui impose ses normes. Donc elle se complait dans une forme de certitude parce que l’armée russe a toujours été habituée à faire ainsi, sans partenaires pour remettre en question leurs difficultés. Cela explique en partie le fait qu’ils aient surestimé leurs capacités même s’ils produisent de bons équipements. C’est dans la mise en œuvre que cela patine beaucoup. Et de plus, ils ont sous-estimé leur adversaire.

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Est-il possible que les investissements militaires eux-mêmes n’aient pas été les bons ou aient été insuffisants ?

Non. La gamme des équipements russe est très semblable à ce qu’on connaît dans les pays occidentaux. Le niveau de technologie est en revanche un peu moins élevé. La furtivité des avions russes n’est pas au niveau d’un rafale ou d’un F22. La consommation de carburant n’est pas une préoccupation pour les Russes là où nous sommes plus regardants. Mais l’équipement du fantassin russe est beaucoup plus proche des standards occidentaux qu’autrefois. Ils ont des gilets, des casques de qualité, des kalachnikovs avec des parties en matière composites. Un char T80 russe avec un équipage bien entraîné, c’est un adversaire redoutable. Peut être que l’histoire dira qu’elle aurait dû investir dans plus de drones, etc. Mais globalement les forces russes sont bien équilibrées. Là où elles sont déficitaires, c’est dans l’armement logistique.

Est-ce que les militaires russes savent utiliser le matériel qu’ils ont ?

Le soldat russe est un soldat rustique, capable de se battre dans des conditions rustiques. Mais c’est dans l’organisation du commandement qu’il y a des failles. Il n’y a pas le corps des sous-officiers que nous connaissons. Une partie est liée à la conscription, connue pour sa brutalité : ses conditions de vie sont rudes. Au niveau du commandement, il y a des phénomènes de corruption très liés au fonctionnement de la société russe. C’est un système très hiérarchisé dans lequel l’initiative est très limitée. Tout ceci fait que quand le plan ne se déroule pas comme prévu, les rouages se grippent. Le culte du secret des Russes a aussi fait que les soldats ont découvert sur le tard qu’ils allaient en guerre.

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Poutine a-t-il une bonne connaissance des forces et faiblesses de son armée ?

Cela pose la question du fonctionnement du pouvoir politique en Russie. Pour ne pas déplaire au chef, vous lui apportez ce qu’il veut entendre. C’est donc la question du pouvoir autour de Poutine et de la capacité de discernement des élites. Le phénomène s’est aggravé avec la Covid. Poutine s’est bunkerisé depuis deux ans en raison de sa crainte du Covid. Ce qu’il fait qu’il vit détaché du quotidien, dans un monde parallèle. L’outil militaire appartient au narratif de la grandeur russe et s’inscrit dans une continuité de la grande Russie.

L’armée russe rencontre une résistance inattendue en Ukraine. Comment expliquer que nous les occidentaux ayons surestimé la force de l’armée russe ?

Il faut rester très vigilant car l’armée russe demeure très prudente. Il ne faut pas croire qu’elle a été balayée. Poutine n’a pas décrété la loi martiale, donc seule une petite partie des forces est engagée. La Russie dispose encore de capacités militaires importantes. Le problème vient sans doute du fonctionnement opérationnel. Mais nous n’en sommes encore qu’au 18e jour de guerre. L’une de leurs erreurs a peut-être été d’attaquer sur plusieurs fronts.

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