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Mai 68 : la violence sexuelle imposée des parents "libres"
©UPI / AFP

Bonnes feuilles

Mai 1968 a affranchi la sexualité de ses tabous et de ses archaïsmes. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire, car avec cette « révolution », les plus jeunes ont été entraînés dans une sexualité prématurée, reconnue aujourd’hui comme violente. Historienne, féministe engagée, Malka Marcovich a été témoin de ce qu’a représenté Mai 1968 pour toute une génération. Forte de cet héritage de liberté, mais aussi consciente des dérives, elle est allée à la rencontre de femmes et d’hommes qui ont souffert d’un climat d’abus sexuel, insidieux ou manifeste. Extrait de "L'Autre héritage de 68" de Malka Marcovich, publié aux Editions Albin Michel (2/2)

Malka Marcovich

Malka Marcovich

Malka Marcovich est historienne et féministe engagée

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Dans une émission de 1976 en deux parties sur la sexualité intitulée "De quoi avons-nous peur", l'enquête suit des personnes de tous âges et des spécialistes pour faire le point sur la question de la libération sexuelle. Le débat est posé entre permissivité et tabou, liberté et répression. La question des violences sexuelles est totalement évacuée. Pas étonnant donc que certains enfants et adolescents vivant avec des parents dits « libres » n'aient pas conscience de la violence que constitue l'exhibition continuelle de la sexualité adulte. Leonie, d'origine néerlandaise, vivant en France, treize ans en 1972, raconte :

« Mes parents pensaient qu'il ne fallait rien nous cacher, et que mes trois sœurs et moi devions tout savoir de la sexualité. Pour ce faire, ils nous invitaient à les regarder faire l'amour. Ce n'est qu'à trente ans, quand je suis devenue mère, que j'ai pris conscience de la violence que constituait la mise en scène de leur sexualité. »

Christophe, seize ans en 1974, explique :

« Mes parents étaient séparés depuis que j'avais neuf ans. Depuis leur séparation ma mère semblait formidablement épanouie. Il faut dire qu'elle venait d'un milieu étriqué et qu'elle s'était mariée jeune pour échapper à l'emprise de ses propres parents. Elle avait beaucoup d'amants et ne s'en cachait pas. Je vivais chez mon père, qui continuait apparemment une vie assez classique. J'adorais retrouver ma mère durant les vacances. Tous ses amis étaient très sympas. Je commençais à avoir un peu de poil sur le menton. Un des copains de ma mère a dit en riant : “Eh bien, Christophe tralala !” et il a touché mon sexe à travers mon jean devant ma mère. Je bandais. Le soir, j'ai retrouvé ma mère dans son lit et j'ai fait l'amour avec elle. »

Pas de jalousie entre frères et sœurs

Certains grands frères et sœurs baby-boomers qui avaient lu Foucault, Deleuze, Derrida, Barthes, Sartre reprenaient à leur compte comme un slogan la phrase de Gide : « Famille, je vous hais. » La structure familiale, c'est‑à-dire verticale – parents/enfants –, était par essence aliénante, le couple « une structure bourgeoise », sauf si cela se structurait comme dans le cas de Sartre et Beauvoir autour de la notion « d'amours contingentes ». Il fallait bannir tout sentiment de jalousie et faire voler en éclats les parents. Car, comme l'avait signifié Neill : « La jalousie est causée par le désir de possession. Si l'amour sexuel était une transcendance sincère du moi, l'homme se réjouirait de voir la femme qu'il aime embrasser un autre homme parce qu'il serait heureux de la savoir heureuse. C'est l'homme profondément exclusif qui commet un crime de jalousie. (…) La jalousie est liée beaucoup plus à l'agressivité qu'à la sexualité. C'est une réaction de l'ego blessé. » Georgina, quinze ans en 1974 se souvient :

« Mon frère aîné avait douze ans de plus que moi, ma cousine dix ans, ma sœur huit ans, mon autre frère six ans. Je vouais une admiration sans limites à mon frère aîné qui m'avait initiée dès mon plus jeune âge à l'astronomie et à la peinture. C'était un homme d'une extrême douceur qui avait le don pour détricoter les questions que l'on pouvait se poser. Il me reconnaissait le droit au maquillage, aux cigarettes, aux drogues. Il m'invitait au restaurant, m'offrait des bijoux et des livres. Il m'avait offert Histoire d'O, m'avait fait lire Sade, Bataille, Robbe-Grillet. Il me disait que je devais être libre, qu'il suffisait d'un geste de ma part pour avoir tous les hommes à mes pieds. Il m'expliquait qu'une femme vraiment libre se devait d'avoir aussi des relations sexuelles avec d'autres femmes.

Je n'ai pas aimé le premier homme avec qui j'ai couché. C'était dans un squat, les draps étaient sales et l'homme sentait mauvais. Je n'ai rien senti, ni douleur, ni plaisir, rien. Mais j'étais heureuse de faire désormais partie du monde des initiés. Je me suis précipitée pour tout raconter à mon frère qui a été très fier de moi. Il m'a dit qu'il couchait avec ma sœur aînée et ma cousine, que mon autre frère couchait aussi avec sa femme, qu'ils avaient construit une nouvelle structure familiale à l'horizontale dont je pouvais désormais faire partie. Ce fut comme un viol mental, j'étais une marionnette qui acceptait tout, dédoublée. J'étais scindée en deux car je faisais croire à tous et à toutes autour de moi que j'étais la fille la plus forte et la plus délurée du monde. Je couchais avec mes deux frères. Tout le monde couchait avec tout le monde.

Mes parents n'étaient pas au courant. Mais j'en ai parlé à certains profs comme d'un acte super transgressif et révolutionnaire ainsi qu'à mes amis de mon âge. On enviait ma liberté assumée. Aucun prof ne s'est jamais offusqué de ce que je racontais. Je n'avais pas besoin de drogue pour avoir des hallucinations. Je m'anesthésiais. Heureusement qu'à côté j'avais de vrais petits copains de mon âge avec qui j'avais de vrais flirts. C'était une petite respiration qui me donnait l'illusion d'exister. »

Extrait de "L'Autre héritage de 68" de Malka Marcovich, publié aux Editions Albin Michel

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"L'Autre héritage de 68" de Malka Marcovich

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