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Macron et le congrès de l’AMF : le paradoxe de cette “start-up nation” qui ne comprend pas l’agilité à laquelle sont réduit les derniers remparts de la République
©Reuters

Bottom up ?

Le fossé entre le gouvernement et les élus locaux n'est pas prêt de se résorber. Le président de la République a décidé de ne pas se rendre devant le congrès de l'Association des maires de France.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Quelle est la réalité concernant la situation des maires de France aujourd'hui et le rapport qu'entretient le gouvernement avec les élus locaux ?

Edouard Husson : Il se joue quelque chose de très profond. Il est par exemple significatif que l’impôt supprimé par le président de la République, la taxe d’habitation, concerne les ressources des communes. Comme si l’Etat central ne voulait pas toucher à sa propre fiscalité mais jugeait celle des collectivités locales potentiellement superflue. Il faut bien reconnaître que le gouvernement a mis en place quelque chose de compliqué. On supprime la taxe d’habitation pour 80% des imposés; et l’on annonce que l’Etat compensera le manque à gagner pour les municipalités. Résultat, il y a des municipalités qui en ont profité pour augmenter au passage la taxe, avant compensation. Du coup, il y a des contribuables qui se retrouvent à payer plus. Alors Bercy fait inscrire  sur le formulaire que l’augmentation n’est pas due au Ministère des Finances mais à la collectivité locale concernée. Bel exemple d’injonction paradoxale!  Si vous voulez comprendre pourquoi il y a rejet de la politique nationale, voilà une histoire exemplaire ! 
Entretemps, le Conseil Constitutionnel ayant jugé qu’il y a un risque de rupture d’égalité devant l’impôt, on annonce qu’en 2021 tout le monde sera concerné par la suppression de la taxe d’habitation etc....Ce n’est qu’un exemple d’un phénomène plus général, une véritable recentralisation des décisions, ces dix dernières années, à rebours de l’évolution naturelle qu’engendre la révolution numérique et, surtout, des souhaits des Français. La question communale est essentielle, parce que c’est l’échelon de base, auquel les Français sont le plus attachés. A l’opposé, la constitution de grandes régions, sous François Hollande, a représenté le contraire de ce qu’il faut faire. On n’en tirera aucune économie; et on aura éloigné la gouvernance locale un peu plus des Français. 

Comment évaluez-vous le danger de son positionnement qui se rapproche du "seul contre tous" ?

Emmanuel Macron n’est pas le premier à être la cible d’une désaffection rapide des Français. Ce fut le cas, aussi, de ses trois prédécesseurs, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. En fait, on observe un éloignement progressif de la pratique présidentielle telle que l’avait imaginée le Général de Gaulle. Rappelons-nous que le Général de Gaulle a quitté le pouvoir - pour un référendum perdu de justesse - après avoir proposé un renforcement de la décentralisation. C’était en 1969. Surtout, il faut se rappeler la pratique de la fonction présidentielle par de Gaulle: en 1963, on lui présente une analyse prémonitoire sur l’engorgement qui va se produire dans les universités du fait de l’accès croissant à l’enseignement supérieur. De Gaulle lit, adhère à l’analyse, transmet à son Premier ministre, Georges Pompidou. Ce dernier explique au Général que les craintes sont très exagérées: de Gaulle ne cherche pas à se mettre à la place de Pompidou, il considère que celui-ci connaît le secteur et qu’il prend ses responsabilités. Lorsque, cinq ans plus tard, le manque de lucidité de Pompidou amène la catastrophe de mai, de Gaulle reprend la barre et change de Premier ministre. De Gaulle n’avait pas besoin d’être “hyperprésident” pour exercer un pouvoir plus efficace que celui de ses successeurs. Petit à petit, à partir de Giscard, on voir l’Elysée concentrer toujours plus de “pouvoir”. Et le quinquennat, qui fragilise les présidents, a renforcé ce trait. Alors que les présidents devraient d’autant plus mettre de la distance entre eux et l’administration quotidienne des affaires qu’ils ont moins de temps devant eux ! Macron, quand il est arrivé, a cherché une inspiration un peu plus gaullienne; mais il a confondu les apparences et l’exercice concret du pouvoir par le Général. 
Derrière l'épuisement, on note une vraie agilité. Notamment quand on sait que certains maires sont souvent amenés à contourner les règles. Une attitude provoquée par  les règlementations et les contraintes financières imposées par l'Etat. Un esprit de "débrouille" qui se retrouve  notamment dans une start-up. Ne peut-on pas voir ici un paradoxe quand on sait que le président a déjà comparé la France à une "start-up nation" par le passé ?

Même Emmanuel Macron, sincère dans sa volonté de faire prendre à la France le tournant de la révolution numérique, n’a pas compris comment celle-ci fonctionne. Contrairement à ce qu’on dit habituellement, le numérique n’est pas seulement une rupture technologique. C’est le support d’une révolution de l’information. Tout d’un coup l’information est devenue surabondante et quasiment gratuite. On voit effectivement que la “France d’en bas” commence à essayer de se débrouiller, grâce à l’accès dont chaque individu peut disposer à l’information. Ceci devrait conduire à beaucoup plus de déconcentration de l’Etat, beaucoup plus de décentralisation des décisions, de dévolutions de souveraineté. A l’âge de la révolution de l’information, les regroupements de communes apparaissent soudain des processus lourdement bureaucratiques - sauf exception. Macron n’a pas compris - mais il est loin d’être le seul - qu’à l’âge de la révolution de l’information, dans ce qu’on appelle l’iconomie, la petite taille est un atout ! En fait, le pouvoir central a de moins en moins de contrôle sur un monde où l’information circule de manière instantanée et surabondante. Alors on assiste à des tentatives pathétiques de reprendre le contrôle: création des grandes régions, loi sur les fake news, suppression de la taxe d’habitation sont autant d’illustrations de la tendance du pouvoir central à chercher à reprendre le contrôle. Le paradoxe du système Macron, c’est que beaucoup de dossiers sont bloqués parce que le président veut contrôler et décider par lui-même. Il y a un véritable engorgement des dossiers, qu’on n’avait jamais connu, même sous Sarkozy, qui ne s’intéressait qu’au lancement des sujets et n’exerçait pas un contrôle systématique sur la mise en oeuvre. J’entendais l’autre jour un membre du gouvernement confédéral suisse se moquer gentiment du président français en disant qu’il y avait un paradoxe à vouloir autant de construction européenne quand on est le président le plus jacobin depuis longtemps. Effectivement, s’il y a bien une exception française en Europe, elle est dans l’hypercentralisation du pouvoir. 

Comment expliquez-vous l'incapacité du président à percevoir cette similarité ? Et finalement, à quoi renvoie cette "start-up nation" souhaitée par le président ? 

Vous ne pouvez pas être convaincu de la nécessité d’une gouvernance mondiale ni être, comme Inspecteur des Finances, obsédé par le renforcement de l’euro - cette monnaie à contresens de la révolution de l’information puisqu’on prétend avoir une seule monnaie pour une zone culturellement, politiquement, socialement très hétérogène - et comprendre l’aspiration du pays - très normale, très adaptée à l’époque - à plus d’autonomie et de pouvoir local de décision. Le pays qui s’est le premier défini comme une “start-up nation”, c’est Israël, un tout petit pays du point de vue de la population, de la superficie ! C’est un pays où l’éducation d’excellence pour tous est une réalité! En fait, si l’on veut adapter la notion à la France, il faudrait dire que nous aspirons à devenir la “nation des start-ups”. Il faut parler au pluriel! La France est trop vaste pour obéir, aujourd’hui, à une impulsion unique. Prenons la question de l’écologie, la plus mal traitée aujourd’hui. Si l’on fait confiance à l’esprit d’innovation - et notre pays, malgré toutes les erreurs commises par ses élites depuis des années, n’en manque pas - eh bien, on va disposer naturellement de centaines, de milliers d’innovations techniques et entrepreneuriales au service de l’environnement. C’est beaucoup plus efficace, à terme, que tous les sommets de la terre, pour lesquels des millions de litres de kérosène sont brûlés en vain. A quoi sert le planisme de la gouvernance mondiale quand c’est sur le terrain, par l’initiative individuelle, que l’environnement sera, à long terme, le mieux protégé? Il vaudrait mieux encourager les communes à déposer des brevets quand on y fait de l’innovation environnementale ! 

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