Loi immigration : le Conseil constitutionnel renvoie les politiques à leurs responsabilités et les Français à leur malaise démocratique<!-- --> | Atlantico.fr
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La décision du Conseil constitutionnel était très attendue.
La décision du Conseil constitutionnel était très attendue.
©Hans Lucas via AFP

Constitution

Le Conseil constitutionnel a annoncé jeudi la censure d'une large partie de la loi immigration (32 des 86 articles du texte). Cette décision a été très contestée à droite.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Le Conseil constitutionnel a censuré tout ou partie du texte sur l’immigration. Pour quelles raisons a-t-il été censuré ? Entre-t-il en contradiction avec la Constitution ou y a-t-il eu un vice de procédure pour les articles concernés ?

Didier Maus : Pour l’essentiel, les censures portent sur des motifs de procédure. La loi votée par le Parlement, dans des conditions peu propices à un bon travail législatif, contenaient au final 86 articles. 32 d’entre eux ont été censurés pour des rasions de procédure parfaitement connues. Leur contenu n’avait pas de lien, direct ou indirect, avec les dispositions figurant dans le projet déposé sur le bureau de Sénat il y a un an. Ces malfaçons sont connues sous le nom de « cavalier législatif ». Le Conseil constitutionnel ne se prononce pas sur le contenu des articles en question. Il constate simplement une erreur de procédure. Selon la formule retenue de manière constante : « Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs et sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité à la Constitution du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont contraire. »

De ce fait, il n’y a que trois articles partiellement ou entièrement censurés pour des motifs de fond. Il s’agit des dispositions prévoyant la fixation par le Parlement du nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France considérées comme contraires aux droits du Gouvernement et aux règles sur l’ordre du jour du travail parlementaire et la possibilité d’autoriser le relevé des empreintes digitales et la prise de photographies sans le consentement de l’intéressé ou l’intervention d’un juge. Deux autres dispositions font l’objet de réserves d’interprétation.

Le bilan est donc à la fois impressionnant et contrasté : un tiers des dispositions sont contraires à la Constitution pour des motifs de procédure ; 2,8% seulement le sont pour des raisons de fond.

Peut-on effectivement dire, comme l'évoquent certains, que la loi immigration a été dès lors vidée de sa substance ?

Didier Maus : La loi a été vidée des dispositions les plus emblématiques introduites par des amendements au Sénat. Si nous regardons par rapport au projet initial du Gouvernement, la quasi totalité de son contenu a été validée. La question est donc de savoir si le cœur de la loi se trouve dans le projet d’origine ou dans les importantes adjonctions votées par la majorité sénatoriale et reprises, par la force des choses,  dans le texte de la commission mixte paritaire, la célèbre CMP.

Rien n’empêche les députés et sénateurs  de déposer une proposition de loi comprenant les articles écartés et de tenter de la faire adopter par les deux assemblées. En l’état, le pronostic est peu favorable, mais juridiquement c’est envisageable. 

Le Conseil constitutionnel vient de censurer tout ou partie du texte sur l'immigration, une décision attendue. Quelles leçons la droite républicaine devrait-elle logiquement tirer de cette situation ?

Raul Magni-Berton : Le fait que le gouvernement ait présenté un texte initial sans concertation avec les forces d'opposition a contribué à ce que les ajouts des Républicains soient invalidés et rejetés devant le Conseil constitutionnel. La droite républicaine devrait donc savoir que se mettre d'accord sur un texte du gouvernement est quelque chose qui n'apporte aucune garantie sur le fait de voir sa politique ou ses propositions respectées au final, à cause de la menace du Conseil constitutionnel.

La droite républicaine affirme que la question migratoire ne peut être traitée sans réforme de la Constitution. Que veut-elle dire pas là ? Dans quelle mesure la Constitution empêche-t-elle, (à leurs yeux), la reprise en main de notre politique sur l'immigration ? 

Didier Maus : La Constitution contient des principes fondamentaux comme le principe d’égalité ou le droit au regroupement familial qui, à l’évidence, représentent des obstacles difficiles à surmonter. Il faut ajouter à cela des dispositions de droit européen comme l’interdiction des discriminations qui compliquent singulièrement les choses. Il importe néanmoins de souligner :

1- que la France, à elle toute seule, n’a pas la possibilité de modifier le droit européen, à commencer par les traités instituant l’Union européenne ;

2- que l’article 88-1 de la Constitution prévoit la participation de la France à l’Union européenne. Sa modification supposerait d’accepter, comme les Britanniques, de sortir de l’Union européenne ;

3- que les conditions prévues pour une modification de la Constitution (article 89 de la Constitution) supposent un large accord politique, situation qui n’existe pas aujourd’hui.

De plus, peut-on sérieusement expliquer que la modification de la Constitution éviterait les entrées illégales ? Cela relève du rêve plus que de la réalité administrative.

Le parti des Républicains, en dépit du vote de la loi immigration, ne semble pas profiter des fruits de son succès idéologique lors du vote de la loi. Quels sont les obstacles qui freinent l'avancée des Républicains ? Est-ce un défaut d'incarnation, un manque de courage politique ? Est-il possible de passer outre ?

Raul Magni-Berton : Potentiellement, ils pourraient participer et enrichir les textes de la majorité, comme ce fut le cas pour la loi immigration. Mais en réalité, le parti majoritaire, « Ensemble ! », est très peu enclin à suivre et à développer les propositions importantes des Républicains. Donc ils se retrouvent en fait dans l'opposition avec des tentatives de coopération mais qui échouent malheureusement.

LR est pourtant un parti qui a dans ses rangs des personnes qui ont une expérience politique assez importante. Certains d'entre eux ont connu des périodes dans lesquelles le Parlement ressemblait moins à des chambres d'enregistrement.

A certains égards, le vote de la loi immigration à l’Assemblée et au Sénat pouvait être considéré comme une victoire idéologique des Républicains avant cette décision du Conseil constitutionnel. Comment expliquer que, alors que certains arguments ont su convaincre l'opinion publique, Les Républicains aient du mal à avancer leurs pions ?

Raul Magni-Berton : Il ne faut pas oublier que Les Républicains sont la quatrième force à l'Assemblée nationale. Ils ne sont pas en position de force. Parmi les partis représentés, ils restent forts au Sénat qui est une chambre très réactive. Ils sont dans une position dans laquelle il est très difficile de maîtriser l'initiative des textes. Les Républicains sont toujours en réaction. Avec la possibilité de proposer et de réécrire certains amendements, Les Républicains semblaient avoir trouvé une solution pour récupérer une partie de l'initiative législative. Mais au final, cela n’a pas pu fonctionner. Les amendements viennent d’être rejetés. Comme Les Républicains ont été contraints de réagir au texte et de faire des propositions pour modifier le texte de loi, ils étaient dans une position binaire à s’opposer ou à soutenir le projet de loi via certains ajouts.

Les Républicains sont passés pour un parti protestataire en s’opposant au projet de loi et en acceptant des compromis sur le texte final ils ont dû accepter une version du texte qui ne correspondait pas totalement à leurs attentes.

Peut-on vraiment dire, comme le font certains, que modifier la Constitution est par défaut s’éloigner de l’Etat de droit ?

Raul Magni-Berton : Cela n’est pas vrai. Les Constitutions sont faites pour être changées. L'Etat de droit signifie que l'on respecte les règles. La Constitution peut tout à fait être changée dans le respect des règles et dans le respect des droits fondamentaux.

Dire que le fait de changer la Constitution est une atteinte à l'Etat de droit est vraiment exagéré et relève de l’idéologie. Tous les pays changent et font évoluer leur Constitution, y compris la France.

Didier Maus : Il existe un droit imprescriptible à modifier une Constitution. Il s’agit d’une vraie prérogative fondamentale d’un peuple, d’un véritable acte de souveraineté. Le débat porte sur l’étendue des modifications envisagées. La France fait partie de deux ensembles, l’Union européenne et les pays signataires de la Convention européenne des droits de l’homme qui représentent des systèmes sophistiqués en matière de droits fondamentaux (liberté individuelle, liberté d’aller et venir, liberté de conscience, droit au procès équitable…). L’État de droit comprend à la fois, de manière indissociable, les règles de fond relatives aux droits garantis par la Constitution et les règles de procédure, en particulier celles sur le droit au juge et le procès équitable. Il existe une marge d’appréciation qui permet de modifier certaines dispositions sans sortir de l’État de droit. Il existe néanmoins un moment où, pour reprendre une expression classique, la mesure devient « manifestement disproportionnée » au regard de la conciliation des différents objectifs et principes constitutionnels. L’État de droit n’est pas monolithique, mais il suppose de ne pas dépasser certaines bornes.

Est-ce qu'il n'y a pas un décalage entre le fait que le ministre de l'Intérieur se réjouisse de la fermeté de la loi immigration et la décision du Conseil constitutionnel qui a détricoté le texte, alors qu'en réalité, seule une révision de la Constitution pourrait permettre d’apporter des réponses dans le cadre de la politique migratoire ? N'y a-t-il pas un paradoxe ?

Raul Magni-Berton : Le Conseil constitutionnel n'a pas eu à censurer les articles. La majorité des articles n'a pas été censurée pour des raisons d'inconstitutionnalité. Ils ne sont pas contraires aux principes de la Constitution. Mais en réalité, c'est la procédure qui a été mise en cause.

Le Conseil constitutionnel a estimé que les ajouts qui avaient été faits sur la loi immigration, via de nombreux amendements, n’avaient aucun lien avec la loi initiale. C’est la raison pour laquelle 32 amendements ont été censurés. L'article 45 de la Constitution stipule qu’un amendement doit avoir un lien avec la loi.

Selon la décision de jeudi, beaucoup d'amendements ont été considérés comme n’étant pas en lien avec le propos de la loi telle qu'elle était présentée initialement.

La plupart des critiques ne portent pas sur des points inconstitutionnels dans leur contenu.

Il y a certaines choses sur l'immigration pour lesquelles il n’est pas possible de faire de changement constitutionnel, comme le fait de choisir les migrants en fonction de leur religion ou opinions politiques par exemple. En revanche, les éléments qui sont dans cette loi et qui ont été validés n'ont pas besoin d'un changement constitutionnel pour être appliqués.

Est-ce que le Conseil constitutionnel a fait preuve d’habileté politique en ne se prononçant pas sur le fond mais en censurant certains articles pour des questions de procédure et en laissant la responsabilité aux politiques d'agir et de trouver des compromis ?

Raul Magni-Berton : Du point de vue parlementaire, la difficulté est que les députés de l’opposition n'ont pas eu une très grande marge de manœuvre sur la façon dont cette loi est faite, qui est à l’initiative du gouvernement.

Il est donc relativement facile pour le Conseil constitutionnel de dire que certains amendements n'étaient pas conformes à la loi qui avait été conçue initialement.

Les députés LR et leurs amendements ont été prisonniers de l’initiative gouvernementale.

Le Conseil constitutionnel a fondamentalement toujours eu un rôle politique.

Est-ce que la plus grande perdante suite à la décision du Conseil constitutionnel n’est-elle pas la stabilité de notre démocratie ? A force de s'abriter derrière des stratégies, du juridique, ne passe-t-on pas à côté d'une demande fondamentale sur l’immigration en n’y répondant pas ? Comment faire pour sortir des pièges juridiques dans lesquels la France est enfermée ?

Raul Magni-Berton : Notre système de règles est utilisé à son maximum. Au Parlement, le recours au 49.3 ne devrait pas être autant utilisé.  

De nombreux règlements permettent de détourner l'activité du Parlement et de faire des lois qui vont à l’encontre des aspirations de l'opinion. Il y a eu de nombreux mouvements de protestation par le passé sur la réforme des retraites, la taxation de l'essence.

Des solutions existent. Il est important de renforcer la démocratie et d’encourager l'intervention directe des citoyens dans le processus législatif. Les Gilets jaunes souhaitaient mettre en place un référendum d'initiative citoyenne. Cela a pour effet, comme c’est le cas en Suisse, d’empêcher que l’exécutif gouverne contre l'opinion et contre le Parlement.

Didier Maus : La question de l’immigration, spécialement de l’immigration illégale, demeurera d’une grande actualité. Le « piège juridique », à supposer que l’expression soit exacte, résulte tout à la fois de la situation géographique de la France, de son histoire et d’un cadre normatif. Chacun sait, pour ne prendre cet exemple, que l’expulsion d’un étranger en situation irrégulière suppose de lui trouver un pays d’accueil, le sien ou un autre. Ce n’est jamais très facile et même parfois impossible.

La démocratie consiste à trouver des solutions efficaces dans le respect de ses règles. Il est évident qu’il est plus facile d’aller vite dans des pays où la dignité humaine ou le simple respect de l’individu ne constituent pas des valeurs fondamentales. Mais il ne s’agit ni de la tradition républicaine française ni du socle commun des pays européens.

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