Libertés publiques : le gouvernement va-t-il trop loin dans l’interdiction de manifestations anti-Macron ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants défilent avec des drapeaux et des pancartes lors d'un rassemblement contre la visite d'Emmanuel Macron au sein d'une entreprise à Muttersholtz, le 19 avril 2023.
Des manifestants défilent avec des drapeaux et des pancartes lors d'un rassemblement contre la visite d'Emmanuel Macron au sein d'une entreprise à Muttersholtz, le 19 avril 2023.
©Frédérick FLORIN / AFP

Protection du chef de l'Etat

Un arrêté préfectoral a été pris pour interdire les manifestations en Alsace en marge du déplacement d'Emmanuel Macron cette semaine. Comment faire la part des choses entre ce qui relève de la protection du président de la République et ce qui relève d’entraves aux libertés publiques ?

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Atlantico :  Après la manifestation interdite en Alsace par la préfecture du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, les casseroles (ou « dispositifs sonores portatifs ») prohibés dans l’Hérault… Est-ce que le gouvernement ne va pas trop loin dans certaines de ces décisions ? Fait-il preuve d’un excès de zèle ?

Rafaël Amselem : Lorsqu’Emmanuel Macron a fait son discours lundi soir à la télévision, il disait « il nous faut plus de libertés ». Pourtant, nous avons un record de témoignages d’arrestations sans motifs, de coups de matraque injustifiés, de gardes à vues qui n'ont donné lieu à aucune inculpation … Il y a clairement une « dissonance cognitive » dans le choix des mots utilisés et le maintien de l’ordre que nous avons vécu ces dernières semaines n’est pas à la hauteur d’un État de droit. En réalité, cette dérive a été dénoncée depuis plusieurs années, notamment suite aux manifestations des Gilets Jaunes. Non seulement des personnes souffrent mais tout l’édifice des libertés publiques en pâtit. 

Peut-on clairement parler de dérives, d’un glissement vers davantage d’autorité ?

Il ne s’agit pas de dire que nous vivons dans une dictature ou un régime autoritaire. Néanmoins, quand il y a des dérives, il faut le dire. Effectivement, il me semble que nous assistons à une dégradation de plus en plus marquée. On le voit à travers le terme de « dispositifs sonores portatifs », qui relève d’une novlangue absolue. À moins que l’exécutif ait peur de l’expression de l’opposition, on se demande quel est le véritable fondement de cette interdiction. D’ailleurs, lorsqu’on regarde l’arrêté préfectoral du préfet de l’Hérault, on se rend compte que cette interdiction repose sur une loi anti-terroriste. Il y a 5 ou 10 ans, on disait qu’à partir du moment où on acceptait l’incorporation de dispositifs de l’État d’urgence dans le droit commun, ça finirait par aboutir à des situations ubuesques. Nous en avons aujourd’hui un exemple flagrant. Certaines images de la BRAV-M sont au même titre absolument édifiantes. Dans l’expression de l’espace public, il y a des comportements du maintien de l’ordre qui ne sont pas en adéquation avec les standards qui sont ceux de l’État de droit. Pour beaucoup, dénoncer les dérives policières, c’est « quelque chose de gauche ». Mais en réalité, c’est défendre les libertés publiques, y compris pour des gens avec qui nous ne sommes pas d’accord. Le but des libertés publiques, c’est de défendre d’abord la liberté d’autrui.  

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De plus, on voit une dégradation dans les pratiques policières, mais aussi dans la pratique législative. On se souvient que dans la loi de sécurité globale, il y avait notamment des dispositifs visant à donner plus de pouvoir aux policiers. Si heureusement certains articles ont été censurés, cette loi reste révélatrice d’une pratique législative plus qu’inquiétante.  

La protection de la personne du Président pourrait légitimer, dans une certaine mesure, ce type de décisions. Comment faire la part des choses entre ce qui relève de la juste protection d’Emmanuel Macron et ce qui relève d’entraves aux libertés publiques ?

Cette question est institutionnelle, ce n’est pas à moi d’y répondre. Il faut trouver un équilibre qui veut que quand l’administration prend une décision, des contres pouvoirs doivent être en mesure de les évaluer. Or, dans notre exemple récent, aucune preuve sérieuse démontre un véritable risque sur l’ordre public. Nous devons donc nous demander comment nos équilibres institutionnels sont construits et si des procédures ont été lancées, les tribunaux devraient pouvoir renverser ces décisions litigieuses, même si c’est difficile car elles sont souvent prises le jour des manifestations.  

Par ailleurs, soyons clairs. Les casseroles ne mettent pas en jeu la sécurité du Président. Les manifestants ne vont pas se jeter sur la garde rapprochée d’Emmanuel Macron pour les assommer. C’est ridicule. L’ordre public, en tant que terme très vague, ne doit aboutir à la mise en place de décisions arbitraires et infondées, qui soient juste une sorte de réduction dans la pratique de la liberté de manifester.  

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Peut-on craindre de voir davantage de dérives ? Jusqu’où peuvent aller ces restrictions de liberté ?

C’est très difficile à dire car deux facteurs essentiels jouent dans cette affaire. Le premier est politique. L’État de droit ne vaudra jamais rien si la classe dirigeante n’est pas consciente du besoin de sauvegarder les libertés publiques. À ce titre, je me souviens d’une déclaration de Gérald Darmanin qui affirmait que manifester dans une manifestation non déclarée était un délit. C’est absolument faux. Qu’on puisse émettre ce genre d’affirmation sans être confronté par quiconque démontre que l’exécutif n’est pas très alerte sur ces questions. Gérald Darmanin joue également sur la dichotomie complètement absurde des méchants manifestants contre les gentils policiers. L’enjeu n’est pas là. L’enjeu est de se demander si nous avons des pratiques respectueuses de l’État de droit, sans envolées lyriques dans laquelle chacun défend son électorat.  

En tant que citoyens, nous sommes alertes sur ces questions, malgré une ambivalence dans l’opinion publique. Certains éprouvent un profond respect pour les forces de l’ordre, il est donc politiquement difficile d’affirmer qu’elles se comportent mal. Pourtant, en tant que citoyens, nous ne sommes pas forcément très à même sur nos missions qui visent à défendre les libertés publiques tout en étant renseignés sur le sujet. Quand on écoute les témoignages de manifestants, quand on voit que la pétition pour dissoudre la BRAV-M a été signée par plus de 260 000 personnes, on peut penser que tout n’est pas perdu. À ce titre, il est très difficile de s’avancer sur l’évolution de la société même si nous pouvons légitimement penser que la situation se dégrade depuis quelques années. 

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