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Frédéric Oudéa double presque son variable au moment où la Société Générale lance un nouveau plan social.
Frédéric Oudéa double presque son variable au moment où la Société Générale lance un nouveau plan social.
©Reuters

Bornes

Véritable serpent de mer, le débat sur l'encadrement des plus hauts salaires est relancé par les bonus annoncés par certains banquiers en pleine crise économique.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le bonus des banquiers : une provocation ? Alors que des milliers d’entreprises sont asphyxiées par les frais bancaires et la raréfaction du crédit, alors que des millions de Français restreignent leur train de vie pour s’adapter à une crise retentissante, et alors que l’économie française elle-même est en récession ou presque, les banquiers se lancent dans l’une des provocations dont ils ont le secret : l’augmentation massive de leurs bonus. Champion toutes catégories : Frédéric Oudéa, qui double presque son variable, au moment où la Société Générale lance un nouveau plan social. Mais la BNP n’est pas en reste: le directeur général percevrait un bonus proche des 2 millions d’euros, en hausse de 40 %.

Forcément, ces petits accommodements ne suscitent pas l’hilarité générale, et donnent lieu à des perceptions très contrastées dans l’opinion publique. Le débat sur l’encadrement des rémunérations revient au premier plan. Faut-il restreindre le salaire des patrons?

Dans la pratique, les patrons français font la douloureuse expérience du basculement dans un monde de transparence. Les augmentations décidées en catimini et dans le silence feutré des étages de direction ne sont plus guère possibles aujourd’hui : il se trouve toujours quelque administrateur ou quelque actionnaire bougon pour vendre la mèche.

Peu à peu, la France banalise la technique américaine en vigueur pour réguler les rémunérations des dirigeants: le Say on Pay, c’est-à-dire la publicité donnée aux salaires des patrons. Un salaire n’est justifié que si le dirigeant se sent en position d’en soutenir le montant devant ses actionnaires, et accessoirement devant ses salariés. Ce système qui relève de la soft law, c’est-à-dire d’un droit mou fondé essentiellement sur des mécaniques d’incitation et de dissuasion, atteint progressivement la France et fait peu à peu sentir ses effets. Avec une particularité bien française : l’effacement relatif des administrateurs, qui n’aiment pas affronter les dirigeants d’entreprise. La passivité des conseils d’administration amenuise fortement l’effet du say on pay et permet des dérives étonnantes, comme celles à laquelle nous assistons.

La Société Générale comme la BNP sont dotées d’un comité des rémunérations compétent pour décider de l’évolution du bonus des dirigeants. La composition de ce comité est déjà un indice fort de la passivité des conseils dans la relation avec le dirigeant de l’entreprise concernée.

A la Société Générale, par exemple, les membres du comité des rémunérations sont Michel Cicurel (également administrateur de Publicis et de Bouygues Telecom, ancien président du directoire de la Compagnie Rotschild), Jean-Martin Folz (ancien patron de Peugeot, administrateur de Saint-Gobain et d’Alstom), et Jean-Bernard Levy (PDG de Thalès). Cette simple énumération illustre l’un des aspects les plus fameux du mal français: la connivence des élites économiques, qui se tiennent mutuellement dans un système d’obligations réciproques et les contraint à coopérer pour le meilleur comme pour le pire.

Dans ce contexte de liens étroits entre les personnes, les dispositifs anglo-saxons de régulation fonctionnent évidemment beaucoup moins bien, puisque l’entre-soi permet de s’assurer des protections mutuelles contre l’irruption des petits porteurs dans la vie de l’entreprise. Ces précautions prises, l’augmentation des bonus des banquiers est-elle un scandale? La question renvoie à un sujet simple : quels sont les éléments qui justifient les rémunérations colossales des dirigeants des banques françaises?

En soi, une rémunération élevée d’un dirigeant n’est pas choquante, si le dirigeant en question peut expliquer en quoi elle reflète sa contribution personnelle à la prospérité de l’entreprise. Au fond, c’est ce que les économistes appellent la part marginale du dirigeant dans les résultats de l’entreprise qui doit déterminer la fixation de sa rémunération. Un dirigeant qui sauve une entreprise au bord du gouffre a de bonnes raisons de s’adjuger une rémunération importante. Un dirigeant qui met son entreprise sur la voie du déclin doit être sanctionné. La mesure du rôle marginal (au sens de la marge qu’il occupe dans le fonctionnement collectif) du dirigeant est un serpent de mer qui agite régulièrement les spécialistes du sujet. Comment déterminer l’influence effective d’un président ou d’un directeur général dans la bonne marche des affaires? Chacun sait que, dans les grands groupes, la conduite des affaires est forcément empreinte de collégialité: la détermination du rôle individuel du dirigeant est donc par nature imprécise.

Les spécialistes du sujet savent également que l’élément déterminant de la rémunération du dirigeant n’est pas la mesure de sa performance individuelle, mais la méthode même de rémunération. Les mandataires sociaux des grands groupes sont généralement payés, au moins en partie, selon le cours de l’action. Les formules utilisées pour tenir compte de ce cours peuvent être très variables, mais il n’en demeure pas moins qu’un dirigeant de grande entreprise est d’ordinaire directement intéressé à soutenir les actions de son entreprise en bourse.

Ce système présente évidemment certains avantages : il existe un lien direct entre la rémunération personnelle du dirigeant et la performance financière de son entreprise.

La face cachée de cet iceberg s’appelle l’obsession financière du dirigeant. Là où un président doit porter une vision à long terme, le super-actionnaire qu’il devient par cette méthode de rémunération est obsédé par la stratégie à court terme de l’entreprise pour faire remonter le cours de l’action. De là, des arbitrages néfastes où un dirigeant a un intérêt objectif à sacrifier une perspective longue pour empocher des bénéfices rapides et faire jouer son parachute doré. Lui-même libellé en actions.

Autre inconvénient de ce système : lorsque le cours de l’action ne remonte pas, le dirigeant d’entreprise a un véritable problème de rémunération. C’est là que la connivence du capitalisme français joue à plein : beaucoup de dirigeants de grandes entreprises françaises comblent la perte de leur rémunération due à la baisse ou à la stagnation de l’action, par une forte revalorisation de leur bonus, avec la parfaite complicité de leurs amis et obligés administrateurs. Le bonus ne sert plus alors à valoriser une performance individuelle, mais au contraire à neutraliser les effets d’une contre-performance boursière.

Il faudrait avoir en main les mandats sociaux des banquiers pour comprendre quelles sont leurs stratégies dans cette affaire. Sur trois ans, l’action de la Société Générale a perdu 15% et celle de la BNP a perdu 2%.

Faut-il y voir des explications à ces bonus insolents? Cela n’est pas impossible. Dans tous les cas, plutôt que d’encadrer les rémunérations des dirigeants, la généralisation du say on pay et la transparence sur le mode de calcul de leur rémunération s’impose de plus en plus comme une nécessité. Toute faillite bancaire est en effet un risque systémique avéré qui engage les ressources des contribuables. Il ne serait donc pas choquant que ces contribuables sachent si les dirigeants des grandes banques françaises ont intérêt à réussir dans la durée, ou à réussir à court terme. Cette nuance est en effet lourde de sens pour l’économie française.

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