Les traders à haute fréquence veulent des ondes radio à basse fréquence : faut-il vraiment leur accorder ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux Etats-Unis, un groupe de traders a demandé l'accès à la bande d'ondes courtes du spectre radio pour gagner des millisecondes cruciales dans la transmission de données entre les principaux secteurs financiers.
Aux Etats-Unis, un groupe de traders a demandé l'accès à la bande d'ondes courtes du spectre radio pour gagner des millisecondes cruciales dans la transmission de données entre les principaux secteurs financiers.
©Michael M. Santiago / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Soupçons

Le trading haute fréquence est de plus en plus décrié car il est soupçonné d'amplifier les mouvements sur les marchés.

Saïd Belbachir

Saïd Belbachir

Saïd Belbachir est directeur commercial chez OFI Invest AM.

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Atlantico : Qu'est-ce que le trading haute-fréquence ?

Saïd Belbachir : Le trading haute fréquence (THF) c’est l'exécution à grande vitesse de transactions financières à travers des algorithmes informatiques ainsi que des intelligences artificielles. Le THF permet d’effectuer des dizaines de milliers d’opérations sur les marchés financiers en moins d’une seconde. 

Cette pratique récente est devenue dominante au milieu des années 2000 dans le système boursier international. Elle représente désormais la grande majorité d’ordres passés dans les marchés aussi bien en nombre qu’en volume. 

Le THF nécessite le déploiement d'infrastructures permettant une incroyable rapidité dans la transmission du signal. Ainsi les sociétés de THF ont investi dans des réseaux de fibre optique, mais aussi de plus en plus dans des technologies sans fil de type antennes relais.

Le THF est de plus en plus décrié car il est soupçonné d'amplifier les mouvements sur les marchés. Les polémiques qu’il suscite sont nombreuses. La plus connue concerne le flash crash du 6 mai 2010. Ce jour-là, l’indice boursier américain a perdu presque 10% en moins de 10 minutes. Cette baisse sans précédent dans l’histoire de la bourse a débouché sur une enquête de l’autorité des marchés américains, la SEC. Elle  a conclu que cet événement, dû à la base une vente d’un fonds de pension américain, a pris cette ampleur car il a été alimenté par les opérations de THF.

Plus récemment cet été cette même SEC a porté plainte contre l’un des principaux opérateurs de THF car elle estime qu’il a permis à ses traders d'accéder à des informations sensibles sur les ordres des clients.

Aux Etats-Unis, un groupe de traders a demandé l'accès à la bande d'ondes courtes du spectre radio pour gagner des millisecondes cruciales dans la transmission de données entre les principaux secteurs financiers. Qu'est-ce que ça change pour les traders ? c'est un enjeu aujourd'hui? ça révolutionne le marché ? 

Cette demande s’inscrit dans un long processus de « course à la vitesse » initié au début des années 2010. L’amélioration continue des infrastructures ainsi que le déménagement des points de passage d’ordre à proximité des centres de décision a atteint ses limites. L’une des façons de gagner encore un peu de vitesse consiste désormais à occuper certaines bandes d’ondes radio. Cette demande n’a rien d’étonnant, elle s’inscrit parfaitement dans ce fameux processus de « course à la vitesse ». Ce n’est en rien une révolution mais une simple évolution. En réalité, les traders haute fréquence se retrouvent désormais face à un plafond de verre. La vitesse de circulation de l’information ne pourra jamais dépasser la vitesse de la lumière. Passer par une antenne radio permet de se rapprocher un peu plus de la vitesse de la lumière certes mais cette dernière restera toujours impossible à dépasser (c’est ainsi, la faute aux lois de la physique).

En réalité l’enjeu est ailleurs. Je m’explique, le THF consiste en deux actions : d’abord on analyse le marché, ensuite on passe ses ordres. Il y a eu de grosses avancées dans la vitesse de passage des ordres. Mais le plus gros du progrès est à faire dans l’analyse du marché. Le big data et l’intelligence artificielle sont deux outils essentiels dans ce travail d’analyse. C’est donc sur ces deux composantes que les traders haute fréquence vont désormais se concentrer. Plus l’analyse de l’environnement des marchés sera fine, plus l’ordre passé aura une efficacité chirurgicale. La bataille du hardware fait désormais place à la bataille du software. Pour faire simple, après la course à celui qui aura le meilleur câble, maintenant, c’est à celui qui aura le meilleur logiciel.

Lors de la crise financière de 2008, les traders ont été accusés d'être les responsables et de générer des problèmes de fond. Là, ils veulent encore aller plus loin. Est-ce bien raisonnable ?

Dans leur logique c’est tout à fait raisonnable de pousser la technologie dans ses derniers retranchements. En effet, le THF consiste à gagner de l’argent en profitant de la latence des marchés. Être rapide au moment du passage d’ordre c’est un peu comme un super pouvoir. Le gain en étant un peu plus rapide est infime, mais si vous réalisez l’opération des dizaines de milliers de fois à la seconde, le gain peut vite devenir substantiel. 

On comprend ainsi que le THF est une pratique qui pose de plus en plus de questions en particulier sur le plan éthique. Cependant, elle est légale. Les marchés financiers sont criblés de brèches. Le THF s’immisce dans chacune de ces brèches depuis des années. Il a pris aujourd’hui une telle dimension qu’il semble compliqué pour les gouvernements de l’interdire car, malgré sa mauvaise réputation, il permet d’assurer une vertu précieuse sur les marchés : la liquidité. En effet, avoir autant d’opérations en continue permet d’avoir sans cesse des acheteurs. C’est pratique pour celui qui a besoin de vendre. Par ailleurs considérer que THF, c’est le Far West tient du fantasme. La réglementation existe bel et bien, elle punit particulièrement les pratiques visant à tromper les marchés avec des ordres annulés au dernier moment. 

Ce combat pour gagner des millisecondes, ça change la philosophie du métier ou ça permet d'améliorer les choses ? 

La philosophie reste inchangée concernant le THF : gagner un peu à chaque opération et multiplier le nombre d’opérations pour espérer gagner beaucoup. Gagner encore quelques millisecondes ne constitue pas une révolution. Cette dernière a déjà eu lieu il y a quelques années avec l’arrivée des algorithmes dans les marchés. Prenons l’exemple de la durée moyenne de détention d’une action. C’était 8 ans en 1960, 2 ans en 1980, un an en 2000. Aujourd’hui… c’est moins de 20 secondes ! Gagner quelques millisecondes entre opérateurs THF on peut comprendre que c’est important. Mais les investisseurs de long terme n’y accordent que peu d’importance car ils travaillent sur le temps long. Ce sont de vrais humains, qui achètent des titres sur des convictions de long terme. L’arrivée des plats surgelés n’a pas fait disparaître la cuisine traditionnelle, les plateformes de streaming n’ont pas fait disparaître le cinéma, les supermarchés n’ont pas fait disparaître les petits commerces et les écrans ne feront pas disparaître les livres. Alors même si les investisseurs traditionnels sont moins nombreux qu’auparavant, ils seront toujours là, et c’est tant mieux.

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