Les taux zéro : le remède contre la dette que ni les orthodoxes du budget, ni les keynésiens ne veulent comprendre et admettre, et pourtant…<!-- --> | Atlantico.fr
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Agnès Verdier-Molinié économie française dette crise économique pandémie Covid-19
Agnès Verdier-Molinié économie française dette crise économique pandémie Covid-19
©JOEL SAGET / AFP

Lettre ouverte à Agnès Verdier-Molinié

Dans une tribune publiée dans L’Opinion, Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation iFRAP, met l’accent sur les risques de la faillite que court l’Etat français à s’endetter. Plus menaçante encore, elle prédit que la BCE va se fracasser et qu‘il en sera fini de l’Europe. Dans le genre anxiogène, sur le front de l’économie, elle bat des records. Lettre ouverte...

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Madame Verdier-Molinié, 

Chère Agnès,

A lire votre chronique, vous ne changerez donc jamais. Vous êtes devenue incontournable dans le débat politique et les travaux que vous réalisez au sein de votre think tank (l’iFRAP) ont toujours permis, avec beaucoup de lucidité, d’éclairer l‘état de nos comptes publics et leur évolution. Primordial de connaître avec nos dépenses publiques et sociales d’un côté et les impôts et charges que nous payons de l’autre.

Vous avez incontestablement, et depuis des années, facilité la prise de conscience des risques d’une dérive des dépenses publiques, des dangers de creuser un déficit et de les financer par un endettement. Depuis des lustres, chaque année ou presque, vous venez donc crier aux opinons publiques que nous sommes gérés par des irresponsables qui préfèrent s’endetter que de réformer le système. Ces avertissements répétés n’ont guère changé la donne, ni même facilité la pédagogie mais ils marquent au moins votre détermination. Et cette année encore, dans votre livre «La France peut-elle tenir encore longtemps ? » édité chez Albin Michel.

Le livre est puissant et clair. Votre objectif est de prouver que la France s’est endettée dans des proportions intenables, mais que le gouvernement est coupable de ne pas s’en préoccuper. Avec un endettement public de 120% du PIB, nous serions le pays qui dépense le plus en Europe, qui taxe le plus et qui emprunte le plus. Vous ajoutez que la France va devoir encore emprunter 260 milliards d’euros en 2021. Parce que les prévisions de croissance ne seront pas réalisées, compte tenu des incertitudes sur le Covid et les risques de confinement... Et ce n’est pas tenable. Vous concluez, c’est du moins ce qu’on retient de la démonstration, « il est donc urgent que les responsables politiques prennent la mesure des dégâts et trouvent une voie pour faire revenir la dette en dessous de 100 % du PIB d’ici à 2027. » Sous-entendu, vous politiques, êtes complètement irresponsables, et le « quoi qu’il en coute » ne date pas de la pandémie.

Comme souvent, le réquisitoire est sans appel, mais dans les circonstances actuelles, je crains fort qu’il soit inaudible et contreproductif. Je suis un peu désolé, chère Agnès, mais vous ne pouvez pas croire que les responsables politiques soient des incapables, vous ne pouvez pas croire que leur vocation soit de nous conduire dans le précipice. Pas vous. Les complotistes, populistes de professions qui surfent sur l’ignorance des uns et l’aveuglement des autres, oui, c’est leur métier. Mais ça n’est pas le vôtre. Votre devoir et votre talent, c’est d’analyser les chiffres tels qu‘ils sont et présenter des solutions possibles autres que de rechercher les responsables qui sont à vos yeux coupables.

Vous ne pouvez pas développer un discours aussi anxiogène qui ajoute du stress économique au stress lié de la situation sanitaire, en enchainant les Y-a-qu’à et les Faut-qu’on...

Agnès Verdier-Molinié, vous avez raison de dénoncer cet endettement excessif, vous avez raison de dire que cet endettement n’est pas tenable. Mais vous avez profondément tort de répéter que cet endettement est lié au laxisme des gouvernants, comme si leur plaisir quotidien était d’emprunter. Et vous avez, je crois profondément tort de penser que notre obligation serait de rétablir les équilibres très rapidement en changeant les structures, les procédures, en diminuant les dépenses publiques et sans doute, en augmentant les impôts. Vous avez profondément tort de penser qu’un retour à l’orthodoxie budgétaire, à l’équilibre serait indispensable. Vous ne parlez pas d’austérité, mais tout ce que vous préconisez nous ramène à l’austérité. C’est irréaliste que de proposer une telle thérapie. C’est même suicidaire.

Très simplement et en toute humilité, je voudrais vous dire que vous faites fausse route pour trois raisons très simples.

La première raison, c’est que nous ne sommes pas dans une crise ordinaire, nous sommes en pleine guerre mondiale dans laquelle la planète a choisi d’épargner le maximum de victimes. L’opinion veut des guerres propres. La guerre contre le Covid doit être propre. Et dans cette guerre, comme dans toutes les autres, « on ne compte pas ». La France est un des pays en Europe qui s’est le plus endetté pour préserver les acteurs du système économique. Les actifs de production n’ont pas été détruits et les contrats de travail ont été protégés (d’où les aides, les subventions et les allocations de toutes sortes). Le résultat, en 2020, est que face à la baisse d’activité (baisse de 9% de PIB), on a compensé la perte de richesse par des liquidités. D’où le maintien du pouvoir d’achat moyen (ce qui est exceptionnel), d’où l’absence de faillites et de plans sociaux. Alors, des secteurs entiers sont encore en grande souffrance, certes.

En 2020, l’Etat français aura emprunté, seul, 200 milliards. L’année 2021, avec une reprise de PIB à 6%, ne permettra pas de compenser les dégâts et d’empêcher les liquidations qui ont été retenues jusqu'à maintenant. L’année 2021 obligera donc l‘Etat à gonfler encore plus son plan de relance. Agnès Verdier-Molinié, vous prédisez 260 milliards d’euros d’endettement supplémentaire. Possible encore que vous chargiez beaucoup la barque pour mieux prouver qu’on va se noyer ? Peut-être !

Cette politique de soutien systématique était incontournable dans la France d’aujourd’hui. Je n’imagine pas l’exécutif français suivre la voie des gouvernements italien, espagnol et portugais qui ont enlevé la plupart des perfusions. Leurs services de santé débordent. Les chambres mortuaires aussi. La France a cette chance d’être en position d’emprunter, quasiment sans limites, ce qui lui permet de tenir et ce qui lui permettra sans doute de se redresser.

La deuxième raison pour laquelle on ne peut pas espérer sortir de ce déséquilibre financier très rapidement comme vous le préconisez, Agnès, c’est que cela reviendrait à préconiser un remède de cheval, en réduisant les dépenses publiques, en débranchant les perfusions sans parler des impôts qu’il faudrait relever et l’épargne individuelle qu’il faudrait confisquer. Vous le dites avec beaucoup de franchise. Ajoutant que les responsables politiques se sentiront contraints de le faire tout en promettant l’inverse. A peine sorti du coma artificiel lié aux confinements, vous conseillez finalement d’asphyxier le système. C’est inacceptable pour l’opinion publique, c’est ingérable politiquement dans nos régimes démocratiques. Et c’est insupportable pour les chefs d’entreprise et leurs salariés. Quoi que vous en pensiez, il faudra passer par d’autres solutions que vous ne voulez pas voir.

La troisième raison, ma chère Agnès, est que nous vivons depuis quelques années dans un univers de taux d’intérêt zéro. Et que selon toute probabilité, ça va durer. Et ça change tout mais c’est actuellement politiquement incorrect aux anciens de l’Ena ou de Sciences po.   Vous avez pourtant quelques économistes notoires, comme Jean Tirole, Olivier Blanchard ou même Mario Draghi, qui ne sont pas des fous furieux marxistes ou irresponsables et qui essaient d’expliquer au monde occidental que nous sommes entrés dans un autre paradigme. Ils tirent simplement les leçons de nos difficultés récentes à sortir de la crise des subprimes.

La pratique des taux zéro et même négatifs permet à l’emprunteur de ne pas payer la charge de sa dette.La France, dont l’endettement pèse aujourd’hui 120% du PIB, a une charge financière inférieure à celle qu‘elle supportait quand sa dette n’était que de 60%. A la limite, plus on emprunte, plus on s’enrichit.

Alors, reste le stock de capital qu’il faudra rembourser, direz-vous et vous avez raison. Mais avec des taux d’intérêt négatifs et un taux de croissance du PIB positif, si vous n’augmentez pas votre endettement, il baissera mécaniquement et automatiquement. Je sais que  c’est difficile à admettre , mais c’est pourtant la réalité.

Donc le seul effort que l’on peut demander sera de stabiliser la dette, mais surtout de ne rien faire qui puisse ralentir la croissance économique. Donc on peut se permettre de chatouiller la demande sans trop toucher aux dépenses publiques, et même d’exciter l’offre en allégeant les prélèvements obligatoires.

La maturité de la dette étant au minimum de 10 ans, le monde a dix ans pour éponger mécaniquement la dette sans prendre trop de risques politiques. Si les taux remontent dans dix ans au plus tôt, on aura les moyens, économiquement, d’emprunter plus cher ou même, on sera en mesure de ne plus avoir besoin d’emprunter. On peut rêver !

Alors cette situation ne peut fonctionner qu’à deux conditions. La première, c’est que les banques centrales continuent les politiques de rachats de dettes et par conséquent, continuent de garantir la liquidité du système bancaire. Ce que fait la Réserve fédérale américaine ( mais c’est dans son ADN) et ce que fait la BCE, garantissant ainsi la solidarité européenne. Il est frappant d’ailleurs que les pays les plus orthodoxes au niveau budgétaire en Europe aient fini par accepter avec beaucoup de facilité ces politiques non conventionnelles. Ils l’ont fait pour une raison très simple : ils ont compris que dans le monde tel qu’il est, il n‘y avait plus de risques d’inflation pour au moins dix ans. L’objectif de la BCE de lutter contre l’inflation est donc complètement archaïque.

La seconde condition, c’est que les taux d’intérêt restent proches de zéro sur une très longue période. Ils le resteront parce que les banques centrales (et notamment la BCE)  jouent le jeu mis en place par Mario Draghi. Les taux resteront proches de zéro, pour des raisons liées à la démographie mondiale. Le taux de croissance de la population va baisser et cette population mondiale vieillit. Et quand une population vieillit, elle épargne. Sans compter que le Covid a encore boosté le taux d’épargne.

Ajoutons à cela que la révolution digitale que nous vivons engendre sans cesse une augmentation de la productivité, ce qui augmente la production de richesses, donc la consommation, mais plus encore l’épargne.

On peut imaginer, et ça n’est pas de la science-fiction, que la sortie de crise du Covid va se jouer un peu comme la sortie des deux dernières guerres mondiales. 

En 1918, un conflit a décimé une partie de la jeune génération qui avait été envoyée au front. Ce conflit a accouché d’une explosion d’initiatives et d’activités dans les années Folles de 1920.

En 1944, après 4 années de guerre qui ont fait des millions de morts et détruit une bonne moitié des actifs de production, les pays de l’Europe de l’Ouest se sont relevés et se sont embarqués dans une période de Trente Glorieuses de travail et d’enrichissement.

En 1918, les dettes de la guerre ont été financées par les vaincus (l‘Allemagne) et les investissements nécessaires ont été financés par la productivité fantastique de la révolution industrielle.

En 1944, les dettes de la guerre, les réparations et les investissements ont été financés par de la dette (plan Marshall en partie), mais surtout par l’inflation qui a raboté mécaniquement l’endettement. Au détriment des épargnants.

A partir du Covid, les taux zéro ou négatifs nous permettront de réduire l’endettement. Les épargnants acceptent d’amputer chaque année une partie de leur capital prêté à l’Etat, en contrepartie d’une assurance garantie. Ce taux négatif représente une sorte de droit de garde ou d’impôts.

Alors cette formule, que présente un certain nombre d’économistes, s’inscrit évidemment dans un nouveau paradigme qui n’autorise pas les États à continuer de dépenser sans compter. Il faut, au contraire, veiller à la stabilisation de l’endettement (donc la réduction des dépenses de fonctionnement). Le seul effort que l’Etat peut se permettre, c’est d’encourager les dépenses d’investissements, parce que l’investissement produit de la richesse pour l’avenir. L’Etat sera d’ailleurs poussé par le marché et le corps social qui fera pression pour obtenir une rémunération de son épargne plus substantielle (pour sa retraite). La seule solution sera de développer des investissements à risques, donc des investissements industriels.

En clair, ça veut dire que le rôle de Bercy sera de chasser les gaspillages au niveau des dépenses publiques (et là, Agnès Verdier-Molinié a raison d’appuyer même si ça fait mal) mais le rôle de Bercy sera surtout de créer des mécanismes d’incitations pour que cette épargne s’investisse dans l’entreprise. Que ce soit par des canaux d’irrigation publics ou privés.

Voilà, chère Agnès, merci d'avoir écrit ce livre très agaçant mais qui m’aura permis de rappeler quelques idées « libérales » (que vous savez bien sûr) et qui reviennent à demander moins de pression à l’Etat et plus de confiance collective au marché.

Ce qui peut nous rendre optimiste pour l’avenir, ce n’est pas la critique systématique des responsables politiques. Ce qui peut nous rendre optimiste, c’est la prise en compte des mécanismes de marché qui ont inventé ce remède du taux zéro. Les taux zéro vont sauver le système et l’Etat n’y sera pour rien. Inhabituel et inattendu. Les orthodoxes de la politique budgétaire comme les nostalgiques de Keynes ne peuvent pas comprendre que l‘Etat soit ainsi à l’écart d’un tel mouvement de fond.

Bien amicalement,

JMS

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