Les racines de la tragédie : comment Samuel Paty a dû se défendre face à la calomnie <!-- --> | Atlantico.fr
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Le portrait de Samuel Paty est déployé sur la façade d'un bâtiment dans le cadre d'un hommage officiel à l'enseignant assassiné.
Le portrait de Samuel Paty est déployé sur la façade d'un bâtiment dans le cadre d'un hommage officiel à l'enseignant assassiné.
©PASCAL GUYOT / AFP

Bonnes feuilles

David Di Nota publie « J’ai exécuté un chien de l’enfer Rapport sur l'assassinat de Samuel Paty » aux éditions du Cherche Midi. L'auteur analyse la rumeur infondée qui a conduit à l'assassinat de Samuel Paty, un professeur de collège, dans une petite ville paisible des Yvelines. Cet ouvrage révèle notamment une série d'incohérences institutionnelles. Extrait 1/2.

David Di Nota

David Di Nota

Romancier, dramaturge et docteur en science politique, David di Nota a reçu le prix Amic de l’Académie française pour l’ensemble de ses livres.

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« Non seulement notre collègue a desservi la cause de la liberté d’expression, il a donné des arguments à des islamistes et il a travaillé contre la laïcité en lui donnant l’aspect de l’intolérance, mais il a aussi commis un acte de discrimination : on ne met pas des élèves dehors, quelle que soit la manière, parce qu’ils pratiquent telle ou telle religion ou parce qu’ils ont telles ou telles origines, réelles ou supposées. Mon éthique m’interdit de me rendre complice de ce genre de choses. »

Ces mots ont dû résonner longtemps dans la tête de Samuel Paty. Ce dernier envoie un courriel à ses collègues le dimanche 11 octobre, très tard – aux alentours de 22 heures – afin de se défendre d’une telle accusation. Comment un collègue peut-il croire une chose pareille ? Pourquoi la principale a-t-elle besoin de rappeler l’équipe professorale au devoir de solidarité ? Pourquoi l’hypothèse la plus absurde – Paty sélectionnant les musulmans comme les Juifs sous l’Occupation, avant de planifier, qui sait, la prochaine rafle du Vél d’Hiv – est-elle justement celle dont l’enseignant doit se défendre ? Au cours des mois suivants, tous les acteurs soucieux de rendre hommage à sa mémoire éprouveront le besoin de minimiser ces dissensions, à commencer par le rectorat de Versailles, pour qui cet échange de courriels relèverait d’une simple discussion pédagogique. L’enseignant, lui, entend garder ces courriels « à titre de preuves éventuelles », et évoque même la présence d’un huissier, comme pour défendre une tout autre version des faits et, pourrait-on dire, une tout autre mémoire.

Mais il faut aller plus loin, et relever un détail capital. « Si je comprends bien, un individu menace de faire venir des musulmans devant le collège pour que leurs enfants (qui sont aussi je suppose musulmans) soient obligés de regarder les caricatures du prophète », écrit l’enseignant après que la principale l’eut informé des menaces – comme si cette mobilisation avait pour but de forcer les élèves à regarder le dessin en question, alors que c’est évidemment l’inverse qui est vrai. Cette inversion est en réalité tout à fait cohérente avec l’attitude d’un professeur qui est à mille lieues (« qui sont aussi je suppose musulmans ») de poser les problèmes en ces termes. Afin de mieux saisir ce point central, il faudrait comparer la démarche de Paty avec celle du professeur cité par Jean-Pierre Obin dans son étude sur la progression de l’islamisme au sein de l’Éducation nationale :

« Nous sommes au surlendemain de l’attentat de Charlie Hebdo. La situation met en scène une jeune professeure de français débutante dans un lycée de banlieue parisienne. Suivant les consignes ministérielles, elle a décidé d’aborder l’actualité brûlante avec ses élèves. Ses collègues l’ont mise en garde. Elle-même craint des protestations et des incidents de la part d’élèves d’origine maghrébine, nombreux dans sa classe de seconde. Elle a préparé une intervention sur la tolérance avec des extraits d’œuvres littéraires. Toutefois, afin de prévenir les contestations, elle croit bien faire en commençant par un prologue pour assurer à ses élèves qu’elle n’est pas islamophobe et qu’elle condamne l’islamophobie. »

Cette profession de foi antiraciste à l’intention de la communauté musulmane est intéressante, car c’est justement ce que n’a pas fait Samuel Paty. « À aucun moment je n’ai déclaré aux élèves : “Les musulmans, vous pouvez sortir car vous allez être choqués.” Et je n’ai pas demandé aux élèves quels étaient ceux qui étaient de confession musulmane », précise l’enseignant lors de sa déposition du 13 octobre. « M. Paty a montré la caricature du prophète mais il n’a pas montré les musulmans du doigt, il n’a forcé personne », dira une élève – précision essentielle, laquelle reste vraie, qu’il s’agisse du cours du 6 octobre ou du cours identique effectué la veille. L’hypothèse du collègue antiraciste, qui est également celle de la rumeur – l’hypothèse d’une exclusion sur des bases religieuses –, est donc à rejeter entièrement. « Il a dit : “Vous pouvez sortir de la classe ou fermer les yeux.” Puis il est allé chercher les quatre élèves qui étaient sortis et le cours a repris comme si de rien n’était. C’est ensuite que ça a fait parler sur Twitter et WhatsApp, Instagram et Snapchat. » Quant à cette prévenance elle-même, elle s’explique par le caractère sexuel – « trash », dira l’enseignant – du dessin. Le point le plus intéressant est que personne, sur le moment, ne s’est senti exclu (point confirmé par l’auxiliaire de vie présente sur les lieux au moment des faits), sans doute parce que Paty a su trouver les gestes et les mots justes pour ôter toute ambiguïté discriminatoire à cette proposition. Ce n’est que par la suite, et en vertu de leurs propres impératifs religieux, que des parents d’élèves transformeront cette prévenance en intention stigmatisante. Ce n’est qu’a posteriori, et en vertu de leur propre indignation, que certains musulmans s’autodésigneront comme les destinataires de cet « incident ».

Extrait du livre de David Di Nota, « J’ai exécuté un chien de l’enfer Rapport sur l'assassinat de Samuel Paty », publié aux éditions du Cherche Midi. 

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