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Les promesses du voyage d’Emmanuel Macron en Chine
©WANG ZHAO / AFP

Tribulations

Le voyage du président de la République qui commence ce lundi au pays de M. Xi sera l'occasion de nouer de sérieux liens entre Paris et Pékin, plusieurs dossiers (en plus des juteux contrats potentiels) étant à faire avancer.

Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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En se rendant en Chine du 8 au 10 janvier, le Président de la République, Emmanuel Macron va rencontrer le Président Xi Jinping qui commence un second mandat de cinq ans avec un gouvernement encore plus restreint puisque il dirigera désormais cet immense pays avec un Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC, resserré autour de sept fidèles collaborateurs. Macron sera face à un leader qui a exprimé en septembre 2013 une vision stratégique claire et ambitieuse pour l’avenir de la Chine. Xi Jinping a eu l’habileté de ne pas lister ni de s’appesantir sur les immenses défis que son pays doit relever dans les 20 ans à venir, ce qui aurait pu être démobilisateur. Il les a  présentés positivement en les rassemblant dans un seul « projet-concept » qui fait référence à l’ancienne route mythique de la soie et qui est désormais appelé « Belt and Road Initiative » (BRI).

Face à son interlocuteur, le Président Emmanuel Macron dispose de cartes importantes pour donner un nouvel élan aux relations franco-chinoises dans un contexte de relations sino-américaines tendues tant sur le plan stratégique que sur les plans économique et technologique.

Le contexte sino-américain

Lundi 18 décembre 2017, en  dévoilant la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine Trump a classé la Chine dans la même catégorie que la Russie et les a qualifiées de « puissances révisionnistes » et de « concurrents hostiles » qui cherchent à « façonner un monde antithétique aux valeurs et intérêts américains ». « La Chine et la Russie défient le pouvoir, l’influence et les intérêts américains, en essayant d’éroder sa sécurité et sa prospérité », indique le document. « Ces concurrences obligent les États-Unis à repenser les politiques des deux dernières décennies – des politiques basées sur l’hypothèse que l’engagement avec leurs rivaux et leur inclusion dans les institutions internationales et le commerce mondial en feraient des acteurs et des partenaires de confiance ». 

Sur le plan économique, Trump a été élu sur le slogan « Make America Great Again »  par la classe moyenne américaine qui voit son niveau de vie stagner et qui en attribue la cause à l’hémorragie de l’industrie américaine au profit de l’étranger, qu’il soit Chine, Canada ou Mexique. Devenu le champion du patriotisme économique, il a forcé, dès son investiture,  le Canada et le Mexique à renégocier l'accord Aléna. Le 1er juin 2017 à Washington il a annoncé que les Etats-Unis, deuxième pollueur de la planète, allaient sortir de l’accord sur le climat signé à Paris en décembre 2015 par la quasi-totalité des pays du monde. Le vendredi 10 novembre 2017, au forum annuel de l'APEC qui se tenait au Vietnam, Donald Trump a confirmé sa décision de retrait de l'accord de libre-échange transpacifique TPP pour privilégier le cadre bilatéral. De même le 1er décembre 2017 les Etats-Unis ont officiellement informé l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) qu'ils s'opposaient à l'octroi à la Chine du statut d'économie de marché, ce qui devrait leur permettre de maintenir des barrières douanières élevées sur certains produits chinois.

Sur le plan technologique, Trump a lancé le 14 août une enquête sur les conditions de transferts de technologie américaine et le respect de la propriété intellectuelle en Chine ;

Cette pression tout azimut sur la Chine irrite aux plus haut point les dirigeants chinois qui n’ont pas manqué lors des récents contacts que j’ai eu avec eux, de vilipender cette politique internationale fondée sur le bilatéralisme et le donnant-donnant. Mais tout en dénonçant le risque de guerre commerciale, ils ont choisi de plier et de satisfaire l’ego de Trump en payant . Lors de sa première visite en Chine les 8 et 9  novembre dernier Trump a signé pour 253,4 milliards de dollars d’accords commerciaux : « Vertigineux, le montant a de quoi flatter l'ego du président américain. Il pourra se dépeindre en négociateur hors norme! Même si ces accords mêlent contrats fermes et intentions d'achats, certains déjà annoncés il y a des mois »

La Chine a des défis immenses à relever. 

Inégalités et qualité de vie

Ce pays, le plus peuplé du monde, a connu un développement économique sans précédent dans les 25 dernières années. Le PIB par habitant est passé d’environ 1 000 dollars en 1990 à 15 000 dollars en 2016. Sur cette période, 700 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. Le pourcentage de Chinois vivant avec moins de 1,25 dollar par jour est passé de 85 % à 11 % entre 1980 et 2012.  

Mais cette fabuleuse amélioration s’est accompagnée d’une pollution insupportable pour les habitants de grandes villes et d’une triple croissance des inégalités : 

- entre les chinois les plus riches et les plus pauvres, 

- entre les provinces chinoises côtières de l’Est  et celles de l’intérieur de l’Ouest, 

- entre les villes et les campagnes. 

Les dirigeants chinois ont pris conscience que la persistance de ces nuisances et de ces fortes inégalités freinait la croissance et la rendait instable. Dès son accession au pouvoir, XI Jinping s’est attaqué à réduire la pollution et ces trois inégalités.

La Chine, qui demeure encore le premier émetteur mondial  de CO2, est devenue le leader mondial en production d'électricité d'origine renouvelable avec 1 398 TWh en 2015, loin devant les États-Unis : (568 TWh), le Brésil  et le Canada. Le Président chinois  a fixé l'objectif de produire d'ici 2020 au moins 15 % de l'ensemble de l’énergie à partir de sources renouvelables. La Chine essaie encore de réduire plus vite ses besoins en énergie fossile qui resteront croissants selon les experts jusque dans les années 2025-2030. Lorsqu’on visite la Chine en 2017, son engagement à limiter le changement climatique et à maitriser les énergies saute aux yeux et sur ce point fondamental le Président Macron n’aura aucune peine à trouver un terrain d’entente et de coopération avec le Président chinois. 

Face aux inégalités  entre les riches et les pauvres, le président Xi Jinping  s’est attaché à lutter contre la corruption des « mouches », les petits fonctionnaires  et des « tigres » qui était perçue par la population comme la première cause d’inégalités. Il n’a cessé de renouveler sa volonté de « bâtir un Parti et un gouvernement propre ». Ainsi, en décembre 2014 lors de la session plénière de la Commission de discipline  il a déclaré« Nous gagnerons notre guerre féroce contre la corruption ». Pour le tout puissant numéro 1 du PCC, il s’agit là d’une « question de vie et de mort pour le Parti et pour la nation ».

La « Belt and Road Initiative » (BRI) vise à corriger les deux dernières inégalités en développant l’Ouest de la Chine et en l’ouvrant vers l’Asie centrale et l’Europe et en fixant les paysans dans les campagnes. 

 Pour réussir ce triple défi et dans un contexte de concurrence hostile avec les Etats-Unis, la Chine  doit maîtriser la vulnérabilité que constitue sa dépendance en énergie et en matières premières minérales et agricoles.  La « Belt and Road Initiative » (BRI) vise aussi à diversifier ses sources d’importations et à les sécuriser.

La dépendance chinoise en énergie et en matières premières agricoles et sa politique de sécurisation de ses approvisionnements

La Chine importait en 2015 60% de ses besoins en pétrole, 30% de ceux en gaz naturel et 5,5% de ses besoins en charbon dont la décroissance est amorcée depuis cette date. 60%  du  pétrole importé vient encore du Moyen-Orient et d’Afrique.

Par ailleurs, la Chine  dispose de moins de 10 % des terres agricoles de la planète alors qu’elle représente plus de 20% de sa population. La Chine est ainsi le premier importateur mondial de produits agricoles. Du fait de la modification de la consommation lié à l’amélioration du niveau de vie (protéines animales) ses besoins ne feront qu’augmenter, posant à la Chine un véritable problème de sécurité alimentaire. Le soja et les huiles représentent plus de la moitié de ses achats (40 % des flux de soja mondiaux vont vers la Chine, ou 65 % si on se limite à la graine, car c’est le mode d’achat privilégié). Ses importations augmentent ainsi virtuellement d’environ 50 % la surface cultivée totale dont elle dispose. Tout  en modernisant son agriculture pour atteindre l’autosuffisance en céréales, la Chine s’est donc engagée depuis une dizaine d’années  dans une vaste politique de rachat et de location de terres arables à travers le monde surtout aux Philippines, Indonésie et au Laos et plus de 60 millions d'hectares sur le continent africain. 

Pour sécuriser ces approvisionnements vitaux, la Chine même une politique de diversification de ses sources d’approvisionnement et des voies d’acheminement.

La principale route maritime par où transite actuellement 80% des importations chinoises est vitale mais très vulnérable. En effet, elle traverse du Nord au Sud  la mer de Chine, mer fermée  au Sud par le détroit de Malacca puis passe au large du Skri Lanka et se divise en deux branches, l’une au travers du détroit d’Ormuz pour rejoindre les ports du Golfe persique, l’autre passant par le détroit de Bar el Mandeb, traverse la mer rouge, le canal de Suez pour rejoindre le bassin méditerranéen et le Sud de l’Europe.

Pour cette raison que la Chine s’est attachée à construire un « collier de perles » et moins prosaïquement une ceinture (Belt) de bases aéronavales sur les récifs coralliens des Spratly et des Paracels ; à Sittwe au Myanmar au fond du golfe du Bengale d’où un oléoduc et un gazoduc permettent de rejoindre la Chine en évitant le détroit de Malacca ; à Hambantota au Skri Lanka ;  à Gwadar au Sud du Pakistan d’où des oléoducs et gazoducs relieront la Chine et permettront d’exporter le gaz et le pétrole iranien sans passer par Ormuz ; à Djibouti qui contrôle Bab el Mandeb et d’où partira un gazoduc pour exporter le gaz éthiopien.  Enfin un opérateur chinois a acquis 67% des actions du port du Pirée en Grèce, ouvrant une porte vers l’Europe centrale. 

Ces ports pour ceux du Myanmar et du Pakistan sont directement reliés à la Chine et constituent les deux premières routes terrestres de la nouvelle route de la Soie. Un troisième tracé suit le chemin historique de l’ancienne route de la Soie. Elle part de X’ian que le Président Macron va visiter et où a été découverte en 1974 « l’Armée de terre cuite», elle traverse de Xinjiang puis le Kirghizistan, les villes de Samarcande et de Boukhara en Ouzbékistan et de Merv au Turkménistan d’où une branche s’oriente  vers la Turquie et l’Europe et l’autre vers l’Iran et le Moyen-Orient. Enfin la dernière est dédiée au chemin de fer et à la route. Elle  part aussi de Xi’an, traverse le Nord du Xinjiang, le Kazakhstan, la Russie la Pologne et relie le Nord de l’Europe à la Chine. Ainsi, le 18 janvier 2016, après 18 jours et 12 000 km traversés et deux ruptures de charge, le premier train de marchandise parti de la ville de Yiwu dans la province du Zhejiang fait son arrivée à Barking, dans la banlieue de Londres.

Ce gigantesque effort d’infrastructure n’a pas qu’un but stratégique, il est réalisé pour favoriser le développement de tout l’Ouest de la Chine en l’ouvrant vers l’Asie centrale, le Moyen-Orient, la Russie et  l’Europe. En effet, et les chinois ne cessent de le rappeler, 1% du PIB investi dans l’infrastructure génère au moins 1,5% de croissance supplémentaire dans les pays et les régions traversés. Par ailleurs, alors que  les Etats-Unis affichent leur volonté de ne passer des accords qu’en bilatéral, la Chine affiche  une volonté de coopération multilatérale avec les Etats et les institutions financières régionales et internationales pour financer ce gigantesque chantier par un pool de banques dont le capital a été ouvert à tous les pays traversés.

Par ailleurs, le Président Macron qui veut relancer la recherche française et favoriser le développement des technologies, d’avenir  trouvera chez le Président Chinois une oreille attentive. Car la Chine a un besoin immense des technologies occidentales, d’autant plus que la source américaine risque de se tarir prochainement. 

Enfin la Chine est confrontée comme la France à l’Islam radical. Le pays comporte entre 60 à 100 millions de musulmans sunnites majoritairement dans les populations du Nord-Ouest (Hui) et occidentale (ouïghours, Kazakhs, Tadjiks, Dounganes). Depuis 2013 la Chine a eu à déplorer des attentats terroristes de masse provenant essentiellement des populations ouïghours qui sont des populations turkmènes. Les services chinois pointent la Turquie et les services turcs qui auraient facilité l’accès de djihadistes chinois en Syrie. Par ailleurs ses trois routes terrestres de la soie qui traversent le Myanmar, le Pakistan et l’Ouzbékistan sont confrontées aussi à l’Islam radical

Enfin et comme la France, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine est présente financièrement, économiquement et souvent militairement sur tous les théâtres du Moyen-Orient et africains qui intéressent directement notre sécurité et notre développement et notamment à Djibouti où selon Defense News, leur nouvelle base est capable d’héberger une brigade complète (7 à 10 000 hommes) 

Le Président Macron va rencontrer un dirigeant au faîte des défis posé à son peuple et qui s’attache à corriger les invités inattendus du formidable développement que ce pays a connu depuis 25 ans, tout en lui donnant une nouvelle frontière avec la « Belt and Road Initiative » (BRI) dans un contexte d’hostilité nouveau avec les Etats-Unis de Trump . 

Les Présidents Macron et Xi Pinjing ont donc de nombreux points à évoquer qui concernent les deux pays : le défi climatique,  les énergies propres et/ou renouvelables, les partenariats scientifiques, technologique et commerciaux  et aussi les dossiers sécuritaires qui nous concernent, notamment face à l’Islam radical au Moyen-Orient et en Afrique

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