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Emmanuel Macron lors d'une visite dans une entreprise lors de la crise sanitaire.
Emmanuel Macron lors d'une visite dans une entreprise lors de la crise sanitaire.
©DAMIEN MEYER / POOL / AFP

Cocorico ?

Les profits ont connu une augmentation plus importante que les salaires et les coûts de la main-d’œuvre dans de nombreux pays de l’OCDE, selon une nouvelle étude. Quelle est la réalité en France ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Les profits ont augmenté plus que les coûts du travail, de la main-d’œuvre dans de nombreux pays de l’OCDE, selon une nouvelle étude. Cela suggère que la crise du coût de la vie n’a pas été partagée de manière égale par tout le monde. Comment expliquer ces différences à l’échelle des pays de l’OCDE sur le plan économique ?

Michel Ruimy : Alors que les profits ont explosé de l’ordre de 50% à l’issue de la crise sanitaire, la question sous-jacente était de savoir si certaines entreprises avaient tiré avantage de leur position monopolistique pour fixer les prix.

Le dernier rapport sur les perspectives de l’emploi de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme ce que bon nombre d’analystes suspectaient. Les bénéfices des entreprises ont bien plus augmenté que les salaires dans la plupart des pays avancés ces derniers mois. En moyenne, entre le quatrième trimestre 2019 et le premier trimestre 2023, les profits des entreprises des pays membres de l’OCDE ont atteint 21% contre seulement 15,6% pour les coûts de main-d’œuvre. Ainsi, la part du travail dans la valeur ajoutée totale s’est réduite.

En fait, l’inflation aux Etats-Unis a été plus élevée qu’en Europe même si sa composante énergétique était plus faible. Après des années de disette en termes de hausse de prix, certaines entreprises, et pas seulement celles qui avaient en théorie un « pricing power » (pouvoir de relever leurs prix sans que cela n’impacte la demande des clients), ont profité de ces circonstances pour monter davantage leurs prix, proportionnellement à leurs coûts, et gonfler ainsi leurs marges (« greedflation »). Selon une étude américaine, 54% des hausses de prix depuis mi-2020 seraient liés à des hausses de marge contre 11% sur la période 1979-2019.

Dans ce contexte, les marchés du travail ont poussé les salaires nominaux à la hausse, mais moins que l’inflation, ce qui a entraîné une baisse des salaires réels dans presque toutes les industries et tous les pays de l’OCDE. La valeur réelle des salaires minimums légaux a été préservée grâce à une adaptation régulière à l'inflation. Cet aspect est particulièrement important car une inflation élevée pèse lourdement sur les ménages à faible revenu. Comme les bénéfices des entreprises ont augmenté davantage que les coûts salariaux dans de nombreux pays et secteurs, la crise du coût de la vie n'a pas été partagée de manière égale par tous.

Quelle est la situation exacte en France ?

La situation des entreprises tricolores n’est pas comparable à celle de leurs homologues américaines. À l’inverse des États-Unis, l’inflation européenne n’est pas tirée par la hausse des marges des entreprises.

En France, le taux de marge des entreprises non financières a, lui aussi, beaucoup augmenté durant la crise sanitaire grâce aux aides gouvernementales, mais moins qu’outre-Atlantique. Selon l’INSEE, il a atteint un niveau historique à 34,2% fin 2021, pour redescendre à 31,7% au premier trimestre 2022, ce qui le rapproche de la moyenne des années avant crise. Ce constat évolue différemment selon les secteurs : les marges ont explosé dans les transports (+ 20% sur un an) et l’énergie (+ 21%) alors qu’elles se sont effondrées dans la construction (– 16%). Ceci illustre la nette difficulté du bâtiment à répercuter la hausse des coûts tandis que dans le fret maritime, les tarifs ont explosé bien plus que le fioul.

Reste que, dans l’ensemble, aucun signal fort n’a été détecté. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’a pas constaté, à ce jour, de hausse des prix indue.

Par ailleurs, notons qu’à l’issue de la crise pétrolière des années 1970, le taux de marge avait baissé de 4 points alors qu’il est attendu en baisse de « seulement » 2,5 points sur la période 2021-2023. À l’époque, l’indexation des salaires aux prix avait bénéficié aux salariés, mais nourri la boucle inflationniste.

Comment expliquer ce décalage ? Pourquoi la France est-elle si loin des données et des standards de la Pologne, de la Suède, de l’Allemagne et de l’Australie ?

Les salaires réels ont baissé, en moyenne, de 3,8% au premier trimestre 2023 en glissement annuel, dans pratiquement tous les pays de l’OCDE. Si c’est en Australie que l’Organisation constate l’écart est le plus important entre la hausse des profits des entreprises et celle des salaires, la France fait figure d’exception.

En effet, par rapport à la moyenne de l’OCDE, la baisse des salaires réels en France a été relativement modeste au premier trimestre 2023 en raison d’un taux d’inflation relativement contenu résultant notamment de la combinaison d’actions gouvernementales (gel temporaire des prix réglementés de l’énergie, subventions et de mesures de transferts monétaires qui devraient être progressivement supprimées d’ici la fin de 2023) et de la dynamique des salaires : l’indexation automatique du SMIC a contribué à préserver le pouvoir d’achat des bas salaires (En 2023, il a déjà augmenté deux fois : 1,8% en janvier et 2,2% en mai 2023) et les négociations collectives de revalorisations des salaires, inférieures toutefois à l’inflation, ont pu également contribuer à atténuer les pertes de pouvoir d’achat.

Ce retard est-il rattrapable ? Quelles politiques et mesures pourraient être menées pour tenter de combler nos lacunes et pour essayer d’inverser la situation ?

Les entreprises qui ont / auront la chance de vivre la sortie de crise vont devoir faire face à la question du partage des profits dans un contexte où la concurrence internationale oblige les politiques salariales à la mesure. De son côté, le gouvernement, qui a notamment pour rôle de détecter les questions qui pourraient diviser l’opinion, se doit d’y trouver des solutions.

Or, aujourd’hui, depuis la fin du contrôle des prix et des revenus (1983), la rémunération est l’apanage exclusif des entreprises et du dialogue social. De plus, il est difficile de faire un lien entre reprise économique et croissance des dividendes. Dans de nombreuses entreprises, notamment celles qui ne sont pas cotées en bourse, la distribution des dividendes obéit, avant tout, à des considérations patrimoniales ou familiales.

Comment en sortir ? En ouvrant le chantier de la participation pour un meilleur partage des profits. Actuellement, ce lien avec les résultats de l’entreprise n’est plus visible par les salariés. Il convient donc de mieux associer les salariés aux bénéfices de la création de richesse d’autant que la participation est aussi une réponse centrale à la question de l’épargne populaire. Ceci pourrait passer, par exemple, par le développement rapide de l’actionnariat salarié avec la distribution d’actions gratuites, en se donnant comme objectif d’atteindre 15% en cinq ans (Aujourd’hui, en moyenne, les salariés du CAC 40 possèdent seulement 3,5% de leur entreprise).

Une autre idée, plus iconoclaste, serait de décider qu’une part importante du bénéfice réalisé (60% par exemple) soit la propriété d’une entité (Conseil des salariés) spécifique, qui resterait dans les fonds propres de l’entreprise. Ce capital donnerait lieu à l’émission de nouvelles actions de l’entreprise, qui octroierait à cette entité les droits de vote équivalent à leur pourcentage de détention de l’entreprise lors de l’Assemblée générale des actionnaires. Ces titres ne donneraient pas droit à dividende et seraient incessibles. Cela permettrait de substituer progressivement les capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés. Sur les 40% restants, les actionnaires pourraient soit se les verser en dividendes, soit les affecter aux fonds propres de l’entreprise.

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