« Les prisons, cet asile psychiatrique » : sommes-nous encore capables de traiter la population française en besoin ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un patient dans une salle d'attente, image d'illustration.
Un patient dans une salle d'attente, image d'illustration.
©Loic VENANCE / AFP

Santé mentale

Cette semaine, Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, affirmait que "les prisons françaises sont devenues un grand asile psychiatrique : environ 30 % des détenus souffrent de troubles psychiques". Mais au-delà de la question des prisons, dans quel état psychiatrique est vraiment la population française ?

Stéphane Lagana

Stéphane Lagana

Stéphane Lagana est psychologue clinicien hospitalier et intervient dans une maison d’arrêt.

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Guillaume Vlamynck

Guillaume Vlamynck

Guillaume Vlamynck est psychiatre praticien hospitalier. Il exerce sur le SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) de Metz et l'UHSA (Unité Hospitalière Spécialement Aménagée) de Nancy. Il est également expert auprès de la Cour d'Appel de Nancy.

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Atlantico : Quel est l’état de la population française sur le plan de la psychiatrie et de la santé mentale ? Quelle est la part au sein de la population de personnes souffrant de troubles mentaux et quelles sont les principales pathologies ?

Guillaume Vlamynck : Sur le plan de la population générale, 1 à 2 % présentent des troubles psychotiques. De façon plus globale, l’Organisation Mondiale de la Santé mettait en avant en juin 2022 qu’une personne sur huit dans le monde était atteinte d’un trouble mental (données de 2019) avec une nette augmentation durant l’épidémie et la post épidémie COVID. En 2020, l’OMS mettait en exergue une augmentation, sur une année unique, de 25 à 28% des troubles anxieux et/ou troubles de l’humeur. En sus, il ne faut pas occulter la part importante de l’usage des substances psychoatives diverses pouvant être, une véritable comorbidité (cannabis, héroïne, cocaïne, mésusage de médicaments…).

Si nous faisons un focus sur les personnes placées sous mains de justice, la problématique addictive a une prévalence bien plus importante que dans la population générale tout comme la prévalence des troubles mentaux, par exemple les troubles psychotiques avoisinent les 20% (données Observatoire Internationale des Prisons – OIP). Il y a un vrai clivage entre la prévalence des troubles psychiatriques, des troubles mentaux, dans la population générale et ce que l’on peut retrouver dans la population pénale.

Stéphane Lagana : En tant que psychologue clinicien, je ne suis pas le mieux placé pour vous parler de la situation psychiatrique française mais il me semble cela-dit indispensable de replacer votre question dans un contexte plus général. Les Français ont traversé un certain nombre de crises qui ont laissé des traces sur le plan psychologique depuis plus d'une dizaine d’années : crise financière, attentats, crises sociales, crise sanitaire avec le covid. Aujourd'hui la crise internationale de la guerre en Ukraine et la menace nucléaire, l'inflation, la crise climatique que chacun touche désormais du doigt. Ce contexte est donc particulièrement anxiogène et ne peut qu'amplifier la situation psychopathologique de la population. A cette équation, il faut me semble-t-il également ajouter la vitesse de propagation de ces inquiétudes à travers les réseaux sociaux dont nous mesurons aujourd'hui l'influence déterminante. 

Parallèlement, depuis une dizaine d’années, même si tout ne se délite pas, nous observons une certaine dégradation de la situation psychiatrique, notamment à travers la disparition progressive des psychiatres à l'hôpital. 

La réalité aujourd’hui dans les services hospitaliers est une difficulté à recruter des psychiatres. Certains praticiens partent à la retraite. Beaucoup de médecins intérimaires ont quitté leur poste. Les difficultés transparaissent donc au grand jour dans les services hospitaliers et en psychiatrie. Énormément d’efforts sont réalisés dans les services pour arriver à faire face à toutes ces situations et à la détresse psychologique et psychique des patients. 

Quel est l’état de la psychiatrie à travers notre pays ? 

Guillaume Vlamynck : La situation de la psychiatrie en France est assez catastrophique pour plusieurs raisons, notamment en cause, la problématique de la démographie médicale. Selon des chiffres du CNG en date de 2021, la psychiatrie publique dénombrait 35% de vacances de postes totale en France, spécialité la plus en souffrance après la radiologie (43%) ; tout en ayant conscience que ses chiffres sont une moyenne nationale, des territoires étant bien moins dotés que d’autres.

Par ailleurs, si vous regardez les chiffres de l’internat, pour les médecins qui vont choisir leur spécialité, la psychiatrie fait partie des spécialités les moins choisies avec, là encore, de nombreuses vacances de postes dans certaines subdivisions universitaires, pour lesquelles les ministères des tutelles devraient s’interroger (santé/enseignements supérieures). Cela entraîne un effet rebond. Il y aura moins de psychiatres formés et donc moins de psychiatres sur le territoire.

Le creux de la vague des départs à la retraite est aussi un phénomène pénalisant. De plus en plus de médecins vont partir à la retraite d’ici 2030. La France est déjà en difficulté, et cette pression ne va que s’accroitre dans les années à venir. De fait, la capacité des structures publiques à prendre en charges les troubles mentaux ne va que subir une pression supplémentaire dans les années à venir.

Au-delà de la démographie médicale, il faut également songer à de nouvelles problématiques comme celle des effectifs des professionnels paramédicaux et des infirmiers, la fermeture des lits, la problématique des clivages entre les moyens alloués aux établissements dit universitaires et aux EPSM (établissement public de santé mentale) globalement en périphérie des métropoles.

Force est de constater, que les strates administratives résultant de la loi HPST ont un impact également lourdement délétère dans l’organisation des établissements de santé mentale, dans leur autonomie, leur fonctionnement et leurs spécificités ; et que les promesses du Ségur de la santé sur la réforme de la gouvernance ne semblent pas véritablement avoir changé la donne.

D’ailleurs, il faut en réalité souligner que la problématique est plus globale. Les fermeture des lits concernent la majorité des spécialités de l’hôpital public. Dans un certain nombre de régions, des lits vont fermer en période estivale car il n’y a plus de personnel pour faire fonctionner les unités de façon temporaire et d’autres services en ont fermé définitivement depuis plusieurs mois. Il est ainsi possible de constater des fonctionnements en mode dégradé, qui en réalité devienne la norme avec tout ce que cela implique.

Stéphane Lagana : La France compte plus de 15.000 psychiatres. Il existe une certaine inégalité de représentation entre les régions. Certaines sont confrontées à une situation de désert médical avec l’absence de psychiatres alors que pour d’autres, il y a une surreprésentation. Une réflexion devra sans doute être menée pour mieux répondre aux besoins réels de la population sur l'ensemble du territoire mais pour l’instant, la situation est délicate. Il n’y a pas énormément de marges de manœuvre.

Les lits ne sont pas en augmentation mais plutôt en baisse dans les structures dédiées à la psychiatrie. Il n’est pas possible de faire tourner certains services sans  personnel  adéquat et donc impossible qu'un service de psychiatrie tourne normalement sans un nombre suffisant de psychiatres.

Sommes-nous encore capable de traiter la population française en besoin sur le plan psychiatrique et de la santé mentale ?

Guillaume Vlamynck : Il est important de ne pas distinguer la santé mentale de la santé globale. La problématique de la santé mentale s’apparente à la situation des urgences par exemple et doit nous interroger sur la globalité du système de soins en France, sur les décisions politiques qui ont été prises pendant des années, la poursuite de la fermeture des lits au-delà d’un certain seuil critique et sans anticipation des mesures alternatives à l’hospitalisation qui se travaillent. Confronté à ce phénomène de manière brutale, nombre d’équipe innove pour pallier ces restructurations de fonctionnement sur des dispositifs non pérennes mais qui par la force des choses le deviennent.

A titre d’exemple, la presse à fait écho d’un communiqué de plusieurs médecins dans une région française pour dénoncer la dégradation massive des prises en charge des patients sur leur territoire. Les patients sont ainsi passés d’une prise en charge de maximum 48h aux urgences avant relai vers une hospitalisation, à plusieurs jours aux urgences en attente d’hospitalisation, pouvant même mener à une impossibilité de prise de relai.

Stéphane Lagana : La France n’est pas le pays le moins doté du point de vue psychiatrique sur la planète. Mais la situation dans notre pays, au regard du quotidien des praticiens et de l’ampleur de la tache auprès des patients, est néanmoins alarmante. Il est nécessaire que le nombre de psychiatres augmente et que nous retrouvions la capacité d'attirer des praticiens au sein de nos services. 

La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a déclaré que "les prisons françaises sont devenues un grand asile psychiatrique : environ 30 % des détenus souffrent de troubles psychiques". Ce constat est-il dû, en partie, à une incapacité à accompagner et traiter, en ville, les problèmes ?   

Guillaume Vlamynck : Plusieurs facteurs participent à ce phénomène. Le principal est la capacité à prendre en charge les patients présentant des troubles mentaux en sortie de prison au regard des secteurs de la psychiatrie générale. Lorsque vous avez « l’étiquette » détenu ou ancien détenu, en plus de celle de malade mental, cela stigmatise. Par ailleurs, ces patients ne sont pas les plus faciles à prendre en charge car souvent en précarité sociale, en rupture familiale et professionnelle, avec des problématiques connexes telles que les addictions. Il apparait donc plus difficile de les orienter dans des dispositifs de soins visant à assurer, normalement, l’absence de rechute, diminuant alors le risque de récidives mais aussi préservant leur pronostic sanitaire.

L’autre facteur qui doit nous interroger est une pénalisation plus importante des troubles mentaux qui soulève la question de l’expertise psychiatrique en France, du nombre d’experts et de la formation initiale à l’expertise. On peut se demander si la création des unités psychiatriques spécifiques à temps complet (UHSA) depuis une dizaine d’année, ne concoure pas à plus encore incarcérer les personnes présentant des troubles mentaux considérant qu’il est possible de soigner les détenus (ce qui va a l’encontre initiale des motivations de créations des UHSA).

De fait, est ce que la prison doit être considérée comme un lieu de soins ? Non, la prison ne soigne pas, et au contraire, aggrave globalement le pronostic tant psychiatrique que criminologique menant à une évolution défavorable d’un certain nombre de déterminismes (rupture avec les équipes de soins, rupture avec la famille, rupture professionnelle, perte de logement, ...). Un des autres facteurs clé préjudiciable, est celui des comorbidités addictives. Les substances psychoactives sont consommées par un très grand nombre de personnes incarcérés. Cela constitue un facteur important sur le plan criminologique mais également un facteur de comorbidité sur le plan psychique.

Stéphane Lagana : La prison est le symptôme de ce qui se passe au sein de la population générale. Il n'y a pas de raison logique que les problématiques rencontrées dans la population générale ne soit pas représentée en prison. Il est désormais reconnu que la situation psychiatrique et psychique des détenus a pris des proportions inquiétantes. Le personnel pénitentiaire fait face à cette situation au quotidien et tente de s'y adapter au mieux. De nombreux progrès restent cependant à réaliser pour que la situation s'améliore et nous nous efforçons d'y participer.  

Quelles seraient les solutions à ce problème les plus efficaces à court terme ? (quelles seraient les solutions faisables et réalistes dans un laps de temps restreint et avec des moyens limités ?)

Guillaume Vlamynck : Depuis septembre 2020, une équipe mobile mise en place par le CHU de Lille accompagne les sortants de prison atteints de troubles psychiatriques pour faciliter leur prise en charge dans les structures extérieures. Cela permet un accompagnement vers le secteur, d’éviter les ruptures de soins, de faciliter le relai de prise en charge. D’autres projets sans en cours dans d’autres régions de France mais doivent cependant nous interroger sur le fait de ne pas créer de filières ségrégatives se basant sur un statut pénal mais bien sur une clinique. Le relai de soins dans un but sanitaire est donc important mais doit également s’articuler de façon pluridisciplinaire avec les autres partenaires (Justice, Social, Medico-social...) dont les objectifs convergent dans l’intérêt du patient. 

Stéphane Lagana : Il est urgent de remédier à la pénurie de psychiatres en France. Il est également important de mieux accompagner et de mieux accueillir les patients. Il doit y avoir une prise de conscience chez les médecins de la richesse et des atouts de la psychiatrie française. Un travail de communication auprès des jeunes médecins pourrait être mené afin de réhabiliter cette orientation et cette formation. Il faut encourager les jeunes psychiatres.   

En termes de solutions, pour la prison, des recrutements sont nécessaires. Afin de traiter la question de la prison de manière convenable, il serait possible de s’interroger sur l’ampleur de la surpopulation carcérale et de viser à la réduire. Il serait ainsi possible de traiter une population carcérale plus adaptée en termes de nombre. Les prisons françaises ont encore battu un record. Les détenus sont plus de 70.000 en France. Il est important qu’il y ait des établissements, permettant un accueil digne pour les patients souffrant de troubles psychiatriques. Beaucoup de pistes de travail existent, elles se trouveront sans doute dans la concertation entre l'ensemble des acteurs.

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