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Donald Trump rencontre le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane dans le bureau ovale de la Maison Blanche le 20 mars 2018 à Washington.
Donald Trump rencontre le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane dans le bureau ovale de la Maison Blanche le 20 mars 2018 à Washington.
©MANDEL NGAN / AFP

Or noir

Les membres de l'Opep et leurs alliés, réunis au sein de l'Opep+, ont convenu de prolonger leur accord de réduction de la production de brut jusqu'à la fin du deuxième trimestre. Les pays producteurs de pétrole font-ils discrètement monter les prix pour favoriser Donald Trump ?

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : Malgré une production de pétrole record aux États-Unis en 2023, les prix à la pompe restent particulièrement élevés et les prix du pétrole ont augmenté de 19% depuis le début de l’année. Comment expliquer cette augmentation des prix en 2023 ?

Jean-Pierre Favennec : Après les sommets atteints il y a deux ans, au début de la guerre en Ukraine, le prix du pétrole avait fortement reculé, tombant à 70 dollars par baril, voire moins. En 2023, les efforts successifs de l’OPEP et de l’OPEP plus pour faire remonter les prix avaient été de peu d’effet. Les réductions de production, annoncées en particulier par l’Arabie Saoudite, leader incontesté de l’OPEP n’avaient pas suffi. 

La situation a changé au début de 2024. La croissance économique est forte aux Etats Unis et la situation économique de la Chine, bien que toujours fragile, s’est améliorée par rapport à 2023. La demande de pétrole, malgré les annonces de la COP 28 annonçant une transition énergétique « hors des énergies fossiles », reste donc soutenue et en augmentation. Coté offre la décision de l’OPEP plus de prolonger les réductions de production laisse planer la menace d’une production de pétrole insuffisante pour faire face à la demande à la fin de l’année.

Tout ceci dans un contexte géopolitique inquiétant : guerre en Ukraine qui ne donne aucun signe d’apaisement ; crise au Moyen Orient. Deux facteurs jouent en particulier sur le prix du pétrole. Tout d’abord les attaques de drones ukrainiens qui ont détruit des installations dans plusieurs raffineries russes et réduit les disponibilités de produits pétroliers. Or ces raffineries pour être réparées ont besoin de pièces fabriquées dans les pays occidentaux seulement mais indisponibles du fait de l’embargo. Les réparations seront donc longues voire impossibles dans certains cas. Ensuite les attaques de navires par les rebelles Houthis au large du Yémen qui obligent nombre de bateaux à passer par le Cap de Bonne Espérance, ralentissant le trafic et augmentant les coûts de transport.

Quel pourrait être l’impact politique de ce phénomène, à quelques mois des élections présidentielles ?

Jean-Éric Branaa : L’impact politique est énorme parce que Donald Trump est à l’affût de tout ce qui peut faire tomber Joe Biden. Et justement, les prix à la pompe font partie des éléments immédiatement ressentis par les Américains. N’oublions pas que ce pays est construit sur le règne de la voiture, indispensable pour se rendre d’un endroit à un autre dans un pays qui fait 4500 kilomètres d’Est en Ouest. Même si les prix de l’essence sont bien moindres qu’en France, cela représente un gros budget pour les Américains. Lorsque le gallon d’essence a atteint les 5 dollars - soit 1,25 dollars le litre, donc 1 euro environ - la côte de popularité de Joe Biden est descendue en dessous de 40%. Le président américain est donc très inquiet de voir les prix de l’essence augmenter, en particulier dans les fameux swing states, où le moindre événement peut donner la victoire à l’un ou à l’autre des candidats.

Les membres de l'Opep et leurs alliés, réunis au sein de l'Opep+, ont convenu le mois dernier de prolonger leur accord de réduction de la production de brut jusqu'à la fin du deuxième trimestre. Comment expliquer cette décision ?

Jean-Pierre Favennec : Comme déjà indiqué, le prix du pétrole est tombé à un niveau relativement bas en 2023. Or l’essentiel des recettes des pays producteurs, membres de l’OPEP et de l’OPEP plus dépend des exportations d’hydrocarbures donc du prix du pétrole. De nombreux experts considèrent qu’un prix de l’ordre de 80 dollars par baril est « satisfaisant » pour les pays exportateurs et pour les pays importateurs. Le facteur essentiel de la détermination du prix reste l’équilibre offre demande. Depuis sa création l’OPEP a eu pour objectif, sauf situation particulière, d’éviter des prix trop bas. C’est pourquoi l’Organisation a mis en place un système de quotas, plafonds de production décidés collectivement, que les pays membres ne doivent pas dépasser. Ce système de quotas, appliqué aux 12 pays de l’OPEP est également appliqué aux pays de l’OPEP plus. 

Deux pays dominent l’ensemble OPEP – OPEP plus : l’Arabie Saoudite et la Russie qui représentent près de 50 % de la production de ces organisations et près de 25 % de la production mondiale. Ces deux pays cherchent à maintenir des prix élevés. L’Arabie Saoudite doit financer son très ambitieux plan de développement Vision 2030 et la Russie a besoin de ses recettes pétrolières pour financer la guerre en Ukraine.

L'ancien président Donald Trump s'est entretenu récemment avec le dirigeant de l'Arabie saoudite, le prince Mohammed ben Salmane. Il s’agit de leur première conversation divulguée publiquement depuis que Trump a quitté ses fonctions en janvier 2021, rapporte le New York Times. Peut-on voir la main de Trump derrière l'augmentation des prix du pétrole ? Que sait-on de l’état des relations entre les deux hommes ?

Jean-Pierre Favennec : Les relations entre les Etats Unis et l’Arabie Saoudite ont longtemps été au cœur de la géopolitique mondiale du pétrole. Par l’accord du Quincy (nom du croiseur où le roi Ibn Saoud et le Président Roosevelt se sont rencontrés en avril 1945) l’Arabie Saoudite s’engageait à produire tout le pétrole nécessaire au monde occidental en échange de la protection militaire américaine.

Les attentats de septembre 2001, le développement de la production américaine de pétrole de schistes, ont conduit à un relâchement des liens entre les deux pays. De plus le Président Obama a voulu lors de ses deux mandats négocier avec l’Iran, adversaire de l’Arabie Saoudite, pour, en échange de la levée des sanctions américaines sur l’Iran, obtenir un arrêt des travaux devant conduire à la possession de l’arme nucléaire par Téhéran. Ce rapprochement entre les Etats Unis et l’Iran, entériné par l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2015, ne pouvait que déplaire à l’Arabie Saoudite

En 2018 Donald Trump s’est retiré de cet accord, permettant de fait une reprise de l’enrichissement d’uranium par l’Iran. Cette détérioration des relations des Etats Unis avec l’Iran était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour Mohamed Ben Salman, dirigeant de l’Arabie. Bonne nouvelle car le retour des sanctions américaines affaiblissait l’Iran dont l’économie repose largement sur des exportations de pétrole désormais très limitées. Mauvaise nouvelle car elle pourrait permettre à terme à l’Iran de disposer de l’arme atomique. Mais il est probable que les relations de Mohamed Ben Salman avec Donald Trump sont meilleures que celles que le prince héritier entretient avec Joe Biden. 

Jean-Éric Branaa : Sans tomber dans le complotisme, de nombreux facteurs sont en faveur de l'idée que Donald Trump pourrait tirer des ficelles et inciter ses amis a agir dans son sens. Or, les liens entre Donald Trump et Ben Salmane sont assez forts. L’Arabie saoudite était la première visite de Trump lors de son élection. Aujourd’hui, on se demande pourquoi Ben Salmane résiste autant à Joe Biden, car les discussions sont toujours assez compliquées. L’an dernier, Joe Biden a demandé à Ben Salmane de baisser les tarifs du pétrole, ou de ne pas les augmenter. Ben Salmane a refusé, ce qui pouvait donner l’impression que les États-Unis étaient moins puissants et influents dans la région.

Les pays producteurs de pétrole font-ils discrètement monter les prix pour favoriser Donald Trump ? Ont-ils intérêt à le voir réélu ?

Jean-Pierre Favennec : L’élection de Donald Trump aurait pour les pays producteurs un inconvénient : l’ancien (et peut être futur) président favoriserait la production de pétrole et de gaz de schistes en Amérique alors que la politique de Joe Biden, plus soucieux d’environnement, peut limiter cette production et de fait favoriser les extractions dans les pays de l'OPEP.

A l’inverse une politique américaine dirigée par Donald Trump et qui donnerait moins d’importance à la protection de l’environnement et du climat pourrait favoriser les pays de l'OPEP. 

N’oublions pas que la Russie fait partie des grands pays producteurs et que Donald Trump en provoquant le blocage de l’aide américaine à l’Ukraine favorise de fait la Russie. Donc son élection en novembre prochain ne serait sans doute pas mal vue par Moscou.

Comment réagit le camp Biden face à ce phénomène ?

Jean-Éric Branaa : Il y a de la part de Joe Biden une tentative un peu désespérée de faire baisser les prix du pétrole, notamment en piochant dans la réserve nationale. Il l’a fait à deux reprises, ce qui est assez historique. L’administration Biden a annoncé qu’elle reconstitue les stocks, avant de faire marche arrière la semaine dernière. On se rend compte que sur le front du pétrole, la situation est compliquée pour Joe Biden, qui préfère laisser filer les réserves nationales en tentant de maintenir des prix bas, puisque sa réélection est clairement en jeu, surtout dans les États du nord qui misent particulièrement sur la voiture.

Ce que vous appelez le "théorème du pompiste" pourrait-il lui coûter sa réélection ?

Jean-Éric Branaa : Quand les prix de l’essence montent, la côte des présidents descend, le lien est clair. Pour les Américains, qui ont souvent deux, voire trois voitures, la répercussion est immédiate. Ainsi, quand l’essence atteint les 5 dollars le gallon, seuil psychologique extrêmement fort, il y a toujours une grande vague de mécontentement dans la population. Toutes les augmentations de prix font en général très mal, les prix de la construction et des locations ont beaucoup marqué, c’est une thématique que Kennedy développe actuellement, puisqu’il veut faire de la baisse des taux d’intérêt un objectif de campagne.

L’onde de choc de l’augmentation des prix de l’essence se fera ressentir cet été, donc juste avant la campagne présidentielle. Cette onde de choc sera énorme, alors que sur le plan économique, Joe Biden s’en sort extrêmement bien. Les derniers chiffres de l’emploi sont sortis vendredi, il en ressort que 300 000 nouveaux emplois ont été créés, avec un taux de chômage à 3,8%. De plus, les salaires ont augmenté de 4,1% en moyenne. Mais les Américains ne s’en rendent pas compte. Ils ne se rendent pas compte qu’il y a des plans sur l’infrastructure, de relance économique, de réindustrialisation … En revanche, ils sont très sensibles à tout ce qui les touche directement, en particulier les prix à la pompe.

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