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Les oraux de français notés sur 24 plutôt que sur 20 : comment l’échec dans le supérieur se construit sur des trucages des résultats au bac bien plus systématiques que ne le reconnaît le ministère de l’Education nationale
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Trop facile

Les correcteurs du bac ont été invités à évaluer sur un barème de 24 points l'épreuve orale de français dans l'académie d'Orléans-Tours, qui assure que cette consigne visait à harmoniser les résultats au niveau national, et non à "gonfler" les notes.

Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard

Jean-Rémi Girard est vice-président du SNALC-FGAF (Syndicat National des Lycées et Collèges). 

Il tient le blog sur l'Education nationale "Je Suis en retard" : http://celeblog.over-blog.com

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Atlantico : Après avoir été invités par l'académie d'Orléans-Tours à évaluer sur un barème de 24 points au lieu de 20 l'épreuve orale de Français au bac, des enseignants ont manifesté leur mécontentement. Ce genre de pratiques traduit-il une perte de vue du principe même de l’évaluation ?

Jean-Rémi Girard : Je ne crois pas qu’on ait oublié ce qu’est l’évaluation, en revanche on essaie de faire en sorte que le baccalauréat soit un paravent qui sert à masquer les difficultés du système scolaire. On s’arrange pour trouver un certain nombre de moyens au travers de consignes orales ou écrites afin que l’on fasse remonter les notes du baccalauréat, pour que celles-ci correspondent plus ou moins aux objectifs. Tout cela est fait pour pouvoir affirmer à l’arrivée que le niveau s’améliore, car de plus en plus d’élèves obtiennent le bac.  Le problème ne réside pas dans l’examen en lui-même, mais dans ce qu’on est en train d’en faire, et dans tout ce qui, dans le système scolaire, le précède.

Ce type de révélation risque-t-il d’encourager une certaine « paresse » dans la façon dont l’examen du bac est anticipé par les lycéens qui le passeront ces prochaines années ? La culture de l’effort a-t-elle du plomb dans l’aile ?

La révélation de ce genre de procédé est contre-productive vis-à-vis de l’image du baccalauréat, et des élèves en premier lieu. Ce serait se tromper que de croire que tout le monde va avoir le bac, car avec un peu plus de 20% d’échec chaque année, ce n’est toujours pas le cas. La question la plus importante n’est pas tant celle du message passé mais celle de l’existence de telles pratiques. Mieux vaudrait un examen moins réussi mais qui ait une véritable signification et qui corresponde effectivement  à l’état de notre système scolaire. Ce n’est pas le bac qui est à changer, mais tout ce qui y mène.

Avec le baccalauréat en perspective, où en est l’Education nationale ? Sur quoi faudrait-il revenir ?

Pour améliorer réellement les résultats au baccalauréat (et donc sans recourir à des artifices), il faudrait une école primaire recentrée sur les fondamentaux, un collège modulaire qui permette aux élèves les plus en difficulté d’avoir davantage le temps d’acquérir les bases dans les matières essentielles, et un lycée dans lequel on remette en place suffisamment d’heures disciplinaires, plutôt que des « accompagnements » à 35. Il faudrait en finir avec le parcours en trois ans pour le bac professionnel,  alors que certains élèves ont besoin de quatre pour réussir.

Que cet arrangement avec le système de notation traduit-il ?

Le système est assez clair, et compréhensible par tous. Le problème ne vient donc pas de là, mais du fait qu’on veuille le truquer. Cette volonté de trucage passe par cette grille d’évaluation sur 24 points, par la baisse du niveau d’exigence sur les réponses, par le fait de valoriser tout ce qui peut l’être et même ce qui ne le devrait pas, ou encore par l’harmonisation vers le haut. Car les commissions d’harmonisation sont faites pour remonter les notes trop basses, rarement pour les faire baisser.

L’Education nationale a-t-elle perdu de vue l’une de ses mission premières, à savoir évaluer fidèlement le niveau des élèves ?

L’évaluation ne vise plus à donner à un instant « t » l’état des connaissances d’un lycéen, mais à être un outil de gestion de flux, afin d’atteindre des objectifs chiffrés dans le supérieur. L’Education nationale est là pour instruire et éduquer, par pour faire de la gestion de flux. Elle doit faire atteindre à chacun le niveau maximum qui est le sien pour pouvoir ensuite choisir parmi toutes les opportunités existantes. Elle n’est pas là pour dire que des élèves doivent obligatoirement aller dans le supérieur, où l’on sait d’ailleurs que beaucoup échoueront.

Si ces arrangements avec le système de notation continuent, quel avenir cela réserve-t-il à nos bacheliers ?

Cet avenir est connu, car c’est déjà le présent. Par exemple, les bacheliers de la filière professionnelle sortent à 95% de l’université sans diplôme. Si sur 100 étudiants, 95 n’obtiennent pas la Licence, alors le système marche sur la tête. A force de vouloir que tout le monde obtienne le bac et que celui-ci soit le passeport d’entrée dans l’enseignement supérieur, on en arrive à des situations absurdes.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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