Les multiples et irréversibles erreurs des Européens dans la sauvegarde de l'accord sur le nucléaire iranien<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouverneur de l'Iran auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Kazem Gharib Abadi.
Le gouverneur de l'Iran auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Kazem Gharib Abadi.
©JOE KLAMAR / AFP

Opportunité ratée

Dans le cadre des négociations viennoises sur le nucléaire iranien, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne brillent non seulement par leur inutilité pour donner une issue favorable à un processus difficile mais également par la série d'erreurs stratégiques qu'ils ont accumulées.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Mis à part rappeler, à coups de communiqués réguliers, leur désapprobation face aux tensions entre Téhéran et l'AIEA, à quoi servent aujourd'hui les Européens dans les négociations viennoises sur le nucléaire iranien ? La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, pourtant signataires initiaux de l'accord de 2015, brillent en effet non seulement par leur inutilité pour donner une issue favorable à un processus difficile – et pour l'heure en suspens, en raison de la transition politique en Iran - mais également par la série d'erreurs stratégiques qu'ils auront accumulées durant les six premiers mois de la présidence de Joe Biden.

Depuis le début des négociations, il incombe essentiellement aux deux principaux pays concernés, l'Iran et les Etats-Unis, de trouver un point d'accord sur trois critères particulièrement délicats – la levée des sanctions américaines contre l'Iran, le retour de ce dernier aux termes initiaux du JCPoA, l'assurance que le retrait unilatéral de Washington ne se reproduirait plus à l'avenir. Certes, on peut estimer que les Etats-Unis ayant imposé volontairement en 2018 cette situation à l'Iran, la primauté de l'effort diplomatique leur revient de droit. Il reste cependant étonnant que les autres signataires européens n'y participent pas davantage, notamment parce qu'ils partagent à leur niveau une certaine responsabilité dans la crise économique que subit l'Iran depuis trois ans. Leur échec, dû à une incapacité réelle ou un manque de volonté, à trouver des solutions pour soutenir leur partenaire iranien, a été maintes fois souligné et démontre leur ambivalence vis-à-vis d'un accord pour lequel ils ont pourtant œuvré avec l'administration Obama. Il est évident que si les Européens avaient saisi l'opportunité d'agir en véritables partenaires de l'Iran, les Etats-Unis n'auraient pas occupé un rôle aussi central dans la sortie de crise. Le signal est particulièrement éloquent et inquiétant pour les Iraniens : il est en effet certain qu'en cas de nouvelle crise, à la faveur par exemple d'une alternance politique à Washington, les Européens ne leur seront d'aucun secours. Cette constatation nourrit l'argumentaire des ultra-conservateurs qui refusent toute concession dans les négociations. Pourquoi en effet, s'engager auprès de partenaires incapables de tenir leurs promesses ?

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Cette défaillance a été manifeste dès mai 2018, mais elle s'est particulièrement aggravée durant les six premiers mois de l'administration Biden, à la suite d'une série de mauvais calculs qui pouvaient pourtant être évités sous réserve d'avoir correctement évalué le contexte.

En premier lieu, les Européens étaient convaincus que l'Iran, asphyxié par trois ans de sanctions économiques, discuterait peu avec les Américains et se soumettrait à toutes leurs conditions. Cette analyse explique notamment le positionnement de l'Allemagne en faveur d'un « JCPoA Plus » qui aborderait la question du programme de missiles balistiques de l'Iran, et plus encore celui de la France, qui estimait que l'Arabie Saoudite devrait participer aux négociations. C'était bien mal connaître les Iraniens, catégoriques dans leur refus de négocier quoi que ce soit sur leurs moyens de dissuasion – outre les missiles balistiques, celui de l'influence régionale reste majeur. Plus fins, les Américains l'ont rapidement compris et ont tenté de négocier progressivement sur ces sujets, tout en restant néanmoins déterminés à les aborder d'une façon ou d'une autre.

Considérer que l'élection présidentielle iranienne constituerait un tournant dans les négociations était une autre erreur d'appréciation. La « pression maximale » de Donald Trump allait finalement dans le même sens : dans le fond, les Occidentaux ont en effet toujours tablé sur un changement politique qui leur serait favorable en Iran. Or, loin de favoriser une évolution démocratique du régime, les sanctions américaines l'ont considérablement radicalisé et ont soutenu la reprise du pouvoir par les conservateurs. Février 2020 les a vus rafler le Parlement aux élections législatives, leur laissant tout loisir de manipuler le scrutin présidentiel l'année suivante de manière à ce que leur candidat, Ebrahim Raiessi, remporte la dernière institution qui leur manquait. Dès la mi-mars 2021, le ministre des Affaires étrangères sortant, Mohammad Javad Zarif, avait pourtant prévenu les Européens qu'une transition politique à Téhéran compliquerait considérablement les négociations. Même s'il était en vérité déjà beaucoup trop tard pour inverser la tendance en Iran, ces derniers ont préféré jouer la montre mais n'ont absolument pas anticipé qu'une administration conservatrice se montrerait beaucoup plus exigeante dans les négociations, souhaitant certes obtenir une levée des sanctions, mais pas à n'importe quelle condition. Cet attentisme leur aura coûté leur position de partenaires économiques de premier plan au profit de la Russie et de la Chine, vers lesquelles les Iraniens se sont vite tournés pour trouver des alternatives plus fiables, moins par réflexe anti-occidental que par simple réalisme face à la désaffection des Occidentaux à leur égard.

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Les Européens ont donc été les artisans de leur propre échec, en dépit de mises en garde régulières. Que n'ont-ils, par exemple, encouragé l'administration Biden à retourner aux termes de l'accord de Vienne dès le premier jour et à régler le problème avec l'administration réformatrice d'Hassan Rohani ? Cela leur aurait évité de se retrouver confrontés aujourd'hui à un choix cornélien : accepter les avancées de l'Iran en matière nucléaire, qui rendent de facto le JCPoA caduc, ou porter le sujet devant le Conseil de Sécurité de l'ONU, dont l'issue pourrait être la mise en place d'un nouveau régime de sanctions contre l'Iran. Quel en serait l'intérêt, à part radicaliser encore davantage la République islamique ? Certes, celle-ci faisant actuellement face à une accumulation de crises – sociale et économique – sa stabilité se fait de plus en plus fragile et le risque d'un mouvement social de grande ampleur grandit de jour en jour. Le régime a néanmoins toujours donné la preuve d'une grande faculté de résilience, renforcée par une absence totale d'hésitation à recourir à la violence contre le peuple iranien.

En vérité, l'avenir du JCPoA repose désormais entièrement entre les mains du Guide Suprême Ali Khamenei, et sa volonté seule pourra décider de l'issue des négociations. En cas d'échec, leurs deux principaux acteurs, les Etats-Unis et l'Iran, seront naturellement à blâmer, mais les Européens porteront également leur part de responsabilité, en plus d'avoir considérablement réduit leur influence stratégique et d'avoir détruit le potentiel de leur relation avec l'Iran.

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