Les jeux vidéos, co-responsables des émeutes ? Petit mémo à l’attention d’Emmanuel Macron pour ne plus raconter… n’importe quoi <!-- --> | Atlantico.fr
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Les jeux vidéos rendent-ils violents ?
Les jeux vidéos rendent-ils violents ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

GTA dans la vraie vie ?

Les études menées sur le sujet tendent plutôt à montrer l'inverse.

Yann Leroux

Yann Leroux

Yann Leroux est docteur en psychologie et psychanalyste. Il s'est intéressé comme psychologue à la dynamique des relations en ligne. Auteur de "Les jeux vidéo ça rend pas idiot" et "Mon psy sur internet" éditions fyp tient le blog psyetgeek.

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Vincent Geloso

Vincent Geloso

Vincent Geloso est professeur adjoint d’économie à George Mason University. Auparavant, il était chercheur postdoctoral à la Texas Tech University. Vincent Geloso est titulaire d’un doctorat en histoire économique de la London School of Economics and Political Science et d’une maîtrise en histoire économique du même établissement. Ses articles scientifiques ont été publiés dans Economic Inquiry, Public Choice, Health Policy & Planning, la Revue canadienne d’économie (CJE), Economics & Human Biology, Southern Economic Journal, Research Policy, European Journal of Law & Economics, International Review of Law & Economics et The Journal of Economic History. Il est également l’auteur du livre Du Grand Rattrapage au Déclin Tranquille, sur l’histoire économique du Québec depuis 1900, publié en 2013.

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Atlantico : Suite aux émeutes consécutives au décès du jeune Nahel, Emmanuel Macron a blâmé, outre les réseaux sociaux, les jeux vidéo, qui expliqueraient en partie la violence et le vandalisme. Dans quelle mesure ce raisonnement est-il faux et dépassé ?

Yann Leroux : Un tel raisonnement a surtout été mis en avant suite à la tuerie de Columbine, en 1999 aux États-Unis. Mais il est important de souligner que ce lien entre violence et jeux vidéo n'est absolument pas fondé. Bien que des recherches puissent établir une corrélation entre les idées, les émotions et les comportements violents, ce n’est pas le cas en ce qui concerne les tueries de masse ou des émeutes. En réalité, il est plutôt question de violences familiales.

Par ailleurs, en ce qui concerne les comportements violents susceptibles d'entraîner une incarcération, on constate plutôt que les jeux vidéo jouent un rôle protecteur. En effet, lorsque des individus ayant des problèmes comportementaux jouent à des jeux vidéo, ils sont moins susceptibles de commettre des crimes et délits, car ils se trouvent chez eux plutôt que dans la rue.

Vincent Geloso : L'affirmation d'Emmanuel Macron selon laquelle la violence dans les émeutes est due aux jeux est une excellente illustration du fait que les résultats obtenus en laboratoire n'ont souvent aucune validité externe.

Tout d'abord, soyons clairs : la plupart des études en laboratoire et des entretiens tendent à établir un lien (fort ou modeste) entre l'agressivité et l'intensité des jeux. Ce lien est particulièrement fort chez les adolescents et les jeunes garçons.

Cependant, je dis souvent à mes étudiants en théorie de la microéconomie que cela peut être vrai mais non pertinent. J'utilise le cas des pesticides et du cancer comme une analogie qui s'applique bien aux jeux.

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L'ampleur de l'effet varie, mais aucune étude en laboratoire n'a révélé que les pesticides réduisaient le cancer. Cependant, je dis à mes étudiants que cela ne suffit pas pour savoir si plus ou moins de pesticides est bon ou mauvais.

Pourquoi ? Parce que les pesticides peuvent réduire le prix des denrées alimentaires. Or, une baisse du prix des denrées alimentaires se traduit par une amélioration de l'alimentation et une diminution des taux de cancer.

Si la Santé est déterminée par le prix des aliments (positivement) et par les pesticides (négativement), mais que le prix des aliments dépend des pesticides, alors les pesticides peuvent à la fois augmenter (effet direct) et réduire (indirectement par le biais du prix des aliments) les taux de cancer. La question est de savoir quel effet domine.

À quel point est-il difficile de réaliser des études précises et non biaisées sur le sujet ?

Yann Leroux : Toutes les études sont sujettes à des biais. Les chercheurs en sont conscients et ils évaluent honnêtement les biais de leurs recherches. Lorsqu'une étude est réalisée sur un jeu comme « Call of Duty » (un jeu de guerre, ndlr) et qu'elle démontre une augmentation de la violence après y avoir joué par rapport à une partie de "Léa passion : Vétérinaire" (un jeu où l'on soigne des animaux), cette violence concerne un comportement très spécifique en laboratoire. Ainsi, les résultats ne sont valables que dans un contexte précis, et aucune étude ne prétend qu'un jeu vidéo provoque des émeutes.

Vincent Geloso : Ce que j'ai expliqué concernant les pesticides et le cancer fonctionne pour les jeux vidéo. L'effet "laboratoire" est atténué (ou peut-être même vicié) par les effets de "catharsis", d'"incapacité" et de "substitution" provoqués par les jeux.

Pour bien comprendre :

-Catharsis : les joueurs choisissent d'être plus agressifs dans un environnement contrôlé (c'est-à-dire chez eux) pour se défouler. En conséquence, le niveau d'agressivité de base est déplacé et limité.

-Incapacité : si vous jouez, vous ne pouvez pas voler des objets et frapper des personnes réelles.

-Substitution : l'évacuation peut se faire de différentes manières. Par exemple, je peux me défouler en allant dans un bar. Je bois. Je bois trop. Je me bats avec une personne réelle. Si je joue, cela n'arrivera pas.

Ces trois effets semblent en moyenne dominer "l'effet laboratoire".

Que nous disent alors véritablement les études ? 

Vincent Geloso : Mon ami Scott Cunningham a publié dans le Southern Economic Journal un article montrant qu'en moyenne, il n'y a pas d'effet.

 Dans le même temps, Michael Ward constate que la criminalité est en moyenne réduite par les jeux. Ces deux études constituent à peu près les résultats modaux de la littérature. J'apprécie particulièrement l'article de Scott Cunningham, qui s'appuie sur des méthodes quasi-expérimentales.

Certaines études concluent à des effets faibles/modestes au sein de sous-ensembles restreints de la population des joueurs, notamment les adolescents (l'une d'entre elles a été réalisée par Ward, cité plus haut).

Mais ce résultat fait l'objet d'un débat, comme le montre cet article du Journal of Economic Behavioor & Organization.

Pour être honnête, je ne sais pas quel camp a raison en ce qui concerne le sous-groupe le plus étroit de la population des joueurs. Mais cela n'a pas vraiment d'importance car l'ampleur de l'effet semble faible. Bien trop faible en tout cas pour expliquer des émeutes massives en France qui égalent celles de 2005, lorsque les jeux vidéo étaient beaucoup moins sophistiqués et moins présents qu'aujourd'hui.

Comment expliquer que les hommes politiques tentent régulièrement d'établir une corrélation entre les deux ?

Yann Leroux : En tant que psychologue et citoyen, je pense qu'il est plus facile pour les hommes politiques de désigner les jeux vidéo comme boucs émissaires plutôt que de se poser les bonnes questions. Pourquoi certains quartiers sont-ils abandonnés depuis des années ? Pourquoi les dépenses publiques ne correspondent-elles pas aux politiques publiques souhaitées ? Pourquoi les écoles ne disposent-elles pas des ressources adéquates ? Pourquoi le budget des travailleurs sociaux diminue-t-il ? Que de questions sans réponses ! 

Selon moi, nous avons construit des situations explosives depuis des années, avant de nous étonner lorsque le baril de poudre finit par exploser. Il y a quelques mois, Emmanuel Macron était bien content de se rapprocher de la communauté des gamers pour obtenir des voix. Lorsqu'on a besoin du soutien de certaines communautés, on s'en rapproche, mais lorsque les circonstances changent, on n'hésite pas à jeter le bébé avec l'eau du bain, le bébé et même leur manette.

Vincent Geloso : Les politiciens aiment détourner les responsabilités et je le comprend. Mais cette explication est plutôt paresseuse et demande un acte de foi à la Assassin's Creed. Le Président devrait se sentir libre d'être plus sérieux.

À l’inverse, quels sont les aspects positifs des jeux vidéo sur le plan social et psychologique ?

Yann Leroux : Les jeux vidéo offrent de nombreux aspects positifs. Ils constituent une activité sociale, permettant de partager des émotions, des expériences et de collaborer. Ils favorisent également la compétition et génèrent des histoires que l'on aime se raconter, parfois même des années plus tard. Les jeux vidéo sont simplement un moyen de socialiser avec les outils du XXIe siècle.

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