G7 : Les grandes entreprises occidentales, énorme obstacle sur la voie du découplage avec la Chine souhaité par Washington et Bruxelles<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme âgé et un enfant passent devant un logo Nike dans le quartier commerçant de Wangfujing, à Pékin le 2 juin 2021.
Un homme âgé et un enfant passent devant un logo Nike dans le quartier commerçant de Wangfujing, à Pékin le 2 juin 2021.
©Noel Celis / AFP

Commerce international

Alors que les chefs d'Etat du G7 se retrouvent pendant 3 jours au Japon, la question de la Chine, de ses ambitions militaires et du contournement des sanctions vis-à-vis de la Russie seront au coeur des discussions.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : A quel point les entreprises occidentales ont-elles, ces dernières années, misé sur la Chine ?

Michel Ruimy : Après l’ère communiste, suivie, dans les années 1980, par le « socialisme de marché », la Chine est passée du statut d’« atelier du monde » à une économie de champions nationaux, montant progressivement en gamme grâce aux transferts de technologies, puis se concentrant sur son marché intérieur. Cette montée en puissance de la Chine dans l’économie mondiale, son développement rapide et l’enrichissement spectaculaire d’une partie de sa population ont conduit toujours plus d’entreprises à vouloir s’y implanter.

Ainsi, depuis le milieu des années 1980, la Chine n’a cessé d’attirer l’investissement direct d’entreprises à capitaux étrangers. Aujourd’hui, les groupes tels que Volkswagen, Apple, Starbucks, Nike, Intel, Qualcomm, Normal Motors et H&M sont tous dépendants du marché chinois. En 2022, ce pays a été le marché mondial le plus important pour les voitures Mercedes avec une part de marché de 37%, pour l’Allemagne et d’autres marchés européens (31%) et pour les États-Unis (15%).

Toutefois, les co-entreprises (« joint-ventures »), toujours aussi incontournables, ne peuvent plus être considérées comme de simples portes d’entrée sur le marché chinois. Au contact des firmes étrangères implantées chez eux, les Chinois ont appris à développer leurs propres entreprises manufacturières. Encore trop souvent sous-estimées par les Occidentaux, les compétences et les ressources acquises par les acteurs locaux changent graduellement la donne. Les entreprises chinoises, qui disposent de sources de financement importantes, ont ainsi su construire de solides réseaux de distribution et développer l’innovation.

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Aujourd’hui, la Chine n’est plus seulement une économie de copie. Elle est devenue une économie d’innovations. Dès lors, le nouveau leadership des entreprises chinoises oblige les multinationales à revoir l’approche de leurs partenariats.

Dans quelle mesure cela va-t-il compliquer toute volonté et capacité de faire ce « découplage » avec la Chine auxquels aspirent Européens et Américains ?

L’économie chinoise est devenue une économie mature que les Occidentaux craignent d’autant que le pays cesse peu à peu d’être le bastion protectionniste qu’il a été jusque dans les années 2010, excepté dans les secteurs où il a rattrapé son retard technologique sur les grands champions étrangers et où il occupe déjà la quasi-totalité de son marché (Cf. secteur automobile, où la part de marché des constructeurs étrangers régresse, mis à part celle des Allemands, positionnés sur le segment « haut de gamme », où les Chinois sont peu présents).

Auparavant, les firmes étrangères tentaient d’entrer en Chine. Aujourd’hui, ce sont les entreprises chinoises qui partent à la conquête du monde. La question n’est plus de savoir si les Occidentaux arriveront à conquérir les marchés chinois mais celle de savoir si les entreprises chinoises conquerront l’Europe et l’Amérique.

Dès lors, la problématique pour les firmes étrangères est la suivante : il ne suffit plus d’être bon pour pouvoir s’associer avec un partenaire local et atteindre le marché chinois. Il convient d’être excellent pour pouvoir répondre à une nouvelle concurrence de taille mondiale.

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Michael Fitzgerald, directeur financier adjoint de l’Orient Overseas Container Line, comme le chef de Mercedes-Benz déclarent qu’il serait « impensable » de rompre les liens avec la Chine. Est-ce vraiment impossible ? Ou ces firmes ont-elles été trop naïves ?

La pandémie de la Covid-19 a montré à quel point les chaînes d’approvisionnement traditionnelles étaient fragiles. Elle a conduit les entreprises à se penser plus résilientes et plus indépendantes. De surcroît, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a déclenché, en Europe, une vague d’anxiété quant à sa grande dépendance vis-à-vis de la Chine. Une interrogation d’autant plus aiguë que l’Empire du Milieu est, souvent, pour certains pays, un important partenaire commercial, notamment pour ce qui concerne les biens de consommation. Enfin, les tensions croissantes entre Washington et Pékin impactent le climat des affaires et pèsent sur la bonne marche de l’activité des entreprises.

Dans ce contexte, on voit bien que, plus qu’appeler aujourd’hui à un changement radical dans les relations avec la Chine, il convient de se demander si ce découplage est souhaitable au regard du commerce international ? En effet, les principaux acteurs de l’économie mondiale - Europe, États-Unis et Chine - sont si étroitement liés que se désengager de l’un d’entre eux, en particulier de la Chine, serait illusoire voire difficile à réaliser à court terme - presque un « non-sens » - car il s’agit de relations « gagnant - gagnant » en matière de croissance, de protection du climat...

Dès lors, les entreprises ont été, dans une certaine mesure, relativement naïfs et les Etats, aveugles, de n’avoir pas pu penser leur souveraineté économique dans cet environnement.

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Comment la Chine fait-elle en sorte que les entreprises occidentales restent dans ses filets ou n’aient pas intérêt à les quitter ?

Il faut bien comprendre que même si les entreprises souhaitent délocaliser leur production hors de Chine pour éviter notamment le risque de tensions géopolitiques, la domination de la Chine dans le commerce mondial est telle que cette position rend impossible son élimination, à court terme, des chaînes d’approvisionnement mondiales. Outre de la persévérance, la construction de nouvelles chaînes de production qui ne dépendraient plus de la Chine, nécessiterait beaucoup de temps.

Cette situation résulte des politiques d’offre mises en place visant à stimuler l’industrie manufacturière chinoise au détriment de la demande domestique. Elles ont été subventionnées - en particulier, subventions sur le transport et la logistique - par des transferts directs et indirects des ménages. L’ampleur de ces subventions est le revers de la médaille de la faiblesse de la demande intérieure chinoise.

Tant que la Chine peut « exporter » son déficit de demande domestique, il est peu probable que la « compétitivité » manufacturière de la Chine soit érodée.

A quel point la Chine remodèle-t-elle les chaînes de valeurs mondiales ? Dans quelle mesure cela joue-t-il sur les décisions occidentales ?

Une partie de la baisse des importations chinoises aux Etats-Unis, cette année, est due au déclin du commerce de transformation en Chine, qui préfère renoncer, au profit de pays amis, à l’assemblage final des produits destinés à l’exportation vers les États-Unis du fait des droits de douane américains et viser la captation de davantage valeur ajoutée dans la production, par exemple, d’iPhones et autres.

Ensuite, la politique industrielle chinoise en faveur des véhicules électriques porte ses fruits. D’une part, les consommateurs chinois se tournent vers les voitures nationales, ce qui entraîne une baisse des importations. D’autre part, comme, au plan mondial, les entreprises chinoises sont compétitives dans la construction de telles automobiles, les exportations de ces voitures, mais aussi de batteries, sont en plein essor. Les termes de l’échange se sont, en outre,améliorés du fait de la baisse des prix des matières premières, ce qui, au final, a permis d’accroître l’excédent commercial.

Cette tendance devrait se poursuivre à court terme en raison d’une décision, prise en 2020, de recentrer l’économie vers un processus circulaire de l’industrie manufacturière - en optant pour des produits locaux afin de garantir l’approvisionnement - au détriment des services et de la consommation des ménages.

Se pose alors une question stratégique pour l’Europe : est-il plus profitable, pour les européens, que le monde soit dominé par la Chine ou par les Etats-Unis ?

Cette question peut paraître cynique puisque les États-Unis semblent être l’allié naturel de l’Europe. Mais, le continent européen paraît, sous certains aspects, « phagocyté » par cet ami : par exemple, les « GAFAM » (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) dominent quasiment l’ensemble des marchés européens et l’extra-territorialité du droit américain obère la politique commerciale de l’Union européenne tout en fermant, à ses firmes, certains marchés à l’étranger (Cf. Iran).

Ne serait-il pas plus bénéfique pour l’Europe que les « BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) concurrencent les GAFAM pour éviter le quasi-monopole des Américains ? La stratégie numérique de l’Union européenne semble, pour l’instant, se résumer à « réguler ce que nous n’avons pas créé ». Cette mise en concurrence sur les marchés européens, dans le domaine du numérique, permettrait-elle, au-delà de la régulation, des innovations européennes ?

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