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Les secteurs les plus concernés par les gains de productivité vont-ils devoir s’adapter pour espérer les conserver ?
Les secteurs les plus concernés par les gains de productivité vont-ils devoir s’adapter pour espérer les conserver ?
©LOIC VENANCE / AFP

Rebond de l'économie

Les nouveaux usages des technologies que la crise du Covid a engendrés nous ont permis de réaliser des gains de productivité si longtemps attendus, selon James Pethokoukis, chroniqueur et analyste de politique économique auprès de l'American Enterprise Institute.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Selon James Pethokoukis, chroniqueur et analyste de politique économique au American Enterprise Institute, la pandémie de Covid-19 a généré un certain nombre d’améliorations importantes qui ont eu des effets significatifs sur le rythme de production horaire des travailleurs. Quels sont ses arguments ?

Michel Ruimy : Avant la pandémie, environ 15% des Américains travaillaient à domicile 1 journée par semaine (environ 5% du nombre total de journées de travail). Pendant le confinement, cette proportion s’est élevée à près de la moitié de la population active. Ce changement radical d’habitudes (télétravail, commerce électronique, automatisation plus grande des processus de production…) a eu un impact sensible sur la productivité de la main d’œuvre et les modèles économiques des entreprises.

Le constat sur l’économie américaine, tiré par James Pethokoukis, s’appuie notamment les économies réalisées sur le temps de transport domicile-lieu de travail (évaluée à 600 millions d’heures par mois) mais aussi sur celles effectuées par les entreprises (1,4 million de caissiers, de vendeurs et de personnel d’entretien des bureaux). Pour lui, outre la capacité de bureaux disponibles et des parcs informatiques grand public (ordinateurs portables et de bureau, téléphones intelligents, tablettes…) désormais à la disposition des entreprises, un bon nombre de ces travailleurs et une quantité importante de ces heures pourraient être employés de manière plus productive, notamment, aujourd’hui, dans une situation caractérisée par d’importantes pénuries de main-d’œuvre et de vacances d’emplois. Ce schéma fait écho au boom de la production et de la productivité dans le secteur du covoiturage au cours des années 2010 lorsque Uber et Lyft ont réussi à monétiser le stock de capital automobile des ménages.

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Cependant, reste en suspens la question de savoir dans quelle mesure ces gains de productivité vont-ils persister au cours des prochaines années ? Dans son approche, cette tendance pourrait constituer, sur le long terme, un important vent arrière économique car, lors du retour à la « normale », le mode du travail sera vraisemblablement hybride, la quasi-majorité des employés alternant un retour au bureau 2-3 jours par semaine, le reste du temps de travail hebdomadaire étant effectué à domicile.

Ce constat est-il le même pour la France ? Quels secteurs sont les plus concernés ?

La productivité au travail est l’une des clés du succès d’une entreprise. Pour autant, l’effet du télétravail sur la productivité est difficile à évaluer compte tenu, par exemple, de nombreux biais de sélection liés au fait que les travailleurs prêts à travailler à domicile sont généralement plus motivés, font plus d’efforts dans leur travail et sont plus performants.

Or, le passage au télétravail durant les confinements de 2020 a généralement été réalisé dans des conditions défavorables, limitant les éventuels effets positifs sur la productivité. Il s’est fait le plus souvent sans concertation, sans matériels adaptés, et sans que, ni les travailleurs ni leurs managers n’aient été préparés et formés au préalable. De plus, l’environnement a pu parfois ne pas favoriser le travail effectif comme par exemple la présence d’enfants lorsque les structures scolaires étaient fermées. Ainsi, le caractère inédit de cette expérience ne permet pas de caractériser, de manière générale, les effets potentiels du télétravail sur la productivité.

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Néanmoins, avec la hausse du travail à domicile vient son lot d’avantages : limitation des nuisances sonores, des distractions et perturbations (pauses-café, déjeuner à rallonge…), des réunions inutiles et chronophages, suppression du temps alloué aux transports transformé parfois en temps de sommeil permettant aux salariés d’être en meilleure forme ou encore gain en autonomie et en responsabilité (meilleure gestion de l’emploi du temps).

Le télétravail a aussi initié de nouvelles méthodes de travail et de management des équipes (renforcement de la cohésion des équipes, la capacité d’adaptation des collaborateurs…). Dans ce nouvel environnement, nombreuses ont été les entreprises à avoir modifié leurs offres afin de répondre à la demande et de rester actives. Alors que certaines firmes du secteur de la beauté se sont mises à fabriquer du gel hydroalcoolique, d’autres issues du secteur du textile se sont reconverties, le temps de la crise, à la confection de masques.

Il n’en demeure pas moins que ces effets positifs ont eu des conséquences économiques concrètes selon les Etats. Il faut bien saisir qu’il y a un clivage entre les pays où les infrastructures informatiques, de téléphonie mobile… sont performantes (Etats-Unis, pays scandinaves…) et où il y a eu un faible recul du télétravail et ceux où ces infrastructures de télécommunication sont de moins bonne qualité (Italie). Une exception : le Japon où le télétravail n’est pas intégré dans la culture de travail.

Pour la France, selon certaines études, le télétravail aurait permis, en 2020, de sauvegarder entre 215 à 230 milliards d’euros de produit intérieur brut grâce aux métiers où l’augmentation du télétravail a été la plus forte (« digital », professions les plus qualifiées).

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Dans l’état actuel des choses, pouvons-nous espérer que ces gains de productivité soient durables ? Quels sont les arguments qui vont dans ce sens ?

Des études réalisées aux Etats-Unis montrent que le recours au télétravail augmente la productivité d’environ 5% en moyenne. Toutefois, ce mode d’organisation du travail n’est pas nécessairement la panacée.

L’impact du télétravail sur la productivité peut dépendre de nombreux facteurs (taille de l’entreprise, nature des tâches effectuées - l’impact est différent selon que les tâches sont créatives ou répétitives -…). Les gains de productivité dépendent du contexte dans lequel ce télétravail est réalisé. Pour de nombreux néo-télétravailleurs ou parents télétravaillant, le gain de productivité originel serait gommé soit par la période d’adaptation à cette pratique, soit par le potentiel dérangement représenté par la garde d’enfants.

Tout dépend de l’acceptation des salariés, de leur formation et de leur préparation à ce mode de travail car les risques sont nombreux, notamment pour l’innovation et le sentiment d’appartenance des salariés à un collectif. Dans de nombreux cas, le ralentissement des interactions entre collègues a réduit la circulation des informations au sein de la sphère professionnelle et de nombreux employés, lassés d’être tenus éloignés de leur bureau et de leurs collègues, font état de leur mal-être (augmentation du sentiment d’isolement, de stress et d’angoisse…).

Ainsi, s’il s’impose sur le long terme, à 100%, sans suivi, il pourrait avoir l’effet inverse en entraînant une perte de productivité. Dans une analyse récente, l’OCDE suggère que la relation entre les gains de performance et l’intensité du télétravail aurait la forme d’une « courbe en U » inversée, le « dosage optimal » dépendant évidemment de l’activité. Pour toutes ces raisons, il conviendrait que la pratique du télétravail soit, au maximum, de 2 à 3 jours.

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Ces gains de productivité peuvent-ils avoir un impact sur l’économie ? Les secteurs les plus concernés vont-ils devoir s’adapter pour espérer les conserver ?

Le télétravail devrait rester une pratique commune dans le futur. Ceci pourrait se traduire par des effets favorables sur la productivité des entreprises notamment à travers l’accélération de la diffusion des technologies à condition que celles-ci investissent !

Les gains de productivité en sortie de crise sont toutefois entourés d’aléas importants avec des risques, à la fois, haussiers, comme l’accélération de l’adoption des technologies numériques, et baissiers comme l’affaiblissement du capital humain lié à la fermeture des écoles et aux difficultés engendrées par le télé-enseignement. Une baisse de la croissance potentielle aurait des effets extrêmement négatifs : elle empêcherait de réduire les taux d’endettement, interdirait de mettre en place des politiques redistributives au profit des ménages les plus modestes…

Cependant, le plein bénéfice de cet effet favorable appelle une préparation appropriée qui diffère selon l’impact de la crise sanitaire sur les secteurs. Certains (informatique, télécommunications…) pourraient en bénéficier, soutenus par les effets du recours généralisé au télétravail et de l’accélération de l’essor du numérique.

Enfin, il convient de continuer de télétravailler après la pandémie car ce mode d’organisation a un effet positif sur le plan de la décarbonation de l’économie (moins de déplacements et donc moins de transports) et dans le cadre de la transition écologique. C’est une habitude qui nous a été imposée, de manière un peu rapide et brutale, qu’il faudra garder.

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