Les Français musulmans sont-ils victimes d’autant de racisme et de discrimination que Le Monde le croit ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des fidèles musulmans patientent avant d'assister aux prières matinales de l'Aïd al-Adha à la Grande Mosquée de Paris, le 28 juin 2023.
Des fidèles musulmans patientent avant d'assister aux prières matinales de l'Aïd al-Adha à la Grande Mosquée de Paris, le 28 juin 2023.
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Tentation du départ

Selon la rédaction du Monde, de plus en plus de Français de confession musulmane « bien installés » (des fonctionnaires, des banquiers notamment) songent à émigrer et à quitter la France face à une « islamophobie d'atmosphère ».

Karim Maloum

Karim Maloum

Karim Maloum est journaliste.

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Mohamed Sifaoui

Mohamed Sifaoui

Mohamed Sifaoui est journaliste, écrivain et réalisateur. Il est l'auteur de plusieurs reportages et ouvrages sur les milieux islamistes radicaux.

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Atlantico : Le Monde a récemment publié un article pour parler d’un phénomène “difficile à quantifier” : le départ de Français musulmans “bien installés”, en raison d’une “islamophobie d’atmosphère”. Que peut-on dire de la réalité du phénomène que le quotidien du soir a décidé de traiter ? Que sait-on, en effet, du racisme en France et de la façon dont il est vécu ou ressenti par ces populations ?

Karim Maloum : Commençons par poser quelques points préalables. Le titre de l’article du Monde, intitulé “Ces Françaises et Français de confession musulmane « bien installés » qui songent de plus en plus à émigrer” fait bel et bien état de Français “de confession musulmane” qui seraient “bien installés”. Ce qu’il oublie de préciser, de manière volontaire me semble-t-il, c’est le mot “supposé”. Il faut bien comprendre qu’il existe, dans cette communauté, des athées, des apostats, des non croyants ou des laïques. Le Monde, c’est triste à dire, a décidé de les effacer. Aux yeux de ce journal, il n’existe que la vision islamiste de la communauté musulmane ou supposée musulmane : quelle que soit notre origine, que l’on vienne d’Algérie ou du Koweït, on est assigné musulman automatiquement. Ce faisant, on peut dire du Monde qu’il reprend le vocabulaire des islamistes.

Permettez-moi, à cet égard, un peu de pédagogie : être musulman n’est pas une race. C’est une croyance et c’est une nuance importante puisqu’il n’existe pas, rappelons-le, de racisme contre les religions. Et ce que l’on parle de l’islam, du christianisme ou du judaïsme, d’ailleurs. Il ne peut pas y avoir de racisme contre une religion ! Le racisme désigne une discrimination exercée envers un individu ou un groupe de personnes en fonction de l’ethnie de ceux-ci. Il ne concerne pas les religions, les croyances, les opinions. On peut donc être en désaccord sans que l’un d’entre nous ne soit raciste. Or, l’article du Monde mélange tous ces aspects : il mélange les musulmans, la religion, les pratiquants, les étrangers, les immigrés… Tout est confus, pour permettre d’invoquer un concept inventé par les islamistes. J’ai nommé “l’islamophobie”, qui est pensée pour interdire toute critique d’un islam rigoriste. 

Le racisme, soulignons-le, est un délit. Ce n’est pas le cas de l’islamophobie, qui est un mot qui ne veut rien dire. On est en droit d’avoir peur d’une religion, mais un droit fondamental. Il est possible de ressentir de la peur envers toutes les religions. Particulièrement quand celle-ci s’invite dans l’espace public et qu’elle vient perturber celui-ci.

Mohamed Sifaoui : Disons les choses de façon directe : quand j’ai lu l’article du Monde, j’ai eu l’impression que le quotidien du soir se mettait à publier des fake news. Comprenons-nous bien : sans jamais avoir été dans une approche communautariste, il m’arrive évidemment de fréquenter un certain nombre de personnes d'origine maghrébine. J’en connais un certain nombre, le plus souvent de la même ligne idéologique que moi. Je parle donc de personnes qui se définissent d’abord et avant tout comme des citoyens français, démocrates. Ils sont généralement laïques, certains étant croyants tandis que d’autres non. Ce qui m’étonne dans l’approche du Monde, qui est d’ailleurs très française malheureusement, c’est la tendance à essentialiser les musulmans au travers du prisme des islamistes. Ce sont les mêmes qui nous disent d’ailleurs “pas d’amalgame”. Il est vrai qu’il y a, en France, des gens qui se disent mal-à-l’aise et qui le font en utilisant les éléments de langage des islamistes, notamment le fameux vocable “islamophobie”, qui ne veut strictement rien dire et qui vise simplement à atrophier le débat. Ce mot, il faut bien le dire, est un marqueur islamiste. Il est utilisé par les mêmes qui véhiculent depuis plusieurs années un grossier mensonge, celui du racisme systémique français qui pousserait les musulmans à quitter le pays.

Je suis partisan, à titre personnel, de voir la France, pousser au départ les islamistes qui ne doivent plus vivre heureux en France. 

En réalité, il faut bien réaliser que la majorité silencieuse ne rêve que d'élever ses enfants dans un cadre pacifié, stable et au sein de la République française. Ceux-là doivent trouver les conditions pour être très heureux en France comme tous les citoyens. D’ailleurs, ils ne ressentent pas la moindre gêne quand l’Etat se met à lutter contre l’islam politique, puisqu’ils ont souffert eux-mêmes de celui-ci par le passé dans leur pays d’origine. 

Rappelons également que Le Monde connaît une vraie dérive idéologique depuis quelques années. Ce journal considère désormais que les seuls qui doivent être défendus sous le vocable de “musulmans”, ce sont les islamistes.

Le Monde tombe-t-il dans l’essentialisation des populations de confession musulmanes dans cet article ? Quels sont les travers les plus évidents de leur récit, selon vous ?

Karim Maloum : C’est un article terrible : à le lire, on est soit assignés à résidence ou alors en train de faire la queue pour prendre un avion et fuir la France. Dans les faits, permettez-moi de rappeler que les musulmans n’arrêtent pas d’arriver en France. Bien sûr, certains partent, souvent les plus diplômés d’ailleurs – lesquels ne sont généralement pas des “Français bien installés” comme le dit Le Monde mais plutôt des étrangers qui n’ont pas le courage de faire face aux procédures administratives françaises. Certains doivent attendre un an pour obtenir leur titre de séjour, il est compréhensible d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Cela étant dit, c’est une réalité qui ne concerne pas que les musulmans. Elle concerne aussi les chrétiens et les juifs, entre autres. 

D’une façon générale, j’aurais tendance à dire que c’est un article malhonnête. Particulièrement quand il est question du “point de bascule” qui aurait fait changer la société française. Le Monde évoque les attentats de Charlie Hebdo, qui ont coûté leur vie à plusieurs journalistes français, tués par des islamistes. Le quotidien du soir cite aussi le Bataclan, l’Hyper Casher. Ce sont des évènements horribles qui ont choqué tout le monde, choisir de les présenter comme le “point de bascule” du changement de la société française c’est choisir de porter un message confus. Que faut-il comprendre, exactement ? Qu’un tel changement serait la faute des journalistes de Charlie Hebdo ? Je connais, à titre personnel, des gens qui quittent la France parce qu’ils ne veulent plus habiter dans les banlieues françaises et n’ont pas les moyens d’aller vivre en métropole. Certains partent pour le Canada, cela arrive, où le prix de l’immobilier est moins cher.

Il serait faux de dire qu’aucun musulman ne quitte le pays. Il serait naïf de penser que ces gens ne partent pas en partie au moins à cause du laxisme de l’Etat, à cause de l’islamisation de la société, à cause des violences que cette dernière engendre. Cette notion de point de bascule, c’est une honte.

Mohamed Sifaoui : Le Monde ne sait pas et ne veut pas faire la différence entre un musulman et un islamiste. C’est un vrai problème et c’est l’un des symptômes les plus évidents de l’essentialisation dont nous parlons. Elle commence par le fait de reprendre mot pour mot, peu ou prou, le narratif islamiste. Le Monde fait désormais partie de ces médias qui permettent à l’islamisme de remporter des batailles culturelles. Dès lors, je considère qu’il y a œuvre d’utilité publique à attirer l’attention des citoyens et des lecteurs qui, de bonne foi, pourraient se laisser instrumentaliser ou manipuler par ce genre d’articles. Celui-ci n’est rien de plus qu’un grossier mensonge qui ne s’appuie sur aucune étude chiffrée. Qui peut dire combien de musulmans ont quitté la France ces dix dernières années ? Le Monde affirme lui-même que c’est un chiffre difficile à estimer ; autant dire qu’ils n’en savent rien. D’autant plus, il faut bien le dire, qu’il n’est pas possible d’identifier précisément les raisons du départ des uns et des autres. Nous ne connaissons rien des motivations réelles de celles et ceux qui décident effectivement de partir. Les salafistes parlent de la hijra, qui consiste à partir vivre sous un régime où il leur est possible de vivre leur conception de l’islam librement ; sans risquer d’avoir à se frotter à la laïcité ou à un modèle républicain comme ce qui existe en France.

Le cas de figure que Le Monde présente dans son article c’est celui du musulman français qui déciderait de partir parce que la vie est devenue insupportable en France. Permettez-moi de rappeler qu’il n’est aucun autre pays au monde où, au lendemain d’attentats comparables à ceux connus en France entre 2015 et 2017, les musulmans ont continué d’emmener leurs enfants à l’école sans jamais s’inquiéter. Cela ne se serait certainement pas passé de la même façon en dehors des pays démocratique. La vie des musulmans a continué de la même façon, peu ou prou, ces dix dernières années… malgré une pression exercée sur leur mode de vie, par la menace islamiste. Ce que l’article du Monde décrit relève à mon sens de la politique fiction. C’est une représentation d’une France dirigée par l’extrême droite, peut-être, et c’est un mensonge grossier en l’état.

Pour alimenter son narratif, Le Monde a décidé de faire appel à certains intervenants bien spécifiques, comme le journal SaphirNews, présenté comme un “site d’actualité sur le fait musulman”. Que sait-on de cette plateforme et des différents intervenants sélectionnés ?

Karim Maloum : C’est un article qui fait preuve de malhonnêteté, je l’ai dit, ainsi que de pauvreté intellectuelle. Un journal qui se respecte se doit d’appliquer le contradictoire quand il affirme de tels éléments ou se décide à faire une telle enquête. Nous aurions été nombreux à pouvoir donner un autre son de cloche sur ce sujet. Ils n’ont pas appelé Sabrina Medjebeur, Zohra Bitan ou Mohamed Sifaoui pour n’en citer que quelques-uns. Nous sommes connus, il n’est pas si difficile de nous contacter, mais cela n’a pas été fait à ma connaissance. Cela témoigne, me semble-t-il, de l’islamo-gauchisme qui domine tout ou partie de ce papier et qui consiste à toujours dépeindre les musulmans comme des victimes qui ne seraient responsables de rien, parce que cela voudrait dire que les musulmans sont actifs.

Jamais cet article ne dénonce l’islamisme, ne dénonce les attentats, les atteintes à la laïcité que multiplient les islamistes. A aucun moment les journalistes du Monde ne parlent des trafics qui polluent les quartiers où les populations musulmanes ou supposées vivent en forte concentration.

Mohamed Sifaoui : SaphirNews est une plateforme islamiste qui véhicule le narratif islamiste depuis plusieurs années. Il est totalement logique, compte tenu du choix éditorial fait par Le Monde, d’interroger ce type de médias. Ce à quoi on assiste aujourd’hui, c’est la polarisation du débat public entre deux extrêmes ; l’un de droite et l’autre de gauche. L’un comme l’autre ont intérêt à invisibiliser les musulmans réels ou supposés, laïques et démocrates. Il s’agit de faire de l’ensemble des musulmans (encore une fois réels ou supposés) un groupe homogène et monolithique, comme s’ils étaient tous liés aux mêmes aspirations, aux mêmes difficultés et qu’ils étaient tous nourris par une seule et même philosophie. Nous n’avons pas tous la même approche ou la même vision de la vie. Dans un cas comme dans l’autre – c’est-à-dire en provenance de la gauche comme de la droite – c’est une approche raciste que de penser que les musulmans ne constituent qu’un seul bloc. C’est une forme d’essentialisation dans laquelle se reconnaît d’ailleurs Le Monde aujourd’hui (du côté extrême gauche, en l’occurrence, même s’il prétend lutter contre celle en provenance de l’extrême droite).

Permettez-moi de souligner, d’ailleurs, que cet article a été fait sans recueillir l’avis des institutions de l’islam de France. Celles-ci auraient très probablement proposé un peu de contradiction : des gens qui se sentent pressés de quitter le pays ne se constitueraient probablement pas en associations. Il y a un chiffre qui ne ment pas, c’est bien le nombre d’associations musulmanes qui existent en France, le nombre de demande de construction de mosquées aussi. Ils illustrent tous deux combien ces musulmans s’inscrivent dans un avenir sur le sol français. Nous pourrions aussi parler des demandes de naturalisation ou de cartes de séjour émanant de pays musulmans. Tout cela, j’en suis convaincu, viendrait nuancer considérablement le propos mensonger tenu par Le Monde.

Cet article évoque l’islamophobie d’atmosphère dont la France souffrirait. Pour autant, Le Monde n’a pas particulièrement mentionné les pressions et les différentes assignations auxquelles sont soumis les populations de confession musulmane (ou supposée musulmane) en France, du fait de l’Islam politique. Dans quelle mesure un tel oubli jette-t-il le discrédit sur le résultat de l’article ?

Karim Maloum : Cela relève d’un choix éditorial, à mon avis. Cet article n’a jamais remis en cause – ni même pris la peine de poser le débat – le vocable “islamophobie”, qui est utilisé en permanence pour mettre une cible sur le dos de quelqu’un. L'islamophobie est un danger mortel pour les gens qui sont accusés. C’est quelque chose qu’ils auraient pu dire ! Le Monde aurait pu souligner combien ce vocable est utilisé pour interdire toute critique de la pratique rigoureuse de la religion, mais il a choisi de ne pas le faire. Le mot a beau être une invention de l’islamisme, c’est aussi un vocabulaire que le quotidien du soir a décidé de s’approprier. Cela m’inquiète parce que c’est un vocable qui s’utilise en deux temps : d’abord, il est utilisé pour interdire la critique de l’islam puis il permet de racialiser l’appartenance à la religion. C’est ce mot qui permet de nous invisibiliser Mohamed Sifaoui et moi, notamment. 

Le Monde, qui est un journal de grande renommée, vient de valider un concept qui n'est pas scientifiquement fondé.

Mohamed Sifaoui : Le Monde s’est discrédité en tant que journal depuis plusieurs années déjà. Il s’est trompé et a fait le choix de défendre les tenants de l’islam politique. Je compte Le Monde parmi mes plus grands détracteurs alors même que je porte une parole républicaine et laïque depuis des années. Cherchez l’erreur ! L’article du Monde dont on parle, en l'occurrence, vient poser une affirmation que j’estime gravissime : il s’agit de laisser dire ou penser que les musulmans seraient les plus persécutés de France alors qu’en vérité, tous les chiffres dont nous disposons disent le contraire. Si l’on prend la peine de se pencher sur ceux-ci, il apparaît clair que la communauté qui fait l’objet du plus grand nombre de persécutions, de menaces ou d’actes d’hostilité, c’est la communauté juive. A ce titre, il aurait d’ailleurs été intéressant de reprendre les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur, d’interroger le nombre de plaintes déposées. Force est de constater que, depuis le 7 octobre 2023, le nombre de plaintes déposées par la communauté juive a explosé. En nombre absolu et proportionnellement au nombre de membres de la communauté, la population musulmane ou supposée fait l’objet de moins d’actes de racisme (quand bien même il va de soi qu’un seul acte raciste reste un acte de trop). Notons aussi que ce sont souvent des gens qui s’expriment au nom de l’islam qui commettent des actes d’hostilité à l’encontre des populations juives.

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