Les Français, bien plus sévères qu’Emmanuel Macron en matière de violences sexuelles et sexistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a déclaré le 20 décembre que Gérard Depardieu, accusé de viol, était devenu la cible d'une "chasse à l'homme" alors que l'acteur a été critiqué pour ses commentaires sexistes.
Emmanuel Macron a déclaré le 20 décembre que Gérard Depardieu, accusé de viol, était devenu la cible d'une "chasse à l'homme" alors que l'acteur a été critiqué pour ses commentaires sexistes.
©Ludovic MARIN et Valéry HACHE / AFP

MeToo

Pour deux tiers des Français, la présomption d’innocence ne devrait pas être appliquée aux personnalités publiques et politiques en matière de violences sexuelles, selon un sondage OpinionWay. Dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde, des membres de l'association MeTooMedia estiment que le soutien d'Emmanuel Macron à Gérard Depardieu fait reculer la cause des victimes de violences conjugales et de violences sexuelles.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Alors que l’affaire Depardieu et les propos tenus par Emmanuel Macron n’en finissent plus d’alimenter les débats de la trêve des confiseurs, que disent les sondages que vous avez réalisés sur la présomption d’innocence en matière de violences sexistes et sexuelles

Chloé Morin : J’ai réalisé un sondage avec Opinionway après la diffusion du Complément d’enquête sur Gérard Depardieu, et après le retrait du directeur de Sciences Po Mathias Vicherat suite à une garde à vue qui n’avait pas donné lieu à un dépôt de plainte contre lui. Je le précise car les deux affaires sont très différentes, et ont pour seul point commun de toucher des “puissants”. Le sondage interroge donc un échantillon national représentatif de Français sur ce qu’il convient de faire lorsqu’on est responsable politique, artiste ou chef d’entreprise et que l’on est mis en cause pour violences sexistes et sexuelles. Quand faut il démissionner ou se mettre en retrait? Dès la première rumeur publique? Au moment d’un dépôt de plainte? Au moment d’une mise en examen? Ou encore après une condamnation par la justice?

Les résultats de ce sondage sont clairs: la présomption d’innocence n’existe plus pour les puissants lorsqu’il s’agit de violences sexistes et sexuelles. Plus des deux tiers des Français - et même 8 jeunes sur 10 - sont favorables à ce que la démission intervienne avant que la justice n’ait jugé l’accusé. 

Ces résultats sont accablants car la présomption d’innocence est un principe cardinal de notre État de droit. Sa garantie pour tous est un des marqueurs de notre démocratie. À ceux qui accablent sans preuve et sans procédure contradictoire, j’aime poser la question suivante: si l’on vous accusait à tort de viol, là, maintenant, démissionneriez vous? Cette hypothèse est radicale mais l’idée qu’il vaut mieux dix coupables dehors qu’un innocent en prison a structuré la pensée de gauche depuis des décennies. Je constate que tout un pan de la gauche l’a désormais abandonné, pour lui préférer le dicton selon lequel “on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs”. 

Emmanuel Macron est-il donc en décalage majeur avec l’opinion ? Comment expliquer la différence entre sa défense enflammée de Gérard Depardieu et la réaction institutionnelle majeure suscitée par la mise en garde de vue du directeur de Sciences Po alors même que sa compagne avait elle aussi été mise en garde à vue et qu’il n’y avait ni plainte, ni traces de coup ?

Emmanuel Macron prend les deux tiers des Français à rebrousse poil. Il nous a démontré à plusieurs reprises qu’il n’avait pas peur d’aller à l’encontre de l’opinion majoritaire lorsqu’il défendait ses convictions. Même s’il n’a pas toujours appliqué ce principe, il a une relative constance dans la défense de la présomption d’innocence. Dupont-Moretti ou Darmanin, mis en cause pour des affaires très différentes, en sont des exemples. 

Le cas de Sciences Po est un peu particulier car certes, c’est un lieu de pouvoir, mais c’est aussi un lieu que l’on dit particulièrement travaillé par les tensions et les débats que l’on résume souvent sous l’appellation “wokisme”. Nul ne sait si les étudiants y sont forcément plus woke qu’ailleurs dans le milieu universitaire, mais les activistes woke sont en tout état de cause particulièrement bruyants. 

La pression morale qu’ils exercent, qui confine à l’intimidation, explique sans doute que peu de voix se soient élevées au sein de l’institution pour dire stop au délire. Car comme vous le rappelez, nous ne parlons pas du tout ici du cas Depardieu, où il y a des faits, des plaintes, des vidéos de propos obscènes… nous parlons d’une garde à vue, qui n’a donné lieu à rien à l’heure où nous parlons. Faut-il démissionner à base de rien, désormais? La mise en retrait temporaire de Mathias Vicherat me paraît illustrer parfaitement les dérives totalitaires de la quête infinie de pureté et d’exemplarité portée par le militantisme woke. Cette quête d’absolu ne pouvant par définition jamais être satisfaite, et la rumeur ne pouvant jamais être tout à fait éteinte, si l’on n’y met pas un coup d’arrêt brutal, personne ne sera épargné. J’espère donc que Sciences Po saura, dans les semaines qui viennent, marquer ce nécessaire coup d’arrêt. 

À quoi attribuez-vous cette nouvelle frilosité française qui mène à ne plus véritablement distinguer des comportements simplement contestables de ce qui relève d’une violence avérée : véritable néo-puritanisme ou volonté de ne pas se créer de problème en donnant la réponse politiquement correcte à un sondeur ?

Je pense que les Français interrogés dans mon sondage font avant tout parler leur haine des puissants, à leurs yeux trop longtemps impunis, et laissent un peu facilement libre cours à la tentation de l’hypocrisie. Si j’avais posé la question “démissionneriez-vous si vous étiez accusé de violences sexuelles et sexistes?”, je pense qu’il ne s’en trouverait pas beaucoup pour ne pas demander à ce que la présomption d’innocence leur soit appliquée. Il y a bien sûr une intolerance grandissante vis-à-vis de comportements machistes ou déplacés que l’on tolérait jusqu’ici. C’est particulièrement le cas chez les moins de 30 ans. Mais je ne pense pas que les Français aient pour autant basculé dans le puritanisme. Ce que dit bien ce sondage en revanche, c’est un effritement de raisonnements et de manières d’être essentiels à l’exercice plein et entier de la citoyenneté. Car être citoyen c’est juger les autres et agir publiquement en fonction de principes que l’on voudrait voir s’appliquer à soi même. L’individualisme triomphant n’est qu’un aspect de la déstructuration de nos sociétés, mais on en sous-estime la gravité. 

Chloé Morin publie un livre sur le wokisme "À ceux qui éteignent les Lumières : Quand il aura vingt ans, vol. I" aux éditions Fayard, le 7 février 2024.

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