Les Français aux ascendances étrangères ont-ils encore le droit de penser ce qu’ils veulent (et non, ça n’est pas la loi immigration qui le leur interdit…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La député Estelle Youssouffa, qui a récemment été victime de racisme et de cyberharcèlement, photo d'illustration AFP
La député Estelle Youssouffa, qui a récemment été victime de racisme et de cyberharcèlement, photo d'illustration AFP
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Ravages du décolonialisme

Estelle Youssouffa, Naima Moutchou et Huguette Tiegna, trois élues de la République, ont été vivement critiquées pour avoir voter la loi immigration. Elles ont été renvoyées à leurs ascendance étrangère supposée par une partie de la gauche et harcelées sur les réseaux sociaux.

Fabrice d'Andrea

Fabrice d'Andrea

Fabrice d’Andrea est républicain universaliste, hostile à tous les extrémistes politiques ou religieux. Fabrice d’Andrea écrit dans Franc-Tireur et est Cofondateur d’On vous voit.

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Naïma M'Faddel

Naïma M'Faddel

Naïma M’Faddel est consultante, essayiste. Elle a publié "Et tout ça devrait faire d'excellents français Dialogue sur les quartiers" avec Olivier Roy aux éditions du Seuil. Naïma M’Faddel est chargée de mission équité urbaine auprès de la direction générale des services du département de l’Eure-et-Loir. Elle a effectué, dans le cadre de la politique de la ville, des missions d'animation socioculturelle et de développement social dans des villes comme Dreux, Trappes et Mantes-la-Jolie.

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Atlantico : Les députées Estelle Youssouffa, Naima Moutchou et Huguette Tiegna ont été critiquées et harcelées sur les réseaux sociaux pour leur vote sur le projet de loi immigration. Les Français, particulièrement quand ils sont assignés à une supposée ascendance étrangère, ont-ils encore le droit de penser ce qu’ils veulent ?

Fabrice d’Andréa : Fort heureusement la réponse est encore oui. Mais il ne faut effectivement pas se voiler la face, cela devient de plus en plus compliqué. Un anti-racisme dévoyé, qui repose sur des fondements identitaire et racialiste, assigne les individus à des communautés ethniques, dont les membres sont censés former un seul bloc et penser de la même façon. Cette approche n’est pas simplement manichéenne. Elle est totalitaire car elle s’accompagne de pressions qui s’exercent au quotidien tout particulièrement sur les réseaux sociaux, mais pas seulement, pour culpabiliser toute personne qui s’éloigne de sa supposée communauté d’appartenance, en la faisant publiquement passer pour un traître. Elle sera en ce cas qualifiée de « bounty » (référence à la barre chocolatée, noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur, pour discréditer des noirs qui seraient en réalité dans un rapport de servilité face aux dominants blancs voire qui défendraient leur système de valeurs), de « nègre de maison », d’«arabe de service », ou encore de « collabeur », expressions racistes qui visent à discréditer des individus jugés comme trahissant la cause de leur communauté. L’imam Chalgoumi, l’intellectuel Kamel Daoud, le policier Abdoulaye Kanté ou la syndicaliste des forces de l’ordre Linda Kebbab en ont été victimes. Cette dernière a même fait condamner Taha Bouhafs, militant sulfureux proche de LFI, pour injure publique à caractère raciste après qu’il l’a qualifié d’arabe de service sur Twitter, jugement contre lequel il s’est pourvu en cassation. Linda Kebbab avait eu l’audace de considérer que le cas d’Adama Traoré, mort dans la cour de d’une gendarmerie du Val d’Oise après son interpellation ne pouvait pas être assimilé à celui de Georges Floyd, un noir américain tué par la police de Minneapolis, ce qui contredit la thèse woke du racisme structurel de la police française. 

Ces pressions, qui peuvent facilement dériver en harcèlement, constituent un travail de sape au quotidien violent et très dur à vivre. Elles visent à faire rentrer, par lassitude voire même par peur, tous ceux qui oseraient refuser de rentrer dans cette logique communautariste qui nie le droit des individus à penser par eux-mêmes.

Il convient de relever que ces attaques visent particulièrement les femmes, comme ici les trois députées qui ont voté en faveur du projet de loi sur l’immigration. Notre époque victime de confusionnisme voit donc se développer un nouvel antiracisme, reposant sur des fondements racialistes voire racistes, dont les défenseurs peuvent même se voir condamner pour racisme comme Taha Bouhafs (si le jugement est confirmé en cassation) et un progressisme anti-discrimination profondément sexiste, sans que les nouveaux inquisiteurs ni leurs soutiens ne voient la profonde incohérence que cela représente ! Comme si les woke trouvaient encore plus grave qu’une femme puisse trahir sa prétendue communauté. Ce grave travers est révélateur d’une forme « d’impensé patriarcal ». Ainsi, en réalité, au croisement des discriminations liées à la couleur de peau, à l’orientation sexuelle et au genre, les nouveaux progressistes intersectionnels exigent toujours des femmes qu’elles cèdent la priorité dans le combat contre les différentes inégalités. C’est flagrant avec Houria Bouteldja, l’une des figures de proue du mouvement décolonial, qui voit comme modèle une femme noire violée par un homme noir qui refuse de porter plainte pour protéger la communauté noire. 

Naïma M'Faddel : Apparemment pas pour la gauche ! La gauche refuse que les Français aux ascendances étrangères aient le droit et la liberté de penser ce qu’ils veulent. En réalité, la gauche ne supporte pas que les Français d’origines étrangères soient indépendants, qu'ils soient libres de penser en tant qu’individu et non pas en tant que faisant partie d’une supposée communauté. La gauche a toujours voulu avoir une influence sur les Français aux ascendances étrangères et plus particulièrement les maghrébins. La gauche a fait une OPA sur les personnes issues de l'immigration comme si elles lui appartenaient. Elle les a assignées à identité et à résidence, à un espèce de misérabilisme victimaire. Elle n’a jamais voulu l’assimilation à la nation mais qu’ils restent à part et tout ça par intérêt électoraliste.

 Il était possible de le constater dans tous les mouvements d'émancipation. Je me souviens par exemple de la marche pour l'égalité des droits des jeunes issus de l'immigration. Dès le début du mouvement, la gauche a fait une OPA et elle a qualifié cette manifestation de “marche des Beurs”.

Les personnes issues de l’immigration qui participaient à ce mouvement n’ont pas du tout apprécié l’emploi du mot “Beurs” et ont considéré que cette appellation était insultante. SOS Racisme, Touche pas à mon pote ont été créés à cette époque.

Ces députées ciblées sur les réseaux sociaux pour leur vote en faveur du projet de loi immigration l’ont été particulièrement car la gauche leur déni le droit d’avoir une opinion, un engagement comme n’importe quel élu dans notre pays. La gauche a une posture moralisante « sur ce que avons le droit de dire/de ne pas dire car nous sommes issues de l’immigration».

Les critiques envers les députées Estelle Youssouffa, Naima Moutchou et Huguette Tiegna pour leur vote sur la loi immigration sont inadmissibles et illustrent les dérives de la gauche. C’est insupportable ! Ces députées ont réagi et ont fait leur choix sur la loi immigration en tant que Françaises et non pas en fonction d'une supposée origine, comme si elles étaient enfermées et assignées à leurs origines. Nous réagissons tous en tant que citoyen du peuple de France. En liberté et en responsabilité !

Comment et pourquoi le décolonialisme et le wokisme se sont imposés avec l'aide active de la gauche et la lâcheté de la droite ?

Fabrice d’Andréa : Après la chute du communisme et le reflux de ses « maladies infantiles » comme le trotskisme ou le maoïsme, le besoin de radicalité à gauche, resté un temps orphelin, a trouvé un débouché dans le wokisme. 

Ce gauchisme culturel s’est répandu en France dans certains milieux, comme à l’université, dans le monde de la culture et la jeunesse. Il a irrigué de nombreuses associations traditionnellement ancrées dans la gauche républicaine, comme le planning familial, qui a abandonné le féminisme universaliste pour se rallier au féminisme intersectionnel. Une partie de la gauche s’en est accommodée voire a accompagné ce mouvement. LFI, dont la plupart des membres fondateurs étaient marqués par la culture traditionnelle de la gauche républicaine universaliste, s’est ouverte à cette tendance décoloniale, comme en témoigne le ralliement de Daniele Obono aux Insoumis et l’arrivée numériquement importante de jeunes militants woke au sein du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Les écologistes se montrent de leur côté très sensibles au discours décolonial dont ils reprennent une grande partie des codes dans leur discours public. Il faut se souvenir d’un Julien Bayou présentant ses excuses à une militante « Afro féministe », Amandine Gay, qui lui avait reproché d’utiliser le mot «lynchage» pour qualifier des violences anti-policiers alors que l’activiste décoloniale conteste à un blanc la possibilité d’utiliser ce mot pour autre chose que des assassinats de noirs par pendaison.

Une partie de la gauche a ainsi trahi certains de ses idéaux historiques, comme l’universalisme républicain, indifférent à toute considération de couleur de peau, d’orientation sexuelle ou de genre. 

Ce n’est heureusement pas toute la gauche qui a sombré. Il reste une gauche très attachée à cette conception républicaine et qui combat avec force ces dérives communautaristes. 

La droite de son côté s’est montrée presque totalement absente dans cette bataille des idées. Il faut dire qu’elle a abandonné le terrain du combat culturel depuis bien longtemps. Elle a toujours été accusée par de nombreux progressistes de ne pas être vraiment républicaine. La droite a donc fait plus ou moins profil bas et, par cette forme de lâcheté, a sa part de responsabilité dans la progression du wokisme. La gauche et la droite républicaines devraient pourtant se retrouver dans le combat contre le poison du communautarisme woke. D’autant que l’extrême-droite, notamment zemmourienne,qui a observé le succès de Trump basé en partie sur le rejet du wokisme, bien plus développé aux États-unis qu’en France, tente de mener cette bataille culturelle pour s’imposer idéologiquement, préalable jugé indispensable pour pouvoir rafler la mise dans les urnes. Laisser le monopole de ce combat à l’extrême-droite risquerait de rendre impossible tout débat nuancé puisque se résumant à une opposition entre le gauchisme culturel et l’extrême-droite foncièrement anti-républicaine. 

Naïma M’Faddel : Le wokisme et la cancel culture viennent des Etats-Unis mais cela repose aussi sur la culpabilité de la droite.

La droite, depuis mai 68 et plus particulièrement les années Mitterrand, est colonisée et cannibalisée par l'idéologie de gauche. La droite n'ose rien faire et rien dire de peur des réactions de la gauche. 

Le grand paradoxe est que les idées de droite sont beaucoup plus importantes dans la société française, alors que l'idéologie de gauche (minoritaire au niveau de la population) a cette capacité à coloniser et à imposer sa vision dans l’espace politique, médiatique et auprès des élites.

Est-ce la négation de l'individu et de la culture libérale qui est pourtant au fondement de la civilisation occidentale ? 

Fabrice d’Andréa : Oui ce wokisme est entré en guerre contre la culture libérale et l’héritage des Lumières. Il tente d’imposer une vision totalement manichéenne du monde, basée sur une opposition entre dominants et dominés qui se différencieraient par leur couleur de peau, dans laquelle les blancs auraient mis en place un système structurellement raciste opprimant l’ensemble des autres minorités ethniques. Ces dernières se retrouvent enfermées à vie dans le statut de victimes par cette idéologie. Et gare aux individus qui ne rentreraient pas dans ce schéma de pensée ! Ils sont forcément vus comme suspects. S’ils connaissent une ascension sociale et rejoignent les élites, cela signifie pour les woke qu’ils ont nécessairement trahi leur origines et qu’ils sont devenus des serviteurs zélés des blancs voire qu’ils ont assimilé leur pensée raciste.  En prétendant lutter contre les discriminations, le wokisme aboutit finalement au résultat inverse de celui recherché : il incite paradoxalement les personnes issues des minorités ethniques à rester enfermées dans le statut de victime, conforme à l’idée qu’il se fait des rapports de domination. Et il retire tout droit aux individus de s’émanciper, en niant la possibilité de refuser toute forme d’assignation à un clan et aux idées que ce dernier prétend leur imposer, quand bien même ce serait au nom de la justice sociale.

Assiste-t-on à une nouvelle dérive de la pensée et de l’idéologie de l’extrême gauche ? Le fait d’assigner ces députées à leur origines, à travers une lecture racialiste, identitaire, discriminante, n’est-ce pas une forme de racisme ?

Naïma M’Faddel : Je considère effectivement que cela s’apparente à une forme de racisme. Les forces de gauche ne veulent pas se l'avouer, mais c'est bien du racisme. À partir du moment où vous stigmatisez, où vous montrez du doigt l'autre, où vous procédez à une assignation identitaire et où vous considérez qu’un individu n’est pas votre semblable, cela correspond à du racisme. L’extrême gauche discrimine et essentialise. 

Ces critiques et ces campagnes de harcèlement sont-elles l’illustration de la dérive de la gauche et d’une certaine panique morale relative à la loi immigration  ?

Naïma M’Faddel : Cette panique était déjà présente dès l’origine. La gauche a toujours fait une OPA sur la population issue de l’immigration. La droite a eu du mal à réagir et ne s’est pas emparée de ces enjeux. Or dès les années Mitterrand la gauche a enrôlé les immigrés dans des partis et des mouvements politiques, tout en leur demandant bien de rester à leur place. 

Aujourd'hui, aux yeux de la gauche, les personnes issus de l'immigration devaient être forcément de gauche. Or c’est de moins en moins vrai. Beaucoup sont investis dans les sujets qui secouent notre pays. En tant que citoyens libres, ils choisissent des partis politiques en fonction de leur engagement, de ce qu'ils ont envie de défendre. Pour la gauche, cela est insupportable.

C'est pour cela que l’idéologie de gauche, le progressisme et le décolonialisme sont si virulents et aboutissent à ces cas extrêmes comme le cyberharcèlement et à des menaces envers des députés suite à leur vote en faveur de la loi immigration. 

Ces critiques, le fait de réduire ces députées à leurs origines pour les stigmatiser dans leur vote, sont-elles le nouvel avatar de la stratégie de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise ? Est-ce que cela ne s'apparente pas à une forme d'extrémisme ? 

Naïma M’Faddel : Les personnes issues de l’immigration qu’elles soient élus ou publiques qui interviennent sur les médias, les réseaux sociaux peuvent être considérés comme des porte-voix des silencieux. L’OPA de LFI et de Jean-Luc Mélenchon dans les banlieues est menée à des fins électoralistes. Le vote dans les quartiers populaires pour Jean-Luc Mélenchon ou pour la gauche représente en réalité une minorité au regard du taux d’abstention abyssal. L’abstention dans certaines villes de banlieue ou certains quartiers, en périphérie des grandes villes, atteint parfois plus de 80 %.

Si le taux de participation était plus élevé, il n’est pas certain que les électeurs voteraient tous en faveur de LFI et de Jean-Luc Mélenchon. Mais il est vrai qu’on voit peu les autres partis dans les quartiers.

Les députées Estelle Youssouffa, Naima Moutchou et Huguette Tiegna démontrent aux personnes issues de l’immigration qu’elles ont le droit d’avoir leur libre arbitre et de penser différemment que l’opinion dominante à gauche. D’ailleurs, elles rejoignent beaucoup d’habitants dans les quartiers populaires qui souhaitent que l'Etat régule l’immigration non maîtrisée. La loi immigration va impacter la vie de tous. Les problèmes de délinquance, d'agressions multiples par des personnes clandestines ou sous OQTF ont un effet négatif et créent des amalgames vis-à-vis des Français d’origine étrangère.
Il y a eu beaucoup de manipulations sur le projet de loi immigration de la part de la gauche. Beaucoup ont poussé des cris d’orfraie et font semblant de ne pas comprendre le texte de loi. Par exemple la déchéance de la nationalité : Elle ne concerne que ceux ayant commis un crime contre un policier.  Ce n’est pas la moindre des choses ?

Le droit du sol, il est juste demandé à un jeune né en France d’affirmer entre 16 et 18 ans son envie d’être français. En quoi est-ce choquant ? On peut même supposer une cérémonie lors de ce moment d’appartenance à la nation qui à l'âge de l’adolescence peut être très fort.

Quant à la lecture qui est faite d’une « préférence nationale », la loi ne distingue pas un français d’un étranger mais conditionne à des années de résidence en France. Et c’est déjà le cas pour le RSA. Et concernant les étudiants. La loi demande une caution aux étudiants qui d'après Mme Borne sera entre 10 et 20€ !? Alors que l'Allemagne qui attire 368000 étudiants par an, demande une caution de 11000€ ! J’avoue mon étonnement face à la panique du gouvernement qui semble se laisser emporter dans cette manipulation.

 Le projet de loi immigration est en réalité beaucoup plus light que la législation de plusieurs pays européens comme l' Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre et le Danemark.

Il faut rappeler que dans ces pays le droit du sol n’existe pas.

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