Les fonctionnaires français ont-ils vraiment les compétences nécessaires pour choisir les projets méritant les centaines de millions des plans innovation et autres plans robotique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron présente le plan d'investissement "France 2030" à l'Elysée, le 12 octobre 2021.
Le président Emmanuel Macron présente le plan d'investissement "France 2030" à l'Elysée, le 12 octobre 2021.
©LUDOVIC MARIN / PISCINE / AFP

Innovation

Lors de la présentation du plan France 2030, Emmanuel Macron a annoncé un budget de 800 millions d'euros pour la robotique et de 5 milliards d'euros pour les start-ups industrielles. Les fonctionnaires qui vont être en charge de ces investissements ont-ils l’expertise suffisante pour savoir où investir ? Qui a actuellement la charge de ces missions ? Les investissements de ces dernières années ont-ils été efficaces ?

Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Atlantico : Dans le cadre du plan France 2030, Emmanuel Macron a notamment annoncé 800 millions d'euros pour la robotique et 5 milliards d'euros pour faire émerger des start-ups industrielles. Les fonctionnaires qui vont avoir la charge d’investir cet argent ont-ils l’expertise suffisante pour savoir où investir ?

Sébastien Laye : Lors de la présentation du premier plan de relance, j'avais été éminemment critique car ces plans ne me paraissaient qu'imparfaitement dissimuler de simples dépenses étatiques, dans la formation ou la santé, qui avaient leur place au budget général; j'avais exprimé ma préférence pour un vrai plan d'investissements en infrastructures (toujours inexistant) et un effort en matière de technologie et de science. France 2030 vient combler cette dernière lacune et je m'en réjouis. Depuis la suppression du Commissariat au plan par Chirac, c'est probablement, en quinze ans, le seul vrai effort de réflexion sur les domaines technologiques que la France doit privilégier. Et les priorités sont les bonnes car elles font consensus: IA, hydrogène,etc..... Le doute est cependant permis au niveau de l'exécution. Notons en premier lieu que les crédits sont répartis sur cinq ou six ans, et que donc l'effort annuel sera de....0,2% du PIB. Surtout, l'Etat n'a jamais démontré sa capacité à directement investir dans ces secteurs de haute technologie et encore moins récemment, à faire de la recherche appliquée lui meme par exemple via le CNRS. 

Qui a actuellement la charge de ces sujets ? Comment sont-ils choisis ? Quel est leur bilan ? Ces dernières années, les investissements français en matière de technologie de pointe et de startups ont-ils été des choix gagnants ?

Les administrations de l'Etat, Bercy,  n'ont pas véritablement d'équipes dédiées ayant l'expérience du monde de l'investissement, encore moins de la technologie. C'est plutot la BPI qui s'est arrogée cette prérogative au cours des dernières années; après la période des reves de grandeur et quelques échecs, la BPI s'est intelligemment positionnée sur le financement du secteur du capital risque. Elle abonde des fonds en technologie, les accompagne lors de tours de table de start up. Ce modèle a bien marché pour des start ups dans des domaines assez appliqués, proches du consommateur. France 2030 n'est pas exactement sur le meme créneau: il s'agit de favoriser des technologies de rupture, dans la deep tech, l'intelligence artificielle ou la transition énergétique, pour créer les leaders de la prochaine génération et éviter le décrochage scientifique du pays. La BPI ne peut donc pas, à mon avis, gérer la totalité de ces investissements, qui sont trop éloignés de son champs de compétence. Mais elle aura certainement un role à jouer, au moins dans un premier temps, car en termes de ressources humaines, c'est là que se trouvent les seules équipes qualifiées. Pour valoriser ces crédits et la recherche existante (y compris la recherche du CNRS), la France devrait s'inspirer de la DARPA américaine et créer son équivalent: non pas une nouvelle administration pléthorique, mais une structure souple, une dizaine de personnes avec une vraie vue sur ces technologies. Ensuite notre DARPA à la francaise, selon les sujets, pourrait initier la création de sociétés issues de nos laboratoires publics (pour les sujets les plus amonts), investir dans des fonds de capital risque thématiques (du secteur privé) et accompagner ces derniers lors de tours de table. Il s'agit d'animer le secteur de la haute technologie et d'assumer la partie la plus risquée de l'investissement technologique souvent non couverte par le capital risque.

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On ne peut pas comparer l'Etat a un investisseur privé standard. Ses objectifs ne sont pas les memes. A trop vouloir émuler les fonds de capital risque eux-memes, des institutions comme la BPI ont fini par passer à coté de technologies de rupture. Surtout qu'en France, avec une épargne moins abondante, l'absence de retraites par capitalisation significatives, les fonds peuvent plus difficilement se tourner vers des profils de start up disruptives et s'attaquant à des problèmes sur plusieurs décennies. On fait du BlaBlacar, pas du Space X. Or Space X aux USA est né grace à la NASA et à l'Etat américain, alors qu'ici cette société n'aurait eu aucun interlocuteur coté Etat francais. Je le répète, ce n'est pas qu'une histoire d'argent: créons cet interlocuteur avec notre équivalent de la DARPA; pas besoin d'armée mexicaine pour celà, il suffit d'une poignée de visionnaires. Ils existent dans la sociéte civile: regardez l'excellent travail récent de Gilles Babinet pour l'Institut Montaigne, les ouvrages de Denis Jacquet......

Quelles peuvent être les solutions pour que l’investissement d’Etat ne soit pas vain ? 

Il n'est de richesse que d'hommes, disait Jean Bodin. Le facteur humain ici sera essentiel. Mis entre les mains de personnes non idoines ( comme l'actuel Commissaire au plan, Francois Bayrou, qui n'a aucune expérience en la matière), ce capital financier sera inutile. Il doit servir avant tout de multiplicateur d'investissement au secteur privé, et secondairement pour la valorisation de la recherche publique théorique avancée, qui doit mener à de l'innovation. On ne peut non plus éluder la question de l'épargne privée , abondante mais non investie dans notre économie réelle: ce qui me stupéfait dans tous les plans de relance de Macron et Lemaire, c'est que le secteur privé y est rarement associé, comme si l'Etat devait empiler dette sur dette pour cannibaliser l'initiative privée. 

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