Les femmes travailleraient gratuitement à compter du 6 novembre ? Debunkage d’un mythe colporté par Elisabeth Borne elle-même<!-- --> | Atlantico.fr
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Les femmes travaillent toujours en moyenne moins d’heures que les hommes et souvent dans des métiers moins rémunérateurs
Les femmes travaillent toujours en moyenne moins d’heures que les hommes et souvent dans des métiers moins rémunérateurs
©Francois GUILLOT / AFP

Inégalités

Chaque année, la newsletter féministe Les Glorieuses présente cette date comme celle à partir de laquelle les femmes travailleraient "gratuitement" en France. La réalité est pourtant plus complexe.

Alexandra Roulet

Alexandra Roulet

Alexandra Roulet est professeure d'économie à l'INSEAD. Elle est rattachée à la chaire dans le cadre notamment d'un projet sur la mobilité sociale en France. Ancienne élève de l'École normale supérieure, elle a ensuite réalisé son doctorat d'économie à l'université d'Harvard.

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Atlantico : Elisabeth Borne a-t-elle raison quand elle affirme que les femmes travaillent gratuitement depuis ce lundi 11h25 et jusqu'à la fin de l'année ? Si l'on compare des femmes et des hommes exerçant le même métier et ayant la même expérience, quelle différence de salaire entre les deux ? Quel résultat obtient-on ? 

Alexandra Roulet : Cette image des femmes travaillant gratuitement à partir d’une certaine date de l’année peut être utile à faire comprendre la réalité des inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Les pourcentages et les chiffres ne parlent pas forcément à tout le monde et ce genre de formule est plus marquant et donc plus efficace.

La question devient alors : est-ce que c’est bien le 6 novembre à 11h25 ? et je dois vous répondre en normande, ou en économiste : oui et non.

Ca n’est pas faux mais on pourrait aussi dire le 1er octobre ou le 15 décembre.

Pourquoi le 1er octobre ? Parce que le salaire annuel des femmes est environ 24% inférieur à celui des hommes. 24% d’une année ça fait 3 mois, donc on pourrait dire qu’à partir du 1er octobre les femmes travaillent gratuitement.

Pourquoi le 15 décembre ? Parce que si l’on compare des hommes et des femmes parfaitement similaires (même éducation, même expérience, etc) exerçant le même métier dans le même type d’entreprises dans le même secteur et travaillant le même nombre d’heures, l’écart de salaire est de 4%. Autrement dit 15 jours par an selon la logique de cet exercice.

Ces deux chiffres montrent bien qu’aujourd’hui, le problème principal n’est plus: à travail égal, salaire inégal.  En revanche les femmes travaillent toujours en moyenne moins d’heures que les hommes et souvent dans des métiers moins rémunérateurs. C’est pour cela que les écarts bruts de revenus annuels sont bien plus importants.

Pour moi il faut garder les deux chiffres en tête.

La première ministre s'appuie sur la newsletter féministe Les Glorieuses qui compare les revenus horaires bruts, tous secteurs confondus, dans les entreprises de plus de 10 salariés. Le calcul est imparfait ? Expliquez-nous. Est-ce qu'il y a des paramètres qui ne sont pas pris en compte ?

Les revenus horaires, cela veut dire qu’on neutralise les différences de temps de travail. C’est pour cela que cette approche nous place au 6 novembre et pas au 1er octobre. Et les entreprises de plus de 10 salariés cela induit aussi sûrement un biais.

Mais tous ces chiffres ne sont ni parfaits ni imparfaits, ils correspondent juste chacun à un exercice de pensée différent. Certains diront que cela a plus de sens de comparer des hommes et des femmes à temps plein ou qui travaillent le même nombre d’heures : dans ce cas le salaire horaire est la bonne mesure. D’autres diront qu’au contraire le temps partiel subi pour les femmes est un gros sujet et qu’il ne faut donc pas corriger les revenus salariaux du nombre d’heures travaillées car cela vient gommer toute la partie des inégalités due aux différences de temps de travail.

Vous avez fait des recherches sur les différences salariales entre hommes et femmes. Différences qui résultent parfois de choix de vie très simples. Qu'avez-vous observé ? 

J’ai plusieurs travaux de recherche sur le sujet mais je vais vous en mentionner un. Je vous disais tout à l’heure qu’à travail égal, les femmes sont payées 4% de moins que les hommes. Est-ce de la discrimination ? Pas forcément ou pas exclusivement. Il s’avère que les femmes valorisent davantage que les hommes d’autres aspects que le salaire : la flexibilité des horaires mais aussi la distance entre le lieu de travail et leur domicile. Ainsi, entre deux offres d’emplois identiques, l’une mieux payée mais plus éloignée et l’autre moins bien payée mais plus proche, les hommes et les femmes ne font en moyenne pas les mêmes choix. Les femmes sont davantage prêtes à renoncer à du salaire pour avoir un temps de trajet plus court. La question à 1000 francs est alors : est-ce vraiment un choix (des préférences différentes selon le genre) ou est-ce contraint (par exemple par davantage de tâches domestiques à effectuer ou des enfants à aller chercher etc) ? Notre travail ne permet pas parfaitement de répondre à cette question mais il quantifie l’importance de ce genre d’arbitrage entre salaire et temps de trajet : cela explique environ 15% des inégalités de salaire à travail égal.

Le gouvernement agit-il sur les bons leviers pour réduire les inégalités de salaire entre les hommes et les femmes ?

Aujourd’hui les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes sont bien documentées et relativement bien comprises mais cela ne nous donne pas pour autant facilement les solutions, notamment en termes de politique publique, pour les réduire. Les inégalités de salaire sont en grande partie le reflet d’une division genrée des tâches au sein du couple. Or l’équité au sein du couple ne se décrète pas à coup de politiques publiques, elle dépend en grande partie des normes sociales, qui évoluent, mais sur le temps long. Ainsi je considère que les politiques publiques sur la parité, les quotas, sur la transparence des données sur les écarts de salaires vont dans le bon sens et sont nécessaires, y compris pour changer les normes, mais ne suffiront pas à parfaitement faire disparaître les inégalités salariales entre les hommes et les femmes.

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