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Les entreprises utilisent beaucoup moins le CICE que prévu : la dure vérité des chiffres sur un dispositif mal conçu
Les entreprises utilisent beaucoup moins le CICE que prévu : la dure vérité des chiffres sur un dispositif mal conçu
©Reuters

Effet d'optique

Entré en vigueur en début d'année, le CICE présente des premiers résultats bien en-dessous des estimations du gouvernement : seulement 8,1 milliards d'euros de Cice déclarés par les entreprises pour un coût de 4,5 milliards d'euros, contre 9,8 milliards initialement prévus. Réticence des entreprises, insuffisance de la promotion de cet outil fiscal par les experts-comptables auprès des entreprises, etc. Autant de raisons avancées expliquant ces faibles résultats.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Malgré les effets d’annonce du gouvernement sur les 20 milliards d’euros apportés aux entreprises, celles-ci ont déclaré 8,1 milliards d'euros de CICE (Crédit d'impôt compétitivité emploi), mais le coût pour les finances publiques en 2014 ne s'élève qu'à 4,5 milliards, contre 9,8 milliards prévus. Comment expliquer cette sous-utilisation et la réticence des entreprises vis-à-vis de ce mécanisme fiscal ? 

Gilles Saint-Paul :Les entreprises comprennent mal ce mécanisme et craignent de souffrir de ses conditions d'utilisation. Par exemple, le fait de ne pas pouvoir utiliser le CICE pour distribuer des dividendes aux actionnaires est un non-sens économique, même s'il semble que cette limite soit largement cosmétique. Les incertitudes quant aux conditions d'application du CICE, ainsi que le décalage dans le temps entre l'embauche et le versement du CICE, expliquent les réticences des entreprises. Ce qui est plus grave, c'est que ces aspects risquent de réduire considérablement l'effet du CICE sur la création d'emploi, de sorte qu'il est à craindre que l'usage du CICE ne s'explique essentiellement par des effets d'aubaine, c'est-à-dire que l'entreprise fait valoir son droit au CICE pour une embauche qu'elle aurait réalisée de toute façon. 

L'introduction du CICE visait à freiner la hausse continue des coûts de la main-d’œuvre et à augmenter les marges des entreprises. Ces objectifs ont-ils été remplis ?

Ils le seront si ces réductions sont durables, ainsi que les réductions supplémentaires consenties dans le cadre du pacte de responsabilité. Ce type de mesures ne porte ses fruits que dans la mesure où leur pérennité est établie, ce qui n'est hélas pas le cas pour la très vaste majorité des mesures d'aide à l'emploi mises en œuvre depuis 30 ans. De plus,  il est crucial que les économies prévues soient effectivement réalisées, sans quoi le gouvernement sera contraint de redonner un tour de vis fiscal pour endiguer la montée des déficits. Enfin, il faut se méfier des dérives opportunistes qui permettent aux partenaires sociaux de s'accorder des avantages supplémentaires (comme la complémentaire santé obligatoire) en les faisant financer par le CICE, ce qui annule partiellement la réduction du coût du travail qu'il est censé permettre, ainsi donc que les embauches correspondantes. 

Certains critiquent une mesure mal adaptée car elle ne distingue pas les secteurs d'activité ou encore les tailles d'entreprises, et a tendance à favoriser les grands groupes mondialisés, au détriment des PME beaucoup moins compétitives. Le ciblage a-t-il été trop étroit ?

Ce qui compte c'est le ciblage en termes de catégories de travailleurs. Les PME sont pénalisées dans la mesure où il est plus difficile pour elles d'accéder aux marchés mondiaux (et donc de profiter de la croissance mondiale supérieure à celle de la France ou de la zone Euro), ainsi que de délocaliser leur chaîne de valeur. Mais ces difficultés sont inhérentes à leur petite taille, elles ne constituent pas en soi une distorsion économique. D'un autre côté, les PME sont en deçà de certains seuils sociaux, ce qui leur confère un avantage-coût relativement aux grandes entreprises. Mais ces mêmes seuils les empêchent de croître ; le lissage de ces seuils serait le meilleur service à leur rendre.
En ce qui concerne les catégories de travailleurs ciblées, d'aucuns on fait observer que le fait que seuls les travailleurs gagnant moins de 2,5 fois le SMIC soient concernés réduit l'intérêt du CICE en tant qu'instrument de relance des exportations. En effet, les entreprises exportatrices embauchent une proportion élevée de travailleurs qualifiés non-éligibles au CICE. Cette critique a le mérite de poser un problème important: à force de réduire les charges sur les moins qualifiés et de les reporter furtivement vers les qualifiés, le coût de ces derniers devient de plus en plus prohibitif. Cela a des conséquences néfastes sur la productivité, la croissance, les exportations, et l'exode des cerveaux. Mais cette question n'est que marginalement liée au problème de compétitivité-export de la France. Elle concerne toutes les entreprises. Tant que l'on ne réduit pas les dépenses publiques, toute réduction d'impôts ciblée sur une catégorie se fait au détriment des autres catégories. Comme l'objectif de ces mesures est de réduire les chiffres du chômage qui sont plus importants pour les non-qualifiés, ces mesures sont naturellement ciblées sur cette catégorie de travailleurs. Si l'on veut éviter les effets pervers qui concernent les qualifiés, il faut réduire le poids de l'Etat et diminuer la fiscalité pour tout le monde. 

Nombre de dirigeants estiment par ailleurs que ce mécanisme a surtout servi à pallier les difficultés de leurs PME. Partagez-vous cette analyse ? A-t-on observé, comme redoutés, des abus, des effets pervers et des effets d’aubaine ? 

Comme je l'ai expliqué plus haut, ces effets d'aubaine doivent être assez importants, compte-tenu des vices dans la conception de cette mesure. Il est cependant exact que le simple apport constitue une bouffée d'oxygène pour des entreprises qui devraient fermer boutique en l'absence de cette manne. Par ce mécanisme, certains emplois sont préservés. Reste à savoir s'il ne valait pas mieux qu'ils soient détruits pour que les employés correspondants se reconvertissent dans des activités plus rentables.

Le gouvernement tablait à l'époque sur 300 000 embauches d'ici à 2018 pour un demi-point de croissance supplémentaire. Quels sont les premiers impacts sur l’emploi et la croissance ? 

Cette estimation est raisonnable mais elle n'est valable que si les entreprises considèrent effectivement cette réduction du coût du travail comme durable. Dans la situation actuelle, les entreprises restent prudentes et ce sont surtout les effets d'aubaine qui jouent. L'effet sur la création d'emploi est donc sans doute beaucoup plus faible. On atteindrait les 300 000 emplois supplémentaires dans 5 ans si le coût du travail était effectivement réduit durablement d'environ 2 à 3 %. Ici nous butons sur la difficulté que le temps après lequel les réformes structurelles font sentir leurs effets est sensiblement plus long que l'horizon électoral des décideurs politiques. 

Le problème du CICE n’est-il pas qu’il s’agit avant tout d’un outil conjoncturel utile pour donner des marges de manœuvre à court terme aux entreprises, au lieu d’être une solution structurelle pour restaurer la compétitivité du coût du travail sur le long terme ?

Non, la philosophie de base est structurelle, au sens où il s'agit d'une politique de l'offre visant à alléger la fiscalité sur le travail afin de réduire le taux de chômage d'équilibre. Ce genre de mesure s'inscrit dans la tradition de prescriptions "néo-libérales" du type OCDE, qui cherche à accroître la compétitivité et l'emploi en relâchant les contraintes économiques et fiscales. Disons que dans le cas français, on pourrait plutôt qualifier ces mesures de "social-libérales", puisque leur mise en œuvre témoigne d'un refus de réduire le pouvoir d'achat des plus modestes, quelles que soient les circonstances. Les politiques de l'offre se traduisent donc généralement par un surcroît de redistribution au profit des travailleurs les moins bien payés et au détriment des travailleurs les mieux payés. C'est le cas pour les mesures de réduction de charges; c'est aussi le cas pour les mesures incitatives du côté de l'offre de travail, comme le RSA activité et les diverses formes de ristournes qui l'ont précédé. Quoi qu'il en soit, elles ne peuvent porter leurs fruits que si elles sont crédibles et cohérentes. Crédibles, cela veut dire ne pas revenir sur elles au bout de deux ans pour des raisons électoralistes. Cohérentes, cela veut dire ne pas se mettre dans une situation budgétaire insoutenable qui forcerait les autorités, nolens volens, à démanteler les politiques en question. 
Par exemple, il est certain que la défiscalisation des heures supplémentaires du gouvernement précédent était fragile, parce qu'elle représentait un manque à gagner substantiel pour l'Etat, dans un contexte où la dette publique augmentait vertigineusement. Il y a une bonne part d'idéologie dans leur suppression par le gouvernement actuel, mais pas seulement : il y avait urgence à rétablir les finances publiques et revenir sur ces mesures permettait de récupérer rapidement plusieurs milliards d'euros. On a là l'exemple d'une mesure à fort taux de mortalité parce qu'elle ne s'inscrit pas dans une politique d'ensemble cohérente. Et plus les entreprises s'attendent à ce qu'une mesure disparaisse rapidement, moins elle aura les effets escomptés sur leur comportement. 

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