Les discours sur l’identité française n’impressionnent personne tant qu’ils ne sont pas accompagnés d’un récit sur l’histoire économique <!-- --> | Atlantico.fr
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Raphaël Glucksmann entend la montée du protectionnisme qui sert à Marine Le Pen à bâtir un discours offrant une sécurité nouvelle dans le repli sur soi. Il considère que ce discours prend dans l'opinion parce qu'on a oublié notre histoire, notre ADN.
Raphaël Glucksmann entend la montée du protectionnisme qui sert à Marine Le Pen à bâtir un discours offrant une sécurité nouvelle dans le repli sur soi. Il considère que ce discours prend dans l'opinion parce qu'on a oublié notre histoire, notre ADN.
©FRANCK PENNANT / AFP

Atlantico Business

L’obsession identitaire des candidats à la présidentielle est contre-productive. Les Français auraient besoin d’appartenir à un pays qui n’est pas seulement puissant par son histoire et sa culture, mais aussi par son dynamisme économique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les hommes politiques n'ont jamais été aussi obsédés par le besoin de servir un discours identitaire qui alimente d'ailleurs le discours sécuritaire. La droite française mais aussi une partie de la gauche sont convaincues que cela répond à une demande de la majorité des Français. Les intellectuels se bousculent au rayon des librairies, ou sur les plateaux télé, pour expliquer la nécessité de formuler le récit historique et culturel de la France.

A cet égard, le dernier livre de Raphaël Glucksmann, qui se dit chef de file de la génération perdue, est remarquable. Il résume tout le débat actuel, son ampleur et ses erreurs. 

"Depuis des siècles, écrit-il, notre France est humaniste, cosmopolite, ouverte sur les autres, le monde et l'avenir. Elle n'a jamais été ce pays clos, cette société monochrome et cette identité univoque que les réactionnaires prétendent ressusciter. Profitant du silence et de l'indolence des héritiers supposés de Voltaire et Hugo, les rejetons de Maurras et Barrès ont kidnappé notre histoire. Devenus maîtres du passé, ils contrôlent le présent et oblitèrent l'avenir. Face à la tentation du repli qui submerge notre nation, il est temps de reprendre le récit français des mains de ceux qui l'avilissent. Temps de réapprendre à dire et à aimer ce que nous sommes. De retourner aux sources de notre France pour la faire vivre à nouveau."

Très bien ! C'est fantastique d'écrire cela, c'est intelligent. Parce que Glucksmann et d'autres pensent avoir trouvé le remède miracle pour faire reculer le Front national dans ce pays.

En gros, il entend la montée du protectionnisme, du populisme qui sert à Marine Le Pen et à beaucoup d'autres à bâtir un discours offrant une sécurité nouvelle dans le repli sur soi. Mais il considère que si ce discours prend aussi bien dans l'opinion, c'est parce qu'on a oublié notre histoire, notre culture, notre ADN. D'où la nécessité de rappeler que nous descendons des Gaulois, que le voile ou la burqa ne nous correspondent pas etc.

Si seulement il suffisait de s'imprégner de cette culture nationale pour retrouver du courage, de la puissance et de la gloire comme disait André Maurois, nous n'aurions aucun problème. Personne n'en aurait dans le monde. 

Mais le problème n'est pas là, comme disent les gens de bons sens, et c'est le publicitaire Philippe Lentschener qui l'explique dans un livre qui sort aujourd'hui et consacré à la marque France, "le problème est de savoir si, par exemple, le fait que je descende des Gaulois va m'aider à me lever le matin pour aller au boulot.  La réponse est non. Je préférerais savoir si mon entreprise va croître".

Absolument non. En bref, la majorité des Français s'en moque.

Les discours sont spectaculaires, les explications de M. Glucksmann sont intéressantes, mais "tout cela ne m'aidera pas à vivre et à faire vivre ma famille. Ce n'est pas parce que je sais que la France a un passé, que j'ai l'assurance qu'elle aura un avenir". 

La vérité, c'est que l'indépendance, la puissance, la visibilité d'un pays, ou d'une nation dépendent de deux histoires, qu'il faut maîtriser et assumer parallèlement.

Une histoire culturelle, historique, une histoire des valeurs qui l'ont fondée comme la tolérance, la liberté, la fraternité...

Mais aussi, une histoire de son économie, de ce qu'elle sait faire fondamentalement, pourquoi et comment. 

La France et les dirigeants politiques français ne savent pas raconter l'histoire de l'économie française. Ils font le récit de son histoire politique, militaire philosophique, sociale. Mais ils sont incapables de faire le récit de son économie, de ses découvertes, de ses inventions, de ses industries. Ce qui fait, qu'au bout du compte, la France donne le sentiment de ne pas aimer ses entreprises, de ne pas savoir qui crée de la richesse - ni comment elle est créée -, de l'activité, qui crée des emplois et au final, la France ne fait pas la pédagogie des sources du pouvoir, de l'argent, et de l'influence.

L'Allemagne a eu du mal à assumer son histoire récente mais elle a su plonger dans son histoire plus ancienne, sa culture, ses artistes du 18e et du 19e siècle pour structurer son équilibre. Mais l'Allemagne a aussi une histoire économique très forte appuyée sur la qualité industrielle, la rigueur du produit et du service. L'Allemagne est un pays d'ingénieurs et d'organisateurs, ce sont les moteurs de son dynamisme.

La Suisse a aussi ses deux histoires, une histoire politique et une histoire économique. Son récit économique se résume à l'exploitation systématique de la précision. Ce talent est reconnu dans le monde entier.

Le Luxembourg a une marque de fabrique. Avec d'un côté une monarchie d'opérette que l'on finit par prendre au sérieux, et de l'autre une expertise financière et une fiscalité light qui lui vaut une clientèle mondiale ; laquelle sécurise son avenir et assure sa prospérité. Dans ce type de modèle, le Luxembourgeois de base est plus serein dans sa vie quotidienne que le Français moyen. 

La Grande-Bretagne offre un exemple de mariage très réussi entre son récit historique et son récit économique.

La Grande-Bretagne est le pays de la liberté individuelle avec une histoire politique, littéraire, et culturelle parmi les plus riches, mais aussi une histoire de son économie, de son commerce, de ses banques qui est présente et très solide. C'est pour et dans le monde entier, sa marque de fabrique.

La France dans tout cela a d'une part un magnifique patrimoine historique et culturel et, d'autre part, un appareil économique plutôt déballé. La France a une vraie force avec les industries du luxe qui sont le pur produit du frottement entre l'histoire de France et le génie créatif des Français. La France a gardé quelques vestiges industriels de l'époque Louis XIV et de l'après-guerre avec des grandes entreprises fortement aidées par l'Etat à un moment de leur histoire.

Mais cet appareil économique n'est pas capable d'assurer la conquête des marchés étrangers, il n'est surtout pas capable d'offrir les emplois, les activités, et la puissance que le pays mériterait. 

Raphaël Glucksmann a raison : le château de Versailles est un monument exceptionnel qui fait l'admiration du monde entier, Voltaire, Diderot et Victor Hugo ont été des écrivains immenses pour l'ensemble de la planète... Mais, cette identité-là ne suffit pas enrayer la montée du chômage et de la misère dans ce pays où les inégalités sont aujourd'hui plus importantes qu'elles ne l'étaient au 17e siècle avant la révolution française et même au Moyen Age.  

Les candidats à la présidentielle sont peu nombreux à intégrer dans leur programme, un projet économique qui ne se limite pas à un projet d'ajustement.

François Fillon a fait cet effort, Nathalie Kosciusko-Morizet se sent concernée par la nécessite de gérer la mutation historique qui est devant nous... mais les autres en revanche se contentent d'une trousse à outils très traditionnels qui datent du 19e siècle. 

A gauche, c'est aussi très traditionnel. On use et on abuse de Keynes, mais le projet de société économique tel qu'il se prépare intéresse peu les candidats à l'exception de deux d'entre eux. Emmanuel Macron, qui a fait de la mutation économique et de la nécessité de trouver des relais de croissance, le cœur de son projet. Et Arnaud Montebourg, qui réussit à compenser un discours critique très traditionnel avec une volonté d'offrir une réponse courageuse à la mondialisation et à la révolution digitale. 

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