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Zelensky, président ukrainien.
Zelensky, président ukrainien.
©Genya SAVILOV / AFP

Voeux 2024

Les voeux de 2024 traduisent des inquiétudes particulièrement fortes dans les démocraties, désormais minoritaires en nombre et en population.

Gérard Mermet

Gérard Mermet

Gérard Mermet est sociologue, directeur du cabinet d’études et de conseil Francoscopie. Dernier ouvrage paru : Francoscopie 2030 (Nous, aujourd’hui et demain), Larousse, 2018.

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Les vœux que nous recevons (et formulons) en début de chaque nouvelle année se suivent et se ressemblent. Bien que généreux et sincères, ils restent le plus souvent « pieux » (même dans une société laïque !) et ne se réalisent pas. Ceux de 2024 traduisent des inquiétudes particulièrement fortes dans les démocraties, désormais minoritaires en nombre et en population. Les incertitudes sont en effet nombreuses :

. Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient. Jusqu’à quand ? Avec quelles armes (le tabou ultime du nucléaire sera-t-il levé ?). Avec quelles conséquences pour les protagonistes et pour un Occident de plus en plus menacé ? D'autres affrontements sont en cours ailleurs : Syrie, Yémen, Éthiopie, Afghanistan, Haïti, Somalie, Soudan, Myanmar... Qu’adviendra-t-il de chacun d’eux ?

. Des élections à fort enjeu pour les populations concernées, mais aussi parfois pour le reste du monde. Ce sera le cas en particulier aux États-Unis (novembre), en Russie (avril) et au sein de l’Union européenne (en juin pour les 27 pays-membres) et, individuellement en Autriche, en Finlande, en Lituanie, au Portugal et au Royaume-Uni. Mais d’autres élections auront lieu. Par ordre alphabétique : Bélarus, Croatie, Inde, Indonésie, Iran, Taïwan. Si elles ne sont pas des simulacres, les résultats de certaines pourraient surprendre, comme ce fut le cas de celle de Taïwan (sans pour autant rassurer sur leurs conséquences).

. Les catastrophes climatiques probables : inondations, séismes, raz de marée, incendies, canicules, etc. Elles fourniront des images spectaculaires aux journaux télévisés et à internet. Les spectateurs compatiront pour les victimes et craindront d'être touchés à leur tour. Et cela alimentera le pessimisme ambiant.

. Les fractures sociales (nombreuses dans les démocraties comme la nôtre) : sentiment de déclin ; peur du déclassement ; défiance généralisée ; affaissement des liens sociaux ; faillite du modèle républicain ; polarisation des opinions ; légitimation de la violence...

. L’impact des nouvelles technologies (intelligence artificielle, robots, neurotechs, biotechs…) sur les modes de vie. Les craintes qu’elles font naître occulteront sans doute encore les opportunités qu’elles recèlent. Elles réduiront ainsi la capacité à les développer et à les utiliser pour le bien commun.

. Les attitudes des populations face à l’avenir. Ainsi, les Français vont-ils confirmer leur préférence pour le confort et le court terme ou consentir à l’effort (individuel et collectif) nécessaire pour relever les grands défis actuels. 

. L’évolution des idéologies délétères : populisme, communautarisme, négationnisme, séparatisme, obscurantisme, racisme, antisémitisme, wokisme… L’irrationalité et l’immoralité vont-elles se généraliser en matière économique, environnementale, sociale, politique ou culturelle ? 

. L’accroissement du nombre de régimes « illibéraux » et la prolifération des « vérités alternatives », deux néologismes inventés pour remplacer « dictatures » et « mensonges ».

. Les risques d'actes terroristes, qui entretiennent la panique et la paranoïa dans les sociétés fragiles. Ils se produiront à la fois dans le monde réel et le monde virtuel, désormais indissociables dans nos vies. Les J.O. de Paris constituent évidemment une cible privilégiée.

. La diversification des « incivilités » et de la « décivilisation », et l’abandon de la morale » dont elles témoignent.

Cette liste n’est pas exhaustive. Je pourrais y ajouter encore d’autres risques et « cygnes noirs » probables ou possibles, mais imprévisibles quant à leur date d'occurrence. Des menaces d’autant plus grandes qu’elles sont intercorrélées. Heureusement, les cygnes noirs sont beaucoup moins nombreux que les blancs. D’autres « signes » (l’homonymie est intéressante…) permettent aussi d’espérer : par exemple, nous avons la chance d’exister (la probabilité était au départ extrêmement faible) et de vivre en France (malgré tout), etc. Il reste que nos démocraties sont aujourd’hui mentalement démunies et matériellement affaiblies. Sauront-elles faire preuve du réalisme, de la responsabilité, de l'autorité, du courage, de l'unité et de la créativité nécessaires pour sortir de l’impasse dans laquelle elles se trouvent ? Pas sûr.

Mais qui peut vraiment prédire ce qui se passera au cours de cette année ? À défaut de pouvoir le faire de façon scientifique, on peut avoir des convictions argumentées, des intuitions spontanées… ou faire des paris. Mais l’exercice est particulièrement difficile à un moment où le futur peut bifurquer dans de nombreuses directions, et démentir les meilleurs experts. Certains d’entre eux vont d’ailleurs obligatoirement se tromper puisqu’ils ne sont pas tous d’accord (à moins qu’ils se trompent tous !). D’autres se vanteront d’avoir eu raison, alors qu’ils auront eu surtout de la chance. Reconnaissons en tout cas que les planètes ne sont pas alignées et que la nôtre ne se porte pas au mieux…

Aussi, pour bien vivre cette nouvelle année, je suggère de ne pas écouter pas les pessimistes, déclinistes, défaitistes ou « collapsologues », qui annoncent le pire. D’abord parce que l’histoire (y compris récente) nous enseigne qu’il n'est jamais certain. Mais, surtout, parce que ces attitudes engendrent le désespoir, l'immobilisme, le fatalisme. Ou, plus grave encore, l'indifférence. Et donc le déclin.

Pour nous rassurer, nous pouvons adhérer à la prophétie de Victor Hugo : « Nos plus belles années sont celles que nous n'avons pas encore vécues ». Une attitude positive et poétique. Mais probablement fausse car nous idéalisons davantage le passé que le futur. Alors, tournons-nous plutôt vers Gaston Berger, fondateur en France de la prospective, qui rappelait tout simplement que « L’avenir n’est pas à découvrir, il est à inventer ».  C’est en effet à chacun de nous d’agir sur les événements que nous redoutons, afin qu’ils n’adviennent pas. Chacune des menaces qui pèsent sur le monde (et notre pays) est une occasion de le rendre meilleur.

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