Les couples tragiques de l’histoire : Marie Walewska, l’amour sacrifié de Napoléon<!-- --> | Atlantico.fr
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Marie Walewska romance Napoléon amour passion des couples tragiques de l'histoire Jean des Cars
Marie Walewska romance Napoléon amour passion des couples tragiques de l'histoire Jean des Cars
©DR / © Paris - Musée de l'Armée

Bonnes feuilles

Jean des Cars a publié "Des couples tragiques de l’histoire" aux éditions Perrin. Jean des Cars présente la vie des couples tragiques les plus célèbres de l'histoire. Qu'ils soient mariés ou clandestins, ces couples ont connu l'amour, la gloire, le divorce, l'exil, la prison ou encore la mort. Extrait 2/2.

Jean des Cars

Jean des Cars

Jean des Cars est l’historien des grandes dynasties européennes et de leurs plus illustres représentants. Parmi ses grands succès : Louis II de Bavière ou le Roi foudroyé, Sissi ou la Fatalité, La Saga des Romanov, La Saga des Habsbourg, La Saga des Windsor, La Saga des reines et La Saga des favorites. En 2014, il a publiéLe Sceptre et le sang : rois et reines dans la tourmente des deux guerres mondiales. Ses ouvrages font l'objet de traductions, notamment en Europe centrale.

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Le 1er janvier 1807, Varsovie attend avec ferveur l’arrivée de l’empereur des Français, le conquérant qui affirme ne combattre que pour rendre aux peuples leur liberté. Les Polonais placent tous leurs espoirs en Napoléon car leur pays, tant de fois envahi, disputé et partagé, a été rayé du nombre des nations à la fin du XVIIIe  siècle. Malgré le froid très vif, une jeune femme se rend au relais de Błonie, à l’ouest de Varsovie, où l’Empereur doit changer une dernière fois de chevaux. Elle se faufile à travers la foule, parvient jusqu’à la voiture de Napoléon arrêtée au relais, comme elle en avait été informée. L’inconnue balbutie un compliment : « Soyez le bienvenu, mille fois bienvenu sur notre terre… » La jeune femme semble considérer que la Pologne attendait Napoléon pour exister à nouveau. Elle croit en lui puisqu’il a battu l’Autriche. L’Empereur est charmé par l’enthousiasme de cette Polonaise, blonde aux yeux bleus, pas très grande mais jolie et très gracieuse. Duroc, grand maréchal du palais, est vite informé de son identité. Elle se nomme Marie Walewska. Née en 1786 dans la fort ancienne mais nombreuse et désargentée famille Łączyński, elle a appris en pension un peu de français avec plaisir et un peu d’allemand… sans plaisir. Très tôt, Marie a incarné les vertus exigeantes de la Pologne, le catholicisme et le patriotisme, inséparables l’un de l’autre. Sa mère, veuve, a évidemment cherché très tôt à la marier.

Un prétendant jeune, beau et riche est vite éliminé parce qu’il est russe. Reste l’autre prétendant, le comte Anastase Walewski. Sa situation n’est pas banale  : il a soixante-dix ans, il est veuf pour la seconde fois et l’aîné de ses petits-enfants a… neuf ans de plus que Marie ! En face de ces inconvénients, il a l’avantage d’appartenir à une famille anoblie en 1574, d’être un authentique seigneur fortuné et très généreux avec les pauvres, ancien chambellan du roi, décoré de l’Aigle blanc dont il porte le cordon sur son habit les jours de fête. Marie, qu’on imagine légitimement inquiète, mesure la différence d’âge entre elle et ce vieil homme  : cinquante ans ! Mais il lui est impossible de résister à sa mère « […] car à la première objection qu’elle a faite, il a été répondu d’une manière frappante. Elle va alors tomber malade d’une fièvre inflammatoire qui la tient quatre mois entiers entre la vie et la mort. À peine convalescente, on la conduit à l’autel ». Le mariage a lieu en 1804, Marie a dix-huit ans. À son vieil époux, elle a donné un fils, Antoine, né le 14 juin 1805.

Napoléon invite la jeune comtesse à un bal. Elle refuse, honteuse de son audace au relais de poste… Tout Varsovie en parle. On la presse d’accepter l’invitation  : il serait désobligeant, voire très grave, d’offenser Napoléon si bien disposé à l’égard de la Pologne et qui a créé le grand-duché de Varsovie. Les membres du gouvernement provisoire et les notables insistent. Napoléon l’invite d’une façon qui ne laisse pas de doute sur ses intentions  : « Venez, Madame, venez ! Tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera encore plus chère si vous prenez pitié de mon pauvre cœur… » Ce n’est plus une invitation, c’est un chantage ! Elle repousse d’abord les avances du maître de l’Europe puis se laisse séduire. Par patriotisme, dit-on, espérant que Napoléon délivre définitivement la Pologne de l’étau russe. Le chantage réussit. Bien qu’elle passe pour douce et craintive, elle finit par accepter. À peine rentrée chez elle, sa femme de chambre lui remet un billet. L’écriture est difficile à déchiffrer mais elle lit : « Je n’ai vu que vous, je n’ai admiré que vous, je ne désire que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l’impatiente ardeur de N. » Ce message est daté du 18 janvier 1807. Il y a dix-sept jours qu’ils se sont aperçus à ce relais de poste. Elle froisse ce billet. Non, il n’y a pas de réponse, et pourtant, le messager, qui n’est autre que le prince Joseph Poniatowski, attend. Il patiente une demi-heure et repart, absolument furieux.

Le comte Walewski, n’oubliant pas qu’il a été chambellan, exige lui-même que Marie accepte l’invitation de Napoléon ! Le mari en fait une cause sacrée. Après le bal, l’Empereur, séduit, fixe à la jeune comtesse un autre rendez-vous, plus intime. L’affaire s’ébruite et de bonnes âmes insistent pour que Marie ne se dérobe pas. Certains osent évoquer le destin biblique d’Esther, jeune Juive se donnant au roi perse Assuérus afin de sauver son peuple… La jeune Polonaise est-elle une héroïne de Racine ? Marie ne peut résister longtemps à un destin qui la dépasse. Le 22 janvier 1807, à six heures du matin, l’Empereur s’inquiète : on lui a rapporté que la comtesse était souffrante. Il veut savoir si elle n’est pas « incommodée ». Il écrit : « Vous avez été à la même place toute la nuit dans mes idées. Je conserverai longtemps le souvenir de cette nuit. Je sens le besoin de vous dire combien vous m’êtes chère. […] Marie, songez que je vous aime, que vous m’avez flatté de partager tous mes sentiments. N’est-ce pas que vous serez consentante ? Mille baisers sur vos mains, un sur ce cœur dont je voudrais troubler un peu la tranquillité […]. » Le lendemain, son courrier est encore plus intense : « Madame, vous étiez si belle et si bonne hier soir, que longtemps dans la nuit il me semblait vous voir encore. Il n’y a point de ténèbres qui empêchent que l’on ne vous voie, vous êtes comme un ange. Je suis fâché de vous avoir dit de venir à la parade, il fait si froid, et vous vous enrhumeriez. Je me fais un bonheur de vous voir danser ce soir et de lire dans vos yeux les émotions de votre cœur… mio dolce amore, un délicieux baiser sur votre charmante bouche, et mille bien respectueux sur vos mains. »

Face aux preuves de la naissance de cette passion, complétons ces missives du 23 janvier par une lettre, le même jour, de l’Empereur à l’impératrice, car, rappelons-le, Joséphine est toujours son épouse :

« […] J’ai ri de ce que tu me dis que tu as pris un mari pour être avec lui. Je pensais, dans mon ignorance, que la femme était faite pour le mari, le mari pour la patrie, la famille et la gloire. Pardon de mon ignorance, on apprend toujours avec nos belles dames. Adieu, mon amie. Crois qu’il m’en coûte de ne pas te faire venir ; dis-toi  : “C’est une preuve combien je lui suis précieuse !” N. » Napoléon n’est pas au cœur d’un trio, il est, à ce moment, le héros de deux duos dont l’un est tout neuf, car il écrit aussi beaucoup à Joséphine.

Puis, après le 24  janvier et avant l’indécise –  et coûteuse en vies humaines – bataille d’Eylau des 7 et 8 février 1807 en Prusse-Orientale contre les Russes et les Prussiens, Napoléon juge Marie parfaite. Il a envie de l’entendre lui dire ce qu’elle lui a écrit. À Varsovie, la liaison est officielle, peu discrète. Toutefois, la comtesse Walewska n’oublie pas sa mission : aider à faire renaître la Pologne, comme nation et comme État. Elle demande la confirmation d’un gouvernement provisoire et la constitution d’une ébauche d’armée. Chez Marie, à cette époque, il n’est pas question d’amour, encore moins de passion, car elle est honnête. Elle est la fragile mais déterminée messagère des espoirs polonais. Marie ne quitte pas son mari pour un autre homme. Elle est l’ambassadrice de la cause polonaise et Marie aime, d’abord, la Pologne. Elle n’est pas ambitieuse ni intéressée à être une simple maîtresse, mais son rôle est clair. Napoléon, qui d’habitude n’apprécie pas les femmes se mêlant de politique, lui répond qu’il doit s’occuper, d’abord, de la France. Et ensuite de la Pologne, assurant la jeune femme qu’il a déjà « forcé la Russie à lâcher la part qu’elle usurpait ». Pour bien faire comprendre à l’Empereur qu’elle souffre et attend la renaissance de son pays, la comtesse Walewska ne s’habille que de robes blanches, grises ou noires. Napoléon déteste les femmes vêtues de couleur foncée. Il le lui dit. Elle lui répond : « Une Polonaise doit porter le deuil de sa patrie. Quand vous la ressusciterez, je ne quitterai plus le rose. »

Alors que Napoléon va quitter la Pologne sans avoir complètement tenu sa promesse, Marie Walewska, déçue, désabusée et mécontente de s’être donnée sans que la Pologne renaisse complètement, refuse de suivre son amant impérial à Paris. Elle attendra 1808, mais c’est surtout en 1809, pendant la campagne d’Autriche, qu’ils se revoient. Après la victoire de la gigantesque bataille de Wagram, sur un plateau au bord du Danube les 5 et 6  juillet  1809, Marie la Polonaise vient rejoindre l’Empereur à Vienne. Il installe son quartier général au palais de Schönbrunn et fait préparer, tout près, une charmante maison pour Marie. Le vainqueur lui promet que l’Autriche devra céder au grand-duché de Varsovie la plus grande partie de ses possessions polonaises. Lors de la paix de Vienne, le 14  octobre, Marie est enceinte. Elle retourne accoucher à Walewice, chez son mari. Elle donne naissance, le 4 mai 1810, à un fils, Alexandre Walewski, futur ministre des Affaires étrangères de Napoléon III. À noter : le vieux comte Walewski, très fier de cette prétendue paternité à quatre-vingt-quatre ans (!), pousse la complaisance jusqu’à reconnaître l’enfant de Napoléon et de sa femme et… à lui donner son nom ! Le 23  avril  1810, à Paris, au Louvre, Napoléon, âgé de quarante ans, épouse l’archiduchesse d’Autriche Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine, fille de l’empereur François  Ier et petite-nièce de Marie-Antoinette. L’union, qui donnera enfin un enfant légitime à Napoléon, scandalise les nostalgiques de la Révolution, mais ce mariage était la condition de la paix avec l’Autriche.

À la fin de la même année, Marie s’installe à Paris, dans le quartier de la Chaussée-d’Antin, avec son fils et sa belle-sœur. La liaison avec Napoléon semble terminée même s’il continue de combler la Polonaise de libéralités et d’attentions. Chaque matin, l’Empereur veut savoir ce dont elle a besoin et Duroc s’assure qu’elle ne manque de rien. Corvisart, le médecin de Napoléon, surveille sa santé et celle de leur fils. Marie reste très attachée à l’Empereur, elle lui est fidèle et reconnaissante de ce qu’il a pu faire pour la Pologne, même si ses espoirs ont été déçus. Elle est très discrète, cache son enfant, sort peu. Elle ne peut toutefois ignorer les invitations pressantes de Joséphine à Malmaison. La première impératrice l’y reçoit avec l’enfant qu’elle aurait tant voulu donner à l’Empereur et comble le jeune Polonais de cadeaux. Marie n’apparaît pas à la cour impériale et ne fait aucune dépense excessive de mode. On peut seulement dire que ses robes continuent de transmettre ses espoirs : en tulle ou en taffetas, elles sont ornées de fleurs bleues et blanches, les couleurs de la Pologne…

Au début de février 1814, les alliés exigent que la France retrouve ses frontières d’avant la Révolution. Lancé dans la campagne de France et à la veille de la bataille de Champaubert – qui sera une victoire –, l’Empereur met en ordre l’avenir financier du jeune comte Walewski et de sa mère Marie. Il charge son trésorier général, M. de La Bouillerie, de prévoir une rente de 50 000 livres pour eux. Marie n’est pas au courant. Les formalités lui semblant trop lentes ou incomplètes, depuis Nogent-sur-Seine où il s’est installé, Napoléon insiste auprès de son mandataire par un courrier manuscrit urgent : « […] J’ai reçu votre lettre relativement au jeune Walewski. Je vous laisse carte blanche. Faites ce qui est convenable, mais faites de suite. Ce qui m’intéresse, c’est surtout l’enfant, et la mère après. »

À Fontainebleau, dans la nuit du 12 avril 1814, Napoléon tente de s’empoisonner avec de l’opium. Mais comme il a dilué la solution dans de l’eau, l’effet du poison est très diminué. Marie est arrivée et toute la nuit espère que l’Empereur va l’appeler. Napoléon, souffrant atrocement, ne retrouve ses esprits que lorsque la fidèle comtesse est repartie. Napoléon dit : « La pauvre femme ! Elle se croira oubliée ! »

Elle lui écrit trois jours plus tard, il lui répond immédiatement, le 16  avril : « Marie, j’ai reçu votre lettre du 15. Les sentiments qui vous animent me touchent vivement, ils sont dignes de votre belle âme et de la bonté de votre cœur. Lorsque vous aurez arrangé vos affaires, si vous allez aux eaux de Lucques ou de Pise, je vous verrai avec un grand et vif intérêt, ainsi que votre fils, pour qui mes sentiments seront toujours invariables. Portez-vous bien, n’ayez point de chagrin, pensez à moi avec plaisir, et ne doutez jamais de moi. » En évoquant ces autres « adieux de Fontainebleau », Lamartine écrira, en 1851, ce bel hommage à Marie Walewska  : « Mais pendant que la victoire et l’indifférence éloignaient ainsi de lui l’épouse que la politique lui avait donnée et que l’Empire n’avait pu lui attacher, l’adversité ramenait auprès de lui, à Fontainebleau, une jeune et belle étrangère dont la défaite et l’exil ne pouvaient lui enlever l’amour. »

Marie a vingt-huit ans. Elle a le courage de demander aux alliés l’autorisation de se rendre à l’île d’Elbe. Personne n’y voit d’objection. Elle affirme qu’elle ne fera qu’une brève escale sur la route de Naples où elle doit assurer l’avenir financier de son enfant. Ainsi, Marie Walewska est la première personne ne faisant pas partie de sa famille qui vient visiter le « souverain de l’île d’Elbe ». Elle l’en informe. Il lui répond de la capitale de l’île, Portoferraio, le 9 août 1814 : « Marie, j’ai reçu votre lettre, j’ai parlé à votre frère. Allez à Naples arranger vos affaires ; en allant ou en revenant, je vous verrai avec l’intérêt que vous m’avez toujours inspiré, et le petit dont on me dit tant de bien que j’en ai une véritable joie et me fais fort de l’embrasser. Adieu Madame, cent tendres choses. »

Accompagnée de son fils, le jeune comte Alexandre (quatre ans), elle débarque au port de Marciana Marina, à 20  kilomètres à l’ouest de Portoferraio, le jeudi 1er  septembre 1814 en pleine nuit, ce qui n’est pas l’usage et accrédite la thèse d’un mystère. Le maréchal Bertrand, chambellan impérial, était prévenu et savait que le bateau mouillerait dans une crique discrète au fond du golfe. Nous savons aujourd’hui que Napoléon avait suivi avec sa lunette, au crépuscule, l’approche du bâtiment. Et, précédé de quatre cavaliers porteurs de torches, il se rend à la rencontre de Marie et de son fils, leur fils… En ville, ce va-et-vient se transforme en rumeur  : « C’est l’impératrice Marie-Louise et le roi de Rome ! »

Cet enfant charmant est, précisément, vêtu comme le roi de Rome. C’est un stratagème de Napoléon qui essaie de faire croire à la visite de Marie-Louise et de l’héritier. Dans cette nuit opaque, les habitants, comme la garde impériale et même ceux qui ont vécu aux Tuileries, sont persuadés qu’il ne peut s’agir que de l’impératrice venue apporter son amour à l’exilé car à plusieurs reprises, sur la foi de ragots et de fantasmes, on a annoncé son arrivée imminente. D’ailleurs, Marie Walewska, qui a compris qu’on la prend pour une autre, répète à ceux qui l’interrogent que cet enfant est le « fils de l’Empereur ». « Oui, ajoute-t‑elle, c’est mon fils. » Ses réponses ne sont pas des mensonges mais elle ne dit pas qui elle est…

Lorsque les habitants et les courtisans découvriront la vérité très romanesque, certains seront déçus, d’autres ravis. Mais dans un cas comme dans l’autre, la femme est accompagnée d’un fils de l’Empereur, c’est une consolation et un gage de fierté pour les insulaires dont la vie est déjà très bouleversée.

En pleine nuit, la petite troupe gagne Marciana Alta, près de l’ermitage où séjourne Napoléon depuis le 23  août. Essayant de fuir la chaleur de l’été elbois, il a fait dresser sa tente de campagne, car il a cédé sa chambre à Marie, après avoir caressé les boucles blondes de leur fils. C’est une bataille du souvenir amoureux qu’il livre. Tous deux sont émus. Ali, le fidèle mamelouk, voit l’Empereur quitter sa tente et rejoindre rapidement sa visiteuse. Avec Marie Walewska, Napoléon va passer une nuit avec celle qui, à Fontainebleau, avait attendu toute une nuit, angoissée, devant la porte de cet homme qu’elle avait tant aimé. Depuis qu’il est exilé, elle lui a écrit plusieurs fois, alors qu’elle gagnait, par petites étapes, la côte toscane. Napoléon avait fini par céder. Mais lorsqu’il apprend la rumeur qui agite les Elbois, il est furieux car il craint que le gouverne‑ ment autrichien ne tire prétexte de la venue de cette maîtresse pour inciter l’impératrice à ajourner encore sa propre venue. De fait, le silence de Marie-Louise n’est rompu que par quelques lettres où elle parle de deux sujets qui exaspèrent l’Empereur : sa santé et… le temps qu’il fait ! Napoléon veut éviter que la présence de la Polonaise ne soit l’objet d’un scandale. Il aurait voulu que le séjour de Marie soit sans tapage, comme si cela était possible. La comtesse polonaise sera donc, une nouvelle fois, sacrifiée au devoir conjugal et aux obligations d’État, mais le conquérant vaincu ne le lui dit pas tout de suite…

Au matin, il l’emmène jusqu’à son rocher, ce vrai nid d’aigle qu’est le Monte Giove, le mont Jupiter, avec sa petite maison basse de quatre pièces à 627 mètres d’altitude. Puis il s’esquive pour sa visite quotidienne à Madame Mère qui l’attend, presque en face. La famille avant tout…

Le soir, il dîne sous sa tente avec Marie, leur fils et les officiers polonais de la Garde. On impro‑ vise des danses, on chante. Marie espère, Marie est heureuse. À la voir ainsi, la question reste posée : Marie Walewska avait-elle l’espoir de rester auprès de Napoléon ? Était-elle venue pour ne pas repartir ? On peut le penser. Entre-temps, elle a été informée de la détresse financière de l’Empereur. Catastrophée, elle veut lui restituer le collier de perles qu’il lui avait offert à la naissance d’Alexandre et qu’elle portait si bien la veille au soir. Il refuse avec émotion et la prie de repartir le soir même. Rien ne manque à cet épisode émouvant, ni le cadre exceptionnel où il se déroule, ni le dénouement romantique.

Avec la nuit, la tempête s’est levée et la pluie tombe fort. Marie, transie, serrant son enfant contre elle, tente de s’embarquer à Marciana. Mais la mer est trop forte, son navire ira l’attendre à Porto Longone, à l’autre extrémité de l’île. Il lui faut plusieurs heures sur des chemins transformés en torrents pour y parvenir. L’escorte la dissuade d’essayer de gagner le bateau. Mais, fière et sans doute en colère, elle saute dans une barque et, au prix de mille périls, gagne l’échelle de coupée. Le vaisseau s’éloigne enfin, dans des creux terrifiants et des remous. Pendant ce temps, comme dans tout drame romantique, Napoléon, pris de remords et d’angoisse, saute à cheval et galope jusqu’à Porto Longone, mais il arrive trop tard. Il a laissé partir son grand amour. Pis : il l’a chassé. Elle est restée trente-six heures, dont une nuit… Le 20  septembre, peu après le départ de Marie, le colonel et commissaire Campbell, chargé par la Couronne britannique de surveiller Napoléon, note que l’ancien maître de l’Europe « semble avoir perdu toute attitude de travail et d’étude sédentaire, […] les agitations et les indécisions de son esprit ne lui permettent pas d’y porter le même intérêt quand la nouveauté a perdu de son charme ; il tombe alors dans un état d’inactivité qu’il n’avait jamais connu et, depuis quelque temps, il se retire dans sa chambre pour s’y livrer au repos pendant plusieurs heures de la journée. Je commence à croire qu’il est tout à fait résigné à sa retraite ». Comme on le sait, le représentant de S.M. le roi d’Angleterre George III n’est pas perspicace, ni informé !

C’est en 1815, à Malmaison, que Marie Walewska revoit Napoléon pour la dernière fois, peu avant son départ pour Sainte-Hélène. Bouleversée, elle semble en être toujours amoureuse. En 1816, après la mort du comte Walewski –  il était toujours, officielle‑ ment et civilement, son mari  –, la veuve Walewska se remarie à Bruxelles avec un représentant de la noblesse d’Empire, le comte Philippe d’Ornano, général de brigade et futur maréchal de France (en 1861), dont la mère, née Isabelle Bonaparte, était une cousine germaine du père de Napoléon. Elle en a un fils – le troisième – l’année suivante, Rodolphe-Auguste. Ce remariage de Marie troubla profondément le prisonnier de Sainte-Hélène. Il en fut jaloux. Selon un de ses compagnons, « il avait toujours conservé une tendresse extrême à Mme Walewska et il n’était pas dans sa nature de permettre à ce qu’il aimait d’aimer autre chose que lui ».

Elle meurt peu après à Paris, le 11 décembre 1817, à peine âgée de trente et un ans. Elle a un peu déçu les milieux politiques polonais de son temps qui souhaitaient qu’elle use davantage de son influence pour restaurer l’indépendance polonaise. Mais beau‑ coup lui ont pardonné tant elle fut courageuse. Cette jolie jeune femme laisse le souvenir d’un amour qui fit jaser toute l’Europe et que l’adversité n’entama jamais. Et les Polonais restèrent tout de même reconnaissants envers Napoléon qui, selon le joli mot du général de Gaulle évoquant le douloureux destin de ce pays sans cesse dépecé, « avait rendu un corps à la Pologne qui n’était plus qu’une âme ». D’une certaine façon, ce corps était celui de la jeune et audacieuse Polonaise, la plus célèbre maîtresse de Napoléon et celle qui, on peut le penser, l’aima le plus sincèrement.

A lire aussi : Les couples tragiques de l’histoire : Louis XVI et Marie-Antoinette, seul le malheur les réunira

Extrait du livre de Jean des Cars, "Des couples tragiques de l’histoire", publié aux éditions Perrin

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