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Les commissaires aux comptes sont-ils aussi inutiles pour les PME que le pense le gouvernement ?
©Geralt-Pixabay

CAC

Sur un total de 2,5 millions sociétés, seules 208.000 d’entre-elles ont actuellement dans l’obligation de faire certifier leurs comptes.

Janin Audas

Janin Audas

Janin Audas est Vice-président d’honneur en charge des finances du Mouvement ETHIC

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La France a toujours été attachée à sécuriser la transparence financière des entreprises les plus importantes et ce depuis plus de 150 ans. C’est une loi du 24 juillet 1867 qui a instauré la présentation aux actionnaires d’un rapport sur les comptes par un commissaire aux comptes. En 1936, à la suite de différentes malversations financières, la réglementation de la profession de « commissaire de sociétés » se met en place et en 1966 la loi sur les sociétés commerciales fixe les règles du contrôle des sociétés commerciales par les commissaires aux comptes dont le statut est organisé par décret en 1969. Depuis cette date, et particulièrement depuis la loi de sécurité financière de 2003, la réglementation ne cesse d’être renforcée et la profession est aujourd’hui sous le contrôle d’un organisme de régulation indépendant, le Haut Conseil du commissariat aux comptes, le « H3C ».  Depuis la loi de 1966, les obligations se sont multipliées, les normes d’audit se sont développées, les règles d’indépendance et de déontologie se sont renforcées, interdisant notamment aux commissaires aux comptes de fournir des conseils à leurs clients lorsqu’ils certifient leurs comptes.

Parallèlement, au plan mondial, l’audit légal a suivi un destin comparable, sans toutefois toucher les petites et moyennes entreprises. C’est ce qui différentie la France des autres pays européens et c’est dans ce contexte que le Gouvernement envisage de supprimer l’obligation faite aux petites entreprises de faire certifier leurs comptes.

Auront ils inutiles pendant 40 ans de vie professionnelle ? C’est ce qui ressort du rapport de l’Inspection générale des finances qui conclut que les commissaires aux comptes n’apportent aucune valeur ajoutée lorsqu’ils certifient les comptes des petites entreprises?

Et pourtant, afin de favoriser la confiance dans la fiabilité des comptes des entreprises les plus importantes, la loi impose leur certification par un professionnel indépendant. En France, les seuils légaux rendant obligatoire la certification des comptes par un commissaire aux comptes sont inférieurs aux seuils européens et varient en fonction de la forme juridique adoptée par l’entreprise. Le Gouvernement envisage d’harmoniser et de relever au niveau européen les seuils au-delà desquels le contrôle légal des comptes des sociétés devient obligatoire.

Le marché des CAC

Sur un total de 2,5 millions sociétés, seules 208.000 d’entre-elles ont actuellement dans l’obligation de faire certifier leurs comptes. Le marché de l’audit légal représente un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros pour 260.000 mandatseffectués par 9.600 commissaires aux comptes ce qui correspond à 20.000 emplois à temps pleins.

La directive européenne rend obligatoire le contrôle légal des comptes, pour toutes les entités (indépendamment de leur forme juridique) qui dépassent 2 des 3 seuils suivants : un effectif de 50 salariés, un total de bilan de 4 millions d’euros et un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros.

En France, les seuils varient selon la forme juridique des sociétés commerciales, 2 sur 3 seuils devant être atteints :

  • SARL, SNC, SCS : effectif 50, total de bilan 1,55 millions, chiffre d’affaires 3,1 millions.
  • SAS : effectif 20, total de bilan 1 million, chiffre d’affaires 2 millions
  • SA, SCA : pas de seuils, toutes ces sociétés doivent désigner un commissaire aux comptes.
  • Des exceptions sont prévues pour certains groupes de sociétés.

Le rapport de l’IGF

Une mission sur la certification légale des comptes des petites entreprises françaisesa été confiée à l’Inspection générale des finances,en novembre 2017, par le ministre de l’Economie et des Finances et la Garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Le rapport de l’IGF tente de démontrer que les effets de la présence d’un commissaire aux comptes dans les entreprises de moins de 50 salariés sont inexistants.

En synthèse, le rapport de l’IGF propose de relever les seuils de l’audit légal au niveau de référence prévu par la directive européenne pour toutes les sociétés commerciales et pour les groupes de sociétés.

 Le rapport indique également que « l’effet sur la profession ne peut être évalué avec précision car une partie des entreprises qui ne seront plus soumises à l’obligation de faire certifier leurs comptes, continueront à le faire sur une base volontaire ».

En résumé, l’IGF estime que la présence du commissaire aux comptes n’est pas de nature à accroître :

  • la fiabilité des comptes au prétexte que le nombre de refus de certifier ou de certification avec réserve sont rares,
  • la qualité de l’assiette fiscale,
  • la capacité de financement,
  • la prévention des défaillances d’entreprise,
  • la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment.

Les professionnels ont été extrêmement choqués par ces conclusions et considèrent que les démonstrations qui justifient ces affirmations témoignent de l’ignorance des auteurs quant à la manière dont les missions sont réalisées. Si les comptes des PME sont certifiés à 97,7 %, c’est justement parce que le commissaire aux comptes est intervenu en amont pour faire rectifier les erreurs ou les mauvaises interprétations de réglementations trop nombreuses,trop complexes, voire absconses.

En effet le but du commissaire aux comptes n’est pas de faire des réserves ou de refuser de certifier les comptes qu’il contrôle mais de les rendre fiables dans l’intérêt de toutes les parties prenantes de l’entreprise : fournisseurs, clients, salariés, financeurs : banques ou actionnaires … La conclusion de l’IGF se fonde sur des observations et des arguments que la profession de commissaires aux comptes réfute. La Compagnie Nationale des Commissaires aux comptes a répondu aux affirmations ou conclusions de l’IGF par la publication d’un « livre blanc de la profession de commissaires aux comptes pour participer à une économie de confiance et de sécurité ».

Pour l’IGF, « les effets observés de cette certification obligatoire des comptes n’apparaissent pas significatifs, alors que celle-ci représente une charge réelle pour les petites entreprises ».

L’argument du coût de l’audit légal pour les PME se base sur un honoraire moyen de 5.511 € pour une durée d’audit de 64 heures. On observera tout d’abord que les honoraires des commissaires aux comptes sont moins élevés que bon nombre de professions de services puisque le prix moyen de l’heure ressort entre 83 et 86 € de l’heure. Mais, il est ensuite relevé par l’IGF que les plus petites entreprises paient des honoraires compris entre 4.000 et 4.500 €.

Le duo expert-comptable et commissaire aux comptes ?

Une grande majorité des PME ont recours à un expert-comptable pour établir leurs comptes et certains dirigeants peuvent y voir une redondance entrainant un surcoût.

Mais, comme le note les rédacteurs de l’IGF, l’expert-comptable a une mission contractuelle d’établissement des comptes et de conseils, alors que le commissaire aux comptes a une mission de contrôle. Ces missions sont différentes et les réunir serait contraire au principe internationalement reconnu (depuis l’affaire Enron) de séparation de l’audit et du conseil.

Il ressort des statistiques de la CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes) que les plus petites entreprises paient environ 2.500 € d’honoraires pour faire certifier leurs comptes, notamment quand ceux-ci sont préparés par un expert-comptable, ce qui, si on se réfère aux chiffres cités ci-dessus, montre que les professionnels savent intervenir de façon complémentaire. 

Les conséquences du relèvement des seuils sur la profession

Contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport de l’IGF, il n’est pas difficile d’évaluer les conséquences du relèvement des seuils. On peut estimer que les entreprises qui continueront à recourir aux services d’un commissaires aux comptes de façon volontaire, sera du même ordre qu’actuellement. Ces entreprises représentent 11% des mandats pour un chiffre d’affaires de 64 millions ; la profession aurait donc une perte nette de l’ordre de plus de 107.000 mandats pour un chiffre d’affaires de 550 millions d’euros. Cette perte représente 4.500 emplois équivalent temps plein.

La Compagnie nationale des commissaires aux comptes a calculé le nombre exact de mandats concernés chiffré à 153.823 mandats sur 190.000 pour 4.016 signataires, soit une perte de 78% des mandats et de 41 % des honoraires.

Ces proportions se retrouvent sur le terrain

Prenons à titre d’illustration un très beau groupe français installé principalement en Province et exerçant les deux activités : l’expertise-comptable et le commissariat aux comptes. Il réalise un chiffre d’affaires d’audit de 3,8 millions pour 656 mandats nécessitant 43.500 heures de travail (soit 83,35 €/h). L’augmentation des seuils au niveau européen lui ferait perdre 467 mandats (soit 71%) représentant 2 millions d’honoraires (soit 53%) et 24.100 heures de travail. Ces 24.100 heures d’audit représentent l’emploi de 16 salariés soit plus de 50 % de l’effectif attaché à cette activité. Ceux-ci devront donc être licenciés (pour quel motif ?).

Cet exemple est révélateur de l’impact de la mesure envisagée. Cependant, beaucoup de cabinets exercent le commissariat aux comptes de façon complémentaire et perdront la quasi-totalité de leurs mandats. Cette situation les amènera à ne plus s’inscrire en qualité de commissaire aux comptes compte-tenu du coût et des contraintes (notamment en matière de formation) pour ne pas exercer cette activité.

La démission d’un grand nombre de commissaires aux comptes entrainera la remise en cause des structures professionnelles que sont les 33 Compagnies régionales (une par Cour d’Appel) et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ainsi que des salariés qui les composent. La fin d'une profession ?

La France constituait une exception et un modèle dans le monde de l’audit avec une population de professionnels importante (13.500) et une répartition géographique sur l’ensemble du territoire, ce qui permettait à toutes les entreprises d’avoir le choix dans la désignation de leur commissaire aux comptes. La réduction du nombre de professionnels inscrits, que l’on peut estimer à 3.000 et moins de 500 cabinets ne permettra plus à la Compagnie des commissaires aux comptes de poursuivre la mission qui est encore aujourd’hui la sienne. La concentration des mandats va donc s’opérer à une vitesse exponentielle ; cette tendance allant à l’encontre des objectifs de la réforme européenne de 2014 entrée en application en France en 2016. En effet, pour que les entreprises puissent avoir le choix de leur commissaire aux comptes, encore faut-il que l’alternative existe ; notamment en régions

La mission du commissaire aux comptes étant une mission d’intérêt général, la proposition de l’IGF, qui semble être retenue par le ministre de l’Economie et des Finances (alors que notre ministre de tutelle est le Garde des Sceaux, ministre de la Justice), ne serait bonne ni pour les entreprises, ni pour son environnement (associés, clients, fournisseurs, financiers, salariés, administrations). Pour une économie annuelle comprise entre 2.500 et 4.500 euros, le chef d’entreprise se priverait d’un certificat de régularité et de sincérité de ses comptes et de sa situation financière. 

En outre elle réduirait le périmètre de la profession de commissaire aux comptes, profession réglementée, et entrainerait le licenciement d’un nombre significatif de salariés (4.500 emplois).

Cette mesure aurait également pour effet de pénaliser tous les cabinets qui verraient perdre leur valeur, et pourrait avoir des conséquences irrémédiables pour les jeunes professionnels qui ont investi en s’endettant pour acquérir une clientèle, un cabinet ou une participation dans un cabinet de groupe.

Enfin, cette réduction du nombre de professionnels entrainerait automatiquement des difficultés pour les futurs professionnels qui auraient des difficultés à remplir leurs obligations de formation en matière d’audit, et particulièrement en Province, car, pour pouvoir passer leur diplôme, les étudiants doivent effectuer un stage de 3 ans dans un cabinet et consacrer au moins 200 heures à l’exercice de l’audit.

L’application de la norme 910 « Petite entreprise » pourrait utilement être simplifiée et élargiejusqu’aux seuils européens (actuellement les seuils de la SARL) et pour toutes les formes juridiques (interdites pour les SA et les SCA).

La profession n’est pas hostile à certaines évolutions législatives, mais elle ne peut accepter d’être considérée comme inutile dans les petites entreprises alors que ce sont celles-ci qui ont le plus de besoinsen matière comptable, juridique, fiscale et sociale. 

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