Leçon de la pandémie : et le nouveau critère incontournable de l’efficacité des politiques publiques est...<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Emmanuel Macron et le ministre de la Santé, Olivier Véran, lors d'une visite au centre d'appels SAMU-SMUR de l'hôpital Necker en mars 2020 dans le cadre de la lutte contre la Covid-19.
Emmanuel Macron et le ministre de la Santé, Olivier Véran, lors d'une visite au centre d'appels SAMU-SMUR de l'hôpital Necker en mars 2020 dans le cadre de la lutte contre la Covid-19.
©Ludovic Marin / AFP / POOL

Méthode

Ce qui a marché depuis le début de la crise du Covid était construit sur l’existence de bonnes bases de données, ce qui a raté était largement dû à l’absence de données préalables. La France en a-t-elle conscience ?

Thierry Berthier

Thierry Berthier

Thierry Berthier est Maître de Conférences en mathématiques à l'Université de Limoges et enseigne dans un département informatique. Il est chercheur au sein de la Chaire de cybersécurité & cyberdéfense Saint-Cyr – Thales -Sogeti et est membre de l'Institut Fredrik Bull.

Voir la bio »

Atlantico : La constitution et l’étude de bases de données préalables et solides semblent avoir été la clé de la réussite ou de l’échec des politiques sanitaires et des mesures déployées dans le cadre de la lutte contre la pandémie, notamment au Royaume-Uni. Comment expliquer ce phénomène ? Est-il encore temps d’inverser cette tendance ? La France en a-t-elle conscience ? 

Thierry Berthier : La collecte et l’analyse des données associées à un système en évolution nous aide à comprendre sa dynamique et à construire des prédictions sur son évolution. Comme son nom l’indique, une prédiction, au sens statistique du terme, n’est qu’une extrapolation d’un modèle qui peut ou non correspondre à ce qui va effectivement se réaliser. Si le modèle utilisé correspond bien à la réalité alors nous pouvons raisonnablement espérer que la prédiction sera fiable. Si, par contre, le modèle simplifie trop le phénomène réel et son contexte alors la prédiction à de fortes chances d’être très éloignée de la réalité. La construction d’un modèle fidèle est donc un défi complexe qui dépend de nombreux paramètres dont celui de la qualité des données collectées.

Les décisions « data centrées » c’est-à-dire reposant sur des arguments fondés sur les données.

Concernant la crise sanitaire du Covid-19, la Chine, la Corée du Sud et les pays asiatiques en général se sont systématiquement appuyés sur les données pour construire leurs réponses. La Chine a combiné l’analyse exhaustive des données avec des mesures sanitaires à la fois adaptatives et contraignantes pour les populations, ce que ni l’Europe, ni l’Amérique n’a su ou n’a souhaité faire de manière systématique. Bien entendu, l’Europe n’est pas la Chine ni la Corée du Sud. Les cultures scientifiques des décideurs politiques sont très différentes d’un pays à l’autre tout comme le consentement des populations face à des mesure coercitives stricte. Les arbitrages politiques ne s’effectuent pas sur les mêmes bases cognitives et sociologiques. Ce n’est qu’une fois sortis de cette crise sanitaire que nous pourrons tirer tous les enseignements des stratégies adoptées par les uns et les autres. Le retour d’expérience qui aura nécessairement lieu dans chaque pays nous permettra alors de construire de nouveaux protocoles pour nous rendre plus résilients face aux futures pandémies. La résilience d’un système nait toujours des séquences d’épreuves et de crises qui l’affectent. L’espèce humaine a toujours su traverser des crises majeures en s’adaptant à leur complexité.    

Alors que notre système de santé semblait être apte à affronter la crise sanitaire, plus d’un an après la crise les leçons de la pandémie aboutissent à un constat assez amer et difficile au regard du nombre de décès. Le poids de l’administration, souvent décrié, ne cachait-il pas une faille avec l’absence de bases de données crédibles et des études de qualité ?  Les ARS et le gouvernement sont-ils suffisamment mobilisés et armés sur la constitution d’études solides ?  

Effectivement, l’indicateur principal qui va permettre de classer les « bons élèves » et les moins bons dans la traversée de cette crise mondiale, c’est bien le nombre de décès du Covid-19 pour 100 000 habitants et il semble que nous ne soyons pas très bien placés dans ce classement déterminant. Nous devrons alors tirer tous les enseignements en sortie de crise pour corriger les manques et les défaillances. La science des données, le calcul du risque et l’aide à la décision fondée sur l’intelligence artificielle nous fourniront de puissants outils pour construire des protocoles optimisés nous permettant de réagir aux futures crises sanitaires sans perte de temps. La génomique « data centrée » mais également la gestion data centrée des stocks stratégiques de matériels sanitaires, de médicaments et de composants chimiques devront devenir la norme procédurale pour éviter les mauvaises surprises et les pénuries. L’exécutif, les élus locaux et d’une manière générale, les grands décideurs devront consentir à s’adjoindre des dispositifs numériques d’optimisation et d’aide à la décision pour améliorer la qualité de leurs réponses. Il y a fort à parier que, d’ici à 2030, nous trouvions systématiquement au sein des futurs cabinets ministériels quelques « conseillers techniques » purement algorithmiques. Nous entrerons alors dans une ère nouvelle de gouvernance augmentée par la donnée et par l’intelligence artificielle durant laquelle chaque décision politique sera étayée et motivée par le calcul. Le décideur connaitra en temps réel le risque associé à chaque option de décision. Il pourra évaluer ses conséquences probables et les éventuels effets collatéraux. L’Asie sera certainement pionnière dans ce glissement vers une gouvernance augmentée par la donnée et par l’IA. L’un des grands projets de l’actuel Président Xi Jinping est la construction d’une ville intelligente nommée Xiongan (Xiongan Smart City – Xi Jinping) totalement gouvernée et optimisée par l’IA. Plus de 500 smart city data centrées vont être déployées sur tout le territoire chinois d’ici à 2040. Chaque géant du numérique chinois (BATX) possède son propre projet à l’image de la TENCENT smart city qui s’affirme comme le modèle de ville intelligente « post corona virus ». Ce futur déploiement de villes intelligentes data centrées en Asie préfigure clairement une gouvernance optimisée algorithmiquement généralisée.    

La méthode scientifique et les études menées, notamment sur la question des résultats et des comparaisons sur la présence du virus dans les eaux usées, doivent-elles être repensées ? Quelles sont les principales leçons de cet argument central sur la faille méthodologique dans le cadre de la lutte contre la Covid-19  pour les mois à venir et qui pourraient s’avérer décisives pour que les mesures déployées gagnent en efficacité réelle et soient mieux comprises par les populations ?

Nous devons effectivement utiliser tous les moyens disponibles pour mesurer précisément l’évolution de l’épidémie. La quantité de virus présent dans les eaux est un indicateur parmi d’autres. Les data sciences permettent de croiser un très grand volume de données issues de capteurs hétérogènes. La pertinence des prévisions résulte souvent du croisement d’un grand nombre de données complémentaires. Cette approche data centrée a une autre vertu qu’il convient de souligner : elle permet de modérer les élans complotistes qui traversent nos sociétés en mal de références scientifiques. Depuis presque une année, nous avons été bombardés de thèses irrationnelles, d’analyses en 280 caractères sur les réseaux sociaux et de théories moyenâgeuses publiées sans la moindre retenue. La science des données peut intervenir comme un juge arbitre rationnel. Plus grave, certains scientifiques n’ont pas hésité à traverser la ligne de crête pour rejoindre les chemins sinueux d’un populisme pseudo-scientifique. Ce sont les mêmes qui, il y a quelques mois, qualifiaient « le Big data de fantaisie délirante ». Le retour d’expérience devra aussi clarifier les prises de positions quelques membres de la communauté scientifique qui se sont régulièrement trompés et qui ont trompé une partie de la population.  

Comment les dirigeants politiques et les gouvernements impliqués dans la lutte contre la Covid-19 pourraient améliorer leur rapport et leur gestion de la crise à l’aune de stratégies fondées sur des bases de données solides et sérieuses qui permettraient de gagner en efficacité et en crédibilité ?

Il faut en premier lieu remettre la science et l’évaluation rationnelle du risque au centre du processus décisionnel. Ce profond changement de paradigme risque de prendre un peu de temps en Europe mais il est inéluctable pour augmenter le niveau de résilience de nos sociétés. En France, notre culture du consensus ne facilite pas la prise de décisions contraignantes. Le manque d’anticipation face à une crise pandémique nous renvoie à nos vulnérabilités structurelles mais celles-ci peuvent être corrigées avant la prochaine grande crise. L’essayiste Nassim Nicholas Taleb est l’auteur d’un excellent ouvrage sur la résilience des systèmes, intitulé « Antifragile : les bienfaits du désordre ». Je conseille la lecture de ce livre en complément du « Cygne Noir ». La pandémie est un Cygne Noir posé sur notre chemin. Les science des données peut nous aider à nous rendre « antifragiles » face aux prochaines mauvaises surprises.  

Thierry Berthier, Pilote du groupe Sécurité Intelligence Artificielle du Hub France IA

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !