Le vote de la motion de censure est nécessaire pour sauver la démocratie représentative<!-- --> | Atlantico.fr
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La Première ministre, Elisabeth Borne, s'exprime à l'Assemblée nationale.
La Première ministre, Elisabeth Borne, s'exprime à l'Assemblée nationale.
©BERTRAND GUAY / AFP

49-3

Il est éminemment souhaitable que la motion de censure soit votée, que l’ordre revienne et que soit ainsi apportée la preuve de la capacité des institutions de la Ve République à fonctionner.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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La situation actuelle résulte à la fois d’un refus massif des Français de la réforme telle qu’elle est articulée et a été présentée et de l’absence de majorité pour la voter. Cela est infiniment plus grave que la simple impossibilité de faire passer cette réforme autrement que de force. En effet, à la crise sociale que le pouvoir politique ne veut pas voir et entendre (qui repose aussi sur l’inflation et la perte de pouvoir d’achat) s’ajoutent désormais une crise politique et potentiellement une très grave crise institutionnelle.

La seule manière d’éviter les débordements et les risques graves auxquels la radicalité peut conduire est le retrait de cette réforme. C’est ce qu’avaient fait le président Mitterrand en 1983 avec la réforme de l’école privée ou le président Chirac en 2006 avec le CPE. Manifestement, le locataire actuel de l’Élysée est à des années-lumière de cette sagesse. L’urgence est donc d’organiser une sortie politique de la réforme des retraites. Passer par la voie politique démontrerait le bon fonctionnement de nos institutions et la cohérence entre légalité et légitimité (dont la contestation est une remise en cause extrêmement grave de la démocratie représentative). C’est la seule manière de sauver nos institutions, en particulier le Parlement en tant que représentant des citoyens. Renoncer à une sortie politique, c’est ouvrir la porte au blocage du pays comme lors des grèves de 1995, certainement en plus violent. C’est aussi mettre en péril nos institutions qui apparaîtraient comme totalement coupées du peuple, déconnectées de la réalité de notre pays et - pire - inutiles puisque le pouvoir du président de la République semblerait ainsi être le seul réel.

Que signifie passer par la voie politique ? Deux solutions et deux solutions seulement sont envisageables, dès lors que le retrait de la réforme n’est pas envisagé. La première, assurément la plus efficace, est le vote de la motion de censure. La motion de censure déposée par le groupe LIOT, motion de censure transpartisane, peut être votée par tous. Elle constitue non seulement l’expression d’un refus de facto du Parlement de voter la loi mais surtout une réaction salutaire d’une institution majeure de la République qui ne peut pas admettre les coups de force successifs, même s’ils trouvent une source dans la Constitution. Du reste, la constitution prévoit le vote de la motion de censure, laquelle est la juste contrepartie du pouvoir donné au gouvernement de passer par l’article 49-3. Alors que selon certains sondages (Louis Harris) attestent que 82 % des Français, dont 27 % des Français indiquant voter pour le parti Renaissance, sont favorables au vote de cette motion de censure, il n’est en rien déraisonnable que leurs représentants – même si le vote impératif est nul aux termes de la Constitution - expriment au-delà de l’opposition à la loi leur volonté de défendre leur institution. Ce faisant, ils justifieraient l’intérêt que peut avoir un citoyen d’aller aux urnes car, dans le cas contraire, l’abstention déjà considérable ne pourrait que s’accroître. De plus, le risque politique lié à la communication du RN qui se présente comme le défenseur du peuple contre cette réforme est immense et chacun doit bien mesurer sa responsabilité à cet égard. Si lundi la motion de censure est votée, les manifestations et grèves n’ont évidemment plus lieu d’être. La dissolution n’est en rien inéluctable et rien n’interdit un nouveau gouvernement de reprendre le sujet dans un esprit de concertation, en particulier avec les syndicats, qui a manifestement manqué.

La seconde solution est celle d’une censure éventuelle par le Conseil constitutionnel. Celui-ci pourrait trouver dans la procédure suivie et en particulier le recours à la procédure spécifique prévue pour une loi de financement de la sécurité sociale, un motif d’invalidité sans avoir à se prononcer sur le fond de la loi. Dans ce cas, la loi ne serait pas validée et le gouvernement pourrait éventuellement reprendre différemment sa copie. Cette seconde solution, encore plus pénalisante pour le président la République, aurait également pour désavantage d’ouvrir, durant toute la période précédant la décision du Conseil, une grande période d’instabilité, de désordres à un moment particulièrement mal choisi en raison du contexte international, de la crise financière et du contexte économique particulièrement difficile. Ce désordre aurait des conséquences sur la vie économique et sociale extrêmement lourdes.

Pour toutes ces raisons, il est éminemment souhaitable que la motion de censure soit votée, que l’ordre revienne et que soit ainsi apportée la preuve de la capacité des institutions de la Ve République à fonctionner. Cela pour restaurer le lien légitimité et légalité et donner à la représentation nationale toute la valeur et le rôle qui doit être les siens.

Par Corinne Lepage

Docteur en droit Public, Avocate, Ancienne Ministre

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