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Le tragique bilan terroriste d’octobre commence à lever le voile sur l’ampleur de la faillite de la politique migratoire de l’État
©Bernard BARRON / AFP

Point flux

La succession d’attentats commis par des ressortissants étrangers vient soumettre la politique migratoire de l’État à une lumière particulièrement crue et aveuglante. Pour tenter de la voiler, le Ministre de l’Intérieur a multiplié les instructions aux préfets, révélant ainsi, involontairement, l’ampleur de cette faillite.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Peu de commentateurs se sont étonnés de la circulaire de fin septembre, donnant instruction aux préfets de se mobiliser pour reconduire à la frontière les étrangers en situation irrégulière fauteurs de troubles à l’ordre public. Il est pourtant surprenant que le Ministre de l’Intérieur, dans un pays frappé depuis plusieurs années par une menace terroriste très élevée, se croit obligé de rappeler un telle évidence aux grands commis de l’État. Cette circulaire signe en réalité un double aveu.

D’abord, elle souligne que l’État se trouve aujourd’hui dans l’incapacité d’éloigner la plupart des étrangers en situation irrégulière et constituant pourtant une menace pour l’ordre public. Ensuite, cette circulaire est intéressante pour ce qu’elle révèle en creux, à savoir l’inaction quasi assumée de l’État à l’égard des autres étrangers en situation irrégulière, ceux qui n’ont pas été condamnés pour des actes délictuels. L’État n’arrivant pas même à s’occuper des premiers, il est somme toute logique qu’il se désintéresse des seconds...

Suite à l’attentat abject dont a été victime Samuel Paty, un cran supplémentaire a été décidé par Gérald Darmanin, qui a donné injonction aux préfets « d’expulser les étrangers expulsables », forgeant ainsi une nouvelle formule représentative de l’impuissance de l’État en la matière, puisque par définition elle écarte tous les étrangers constituant une menace pour l’ordre public mais ne pouvant pas être expulsés, compte tenu de leur ancienneté en France, de leur lien avec des ressortissants français...

Dans la foulée, les préfets ont été sommés de placer en centre de rétention administrative les étrangers fichés comme radicalisés, en particulier ceux de nationalités signalées, les Tchétchènes du fait de l’attentat de Conflans Sainte-Honorine, les Turcs compte tenu des tensions avec Erdogan, nécessitant de « faire de la place » en relâchant d’autres étrangers placés en rétention mais ne présentant pas, dans l’immédiat, la même dangerosité. Ce qui ne pouvait évidemment pas nous prémunir contre un nouvel attentat, qui fut cette fois le fait d'un Tunisien à Nice.

Tout ceci porte la marque d’une réaction désordonnée inspirée par l’actualité. Cette faillite ne date bien évidemment pas du gouvernement en place et dépasse les raisons conjoncturelles liées à la situation sanitaire qui limite les possibilités de reconduite dans de nombreux pays. Les causes en sont à la fois juridiques et matérielles.

Sur le plan juridique, les faiblesses de l’État sont de mieux en mieux connues ; nul domaine n’est plus marqué par la tension entre démocratie et Etat de droit que celui de l’immigration. Depuis plusieurs décennies, les cours suprêmes, confortées par les négociations européennes, ont systématiquement privilégié la protection des droits individuels sur l’application du souhait majoritaire de voir s’appliquer une maîtrise des migrations notamment familiales et économiques, surtout celles qui conduisent à des faits de délinquance.

Il convient sans doute de faire une place à part en la matière à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, accordant à chacun « un droit à une vie familiale normale ». Cet article, sous l’impulsion des juges, est devenu le fondement de la régularisation de milliers d’étrangers non seulement en situation irrégulière mais souvent également auteurs de divers délits, sous prétexte d’avoir un parent sur le sol français ; tel étranger qui a un enfant en France, dont la garde est pourtant confiée à la mère séparée et quoique ledit père soit déjà souvent, par ailleurs, père de plusieurs autres enfants dans son pays d’origine, mais cela ne compte pas, bien-sûr. Tel autre étranger a un frère, une mère, en France… Cette vision généreuse de la famille suffit à rendre inopérant toute tentative de reconduite à la frontière d’étrangers manifestement non intégrés, auteurs de délits à répétition, défiant les lois de la République comme les forces de l’ordre, mais n’ayant apparemment pas suffisamment de famille au pays pour s’y sentir bien et pouvoir y être reconduits.

Est-il admissible que des étrangers en situation irrégulière depuis plusieurs années dans notre pays, ayant pu faire valoir leurs droits devant les tribunaux, et s’étant vus opposés une obligation de quitter le territoire, se voient néanmoins délivrer, quelques années plus tard, un titre de séjour ? Tous les jours, les préfets signent ce type de régularisations, alors même que ces parcours sont trop souvent agrémentés de faits délictuels plus ou moins graves et anciens. Sur le fondement de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, l’autorité administrative se voit contrainte de délivrer un titre faute d'éléments suffisamment lourds pour justifier une expulsion pour menace de troubles à l’ordre public.

Sans aller jusqu’à la régularisation, qui nécessite un temps de présence de plusieurs années sur le territoire, dans de nombreux autres cas de figure les étrangers en situation irrégulière peuvent se maintenir en France en s’abritant derrière notre droit qui a rendu notre système totalement impuissant. Depuis 2016, avec la directive européenne mal nommée « retour », bien souvent un étranger contrôlé dans la rue, non pas par hasard mais pour un motif autre que sa nationalité, souvent du fait d’un délit tel qu’un vol, une conduite sans permis, des faits de violence… ne sera pas placé en centre de rétention administrative, mais seulement « assigné à résidence », c’est-à-dire laissé libre tout en ayant l’obligation de pointer au commissariat. Ce principe de non-enfermement rend pour le moins aléatoire la possibilité de retrouver ensuite la personne pour la reconduire effectivement dans son pays. Du moins jusqu’à une prochaine interpellation, qui pourra, cette fois, se traduire par un placement en rétention, mais bien souvent susceptible d’être cassé par le juge des libertés et de la détention, du fait d’une coquille procédurale ou de l’absence de « perspective rapide d’éloignement », notamment si l’autorité administrative a du mal à établir la véritable identité de la personne ou ne parvient pas à obtenir les laisser-passer consulaires du pays d’origine, ce qui est fréquent pour un certain nombre de pays. Il est aussi possible qu’entre les deux interpellations un temps suffisant ce soit passé pour que la personne puisse solliciter une régularisation.

On insiste beaucoup sur les contraintes du droit, qui sont réelles et croissantes depuis plusieurs décennies, rendant l’action des forces de l’ordre et des services de préfecture de plus en plus difficile, lente et coûteuse. Mais on s’intéresse sans doute insuffisamment aux contraintes matérielles, qui sont tout aussi prégnantes aujourd’hui : le faible nombre de place en centre de rétention administrative oblige l’ensemble de la chaîne d’application des lois en matière d’immigration irrégulière à faire des choix permanents sur les personnes à placer en retenue, un sur dix environ pouvant y être admis.

Chaque semaine, même lorsque les conditions strictes d’un placement en centre de rétention sont réunies, des étrangers auteurs d’infractions, déjà titulaires d’une obligation de quitter le territoire et d’une interdiction de retour en France, sont seulement assignés à résidence faute de place en rétention. Priorité étant donnée aux étrangers en situation irrégulière sortant de prison notamment. Pour pallier le manque de place localement, il n’est pas rare qu’une préfecture ordonne à la police de conduire sous escorte à l’autre bout de la France un étranger en situation irrégulière, pour bénéficier ainsi d’un placement en rétention, tant la denrée est rare.

Devant la succession d’attentats terroristes commis par des étrangers, devant les faits de délinquance imputables à des étrangers, devant aussi la remise en cause, par certains étrangers et certaines communautés, des principes et fondements de la République et de la France, l’opinion publique et la classe politique elle-même sont à un point de bascule. Le gouvernement donne, de plus en plus, le sentiment de vouloir s’emparer à la racine de ces problèmes, en agissant de manière plus énergique que d’ordinaire sur le plan diplomatique, ce qui est incontestablement positif. Avec une mobilisation inédite au plus haut niveau de l’État, on va, peut-être, parvenir à faire à peu près le minimum, c’est-à-dire reconduire ou expulser une partie des étrangers dangereux présents en France. Reste tous les autres, qui, il faut le rappeler, n'en déplaise aux défenseurs des migrants, sont, au regard du droit voté par la représentation nationale, en situation irrégulière. Si beaucoup réclament, souvent à juste titre, de desserrer le corset juridique, notamment international, dans lequel nous nous sommes inconsidérément placés, l'application des simples textes existants, en y consacrant les moyens matériels nécessaires, est une première étape essentielle que les Pouvoirs publics peuvent mettre en oeuvre dès maintenant.

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