Le rêve américain, ou la lente agonie d'un mythe<!-- --> | Atlantico.fr
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Le rêve américain serait-il obsolète ?
Le rêve américain serait-il obsolète ?
©Reuters

I have a dream...

Obsolète le rêve américain ? La promesse qu'un homme de rien puisse nourrir les espoirs de fortune les plus fous n'est-il plus qu'une chimère ? Christophe Deroubaix explique que c'est le constat presque déshonorant qu'est en train de faire la première économie mondiale. Extrait de "Dictionnaire presque optimiste des Etats-Unis" (2/2).

Christophe Deroubaix

Christophe Deroubaix

Christophe Deroubaix est journaliste à L'Humanité depuis 1993. Il a été lauréat d'une bourse de la Fondation Franco-Américaine et de l'Agence France-Presse en 1996 qui lui a permis de travailler pendant deux mois au Saint-Louis Post-Dispatch. Depuis, il suit l'actualité américaine et a séjourné aux Etats-Unis à de nombreuses reprises.

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La Gloire et la fortune, Un simple petit Irlandais, Le Petit Télégraphiste, Célébrité et Fortune : l’ascension de Richard Hunter, etc. : cent dix-neuf livres, au total, pour raconter la même histoire du self-made man à qui la société américaine offre la possibilité de grimper, à force de travail et de mérite, les barreaux de l’échelle sociale. Horatio Alger (1832 - 1899) est une figure particulière du roman national américain. Il est le premier à avoir donné des lettres à la religion civile du pays : la foi dans le rêve américain. Si Cosette était née sous la plume d’Horatio Alger, elle aurait fini par épouser un capitaine de l’industrie naissante et croiserait de temps en temps, dans les jardins du Luxembourg, les Thénardier, devenus d’honorables restaurateurs dans les beaux quartiers.

A la fin des années 60, l’écrivain et militant noir, Amiri Baraka, alias Le Roi Jones, avait déjà proclamé, au regard de la situation de la communauté africaine-américaine, « la mort d’Horatio Alger » mais, cette fois-ci, le patient semble bel et bien mort pour tout le monde.

Le 12 janvier 2012, l’avis de décès a été très officiellement dressé par Alan Krueger, le président du Conseil des conseillers économiques, chargé, comme sa dénomination l’indique, de conseiller le président des Etats-Unis en matière de politique économique. Il a présenté un graphique, astucieusement baptisé « La courbe de Gatsby le Magnifique », du nom du roman qui dépeint la bourgeoisie oisive et vaniteuse des années 20. Quand Francis Scott Fitzgerald a raison contre Horatio Alger, c’est que le pays va mal.

Alan Kruger dans le texte : « Si nous avions un haut degrés de mobilité sociale, nous serions moins inquiets du degrés d’inégalités de revenus. Mais, alors que les inégalités progressent, l’évidence montre que, d’année en année, et de génération en génération, la mobilité décroît. » Il a également ajouté que la situation allait encore s’empirer durant les vingt-cinq prochaines années, en conséquence de l’augmentation des inégalités constatées ces vingt-cinq dernières années…

Dans une longue enquête, John de Parle, journaliste au New York Times, a autopsié le cadavre : « Au moins cinq grandes études ont montré ces dernières années que les Etats-Unis avaient moins de mobilité sociale que des nations comparables. Un projet mené par Markus Jantti, un économiste d’une université suédoise, a montré que 42 % des hommes américains élevés dans les 20 % du bas de l’échelle des revenus, le restent quand ils deviennent adultes. Cela montre un niveau d’inconvénient persistant plus élevé qu’au Danemark (25 %) et qu’en Grande-Bretagne (30 %), un pays connu pour ses contraintes de classe. Pendant ce temps-là, seulement 8 % des hommes américains du bas de l’échelle ont atteint le haut de l’échelle. A comparer aux 12 % en Grande-Bretagne et 14 % au Danemark. En dépit des références fréquentes aux Etats-Unis comme une société sans classe, environ 62 % des Américains (hommes et femmes) élevés dans les 20 % les plus riches restent dans les 40 % du haut. De même, 65 % nés dans le cinquième du bas restent dans les deux cinquièmes du bas […]. L’évidence suggère que l’Amérique est non seulement moins égalitaire, mais également moins mobile. »

Quant à « l’Amérique moyenne » – celle qui se situe entre les deux cinquièmes du haut et les deux cinquièmes du bas – elle affiche plus de mobilité, rapporte le journaliste. Mais dans quel sens ? 36 % montent, 41 % descendent...

En résumé, les inégalités sont un phénomène que l’opinion publique pourrait éventuellement accepter, contrairement à l’idée que ces inégalités se trouvent comme données en héritage de génération en génération. Tout le monde doit se rendre à l’évidence, même les républicains qui, en bons gardiens du Temple, considèrent le « rêve américain » aussi indiscutable que les Evangiles.

Les Etats-Unis ont aimé à se penser sans classes et ils découvrent qu’ils sont une société de classes avec des relents de société de castes. Réveil douloureux.

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Extrait de Dictionnaire presque optimiste des Etats-Unis, Ed. Michel de Maule, octobre 2012

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