Le ralentissement allemand peut-il être une bonne nouvelle pour l'Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
L'activité du secteur privé en Allemagne connaît une forte baisse.
L'activité du secteur privé en Allemagne connaît une forte baisse.
©Reuters

Locomotive en panne

Les résultats préliminaires des enquêtes de l'institut Markit auprès des directeurs d'achat montrent une forte baisse de l'activité du secteur privé en Allemagne. Ce ralentissement peut-il avoir des conséquences sur l'Europe ?

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

Voir la bio »

Atlantico : Les résultats préliminaires des enquêtes de l'institut Markit auprès des directeurs d'achat montrent une forte baisse de l'activité du secteur privé en Allemagne. L'indice PMI composite a reculé à 48,8 sous les 50 pour la première fois depuis novembre. Ce ralentissement Allemand peut-il avoir des conséquences sur l’Europe ?

Pascal Ordonneau : A cette série d’informations, deux réactions possibles de nature exactement opposée. La première, un "ouf" de soulagement, la seconde "un cri devant le gouffre grand ouvert" !

Le ralentissement allemand était attendu par toutes les personnes ayant tant soit peu du bon sens et surtout une vision rationnelle du fonctionnement des économies. Avant même de se demander s’il va y avoir des conséquences en Europe, il faut simplement relever que ce ralentissement est lui-même une conséquence sur l’Allemagne des politiques d’austérité qu’elle a encouragées, défendues et prônées, fustigeant les sudistes cigales et mettant au pinacle les nordistes fourmis.

Le ralentissement, voire la récession qui s’installent depuis un peu plus d’un an dans tous les pays européens ne pouvait pas ne pas avoir de conséquence sur l’Allemagne. Celle-ci exporte massivement sur les pays de l’Union. 80% de son excédent commercial en vient. Les exportations allemandes sont largement composées de voitures et de biens d’équipement. Comment imaginer une progression des exportations sur les marchés européen quand les particuliers se serrent la ceinture et les entreprises n’investissent plus !

Bien sûr, à son tour l’Allemagne va nourrir la décroissance : moins de voitures produites, ce sont moins de pneus, moins d’équipements électriques, électroniques, moins de sièges etc. Toutes activités concernant des entreprises françaises. Pour ne penser qu’à celles-là !

Cette dégradation porte-t-elle le risque d'une accélération de baisse d'activité dans la zone euro ?

Le paradoxe de cette situation est que sur le plan purement immédiat, l’impact du ralentissement de l’Allemagne sur la zone euro et sur les pays de l’Union ne devrait pas être très fort.Si l’industrie Allemande annonce souffrir, le plein emploi qui règne en Allemagne protégera pendant quelques temps la consommation et, par conséquent, une part importante des importations. Dans un premier temps, c’est le niveau de la balance commerciale allemande qui va être impacté. C’est important puisque en théorie économique, l’excédent du commerce extérieur est considéré comme un des accélérateurs de la croissance d’un pays. Pour autant, malgré la chute prévisible de la production industrielle, l’excédent commercial devrait se maintenir à un haut niveau.

L’impact d’un ralentissement de croissance allemande et pourquoi pas d’une régression économique est, en revanche, beaucoup plus grave et insidieux dans le moyen terme. L’Allemagne était le seul pays "significatif" d’Europe à ne pas afficher ni une régression du PIB, ni un déficit budgétaire lourd. Elle pouvait passer pour la locomotive, roulant à petite vitesse certes, mais capable en repartant d’entraîner tout le monde.

Aujourd’hui, le risque est que le mécanisme de diffusion de la récession n’a plus d’obstacle en Europe : l’économie européenne se trouve engagée dans une "dynamique" déflationniste et récessive d’autant plus difficile à retourner que le pays d’Europe le plus solide vient d’y verser.

Si on peut évidemment déplorer pour l’Europe le fait que sa locomotive économique ralentisse, n’est-ce pas aussi la seule façon de convaincre l’Allemagne d’adopter une attitude plus flexible par rapport à la rigueur et à la relance de la croissance ?

Pour que la spirale déflationniste devienne un souci majeur des Allemands, il faudra que la théorie de la "bonne ménagère", incarnée par la Chancelière Angela Merkel, se trouve confrontée à des défis sociaux et économiques violents et que les derniers relents d’un libéralisme économique à courte vue soient dissipés.

Le redressement économique allemand, attribué aux initiatives du Chancelier Schroeder a reposé sur un principe et une méthode. Le principe : c’est celui de la ménagère qui ne dépense pas plus qu’elle n’a en poche et qui, si elle veut accroître son niveau de vie, doit être capable de vendre des produits plus intelligents et moins chers à tous ceux qui n’ont pas le même esprit. La méthode : pratiquer une dévaluation continue sans toucher au taux de change, ce qu’aucun économiste n’a décrit ni en théorie, ni en analyse de politique économique. La dite dévaluation n’a été ni plus ni moins qu’une "sagesse salariale" consentie, contrastant totalement avec les pratiques des pays voisins. Pour cette "dévaluation" d’un nouveau genre, il fallait un consensus dont on a pu voir la puissance depuis 2009.

Angela Merkel a été portée par ce consensus social, psychologique et national où les Allemands réunis se sont découverts champions du monde industriel, champions du monde économique européen, supports incontournables de l’euro. Angela Merkel doit sa popularité au fait qu’elle a incarné absolument ce consensus. Il est douteux, tant qu’il demeurera ancré, que la Chancelière se sente invitée à la flexibilité. Elle aura raison, aux yeux de ces concitoyens et en vertu de ce consensus qui les lie, de ne pas se laisser influencer par les états d’âmes des industriels et de renvoyer les mauvais indices à leurs responsables, les entreprises. Elle aura raison de ne pas céder à tous les Grecs, les Chypriotes et autres irresponsables prodigues que l’Europe a trop longtemps toléré en son sein.

Le rapport de force politique peut-il évoluer ? Angela Merkel va-t-elle davantage tenir compte de la position de la France et des pays du Sud ?

Comment peut-on dire une chose et son contraire ? C’est précisément le dilemme de la Chancelière. Peut-elle incarner le "nein" à la facilité budgétaire, peut-elle à l’encontre de la plupart des pays européens et du second d’entre eux, la France, dire "nein" au salaire minimum interprofessionnel, peut-elle enfin proposer aux Allemands des relances au risque de l’inflation quand cette dernière demeure diabolisée à leurs yeux, peut-elle, elle, Démocrate-Chrétienne, faire un pas idéologique en direction du président français, socialiste, peut-elle prendre des risques politiques forts alors que les élections au Bundestag se dérouleront en septembre ? On peut en douter.

Angela Merkel est maintenant à la tête du plus puissant pays d’Europe. Elle tire le bénéfice politique de cette force. L’Allemagne est aujourd’hui "vraiment" réunifiée après plus de vingt années d’efforts, de privation et d’investissements. L’Allemagne vient d’achever un parcours moral essentiel qui l’a conduite du statut de nation déchue à celui de puissance reconnue. Pourquoi Angela Merkel irait-elle jeter aux orties l’orgueil que les Allemands peuvent à bon droit revendiquer ?

Cette nouvelle donne peut-elle contribuer à homogénéiser la zone euro, sur le plan économique notamment ?

Il serait erroné d’attendre de la baisse de l’activité industrielle allemande, un choc qui pousserait l’Allemagne à revoir sa vision de l’Europe.

Homogénéiser l’Europe, c’est-à-dire l’Union européenne et plus encore la zone euro supposerait que les pays européens aient accepté d’évoluer vers un fédéralisme égalitaire. C’est fondamentalement faire de la politique que d’envisager des abandons de souveraineté de la part des membres de l’UE et de la zone euro.

Si on devait rêver l’Europe "homogène", faudrait-il considérer que tout industriel désirant investir doit préalablement répondre aux exigences de politique industrielle et d’aménagement du territoire qu’une instance fédérale européenne aurait définies ?
Faudrait-il considérer qu’avant tout recours à une immigration hors Europe, les disponibilités en ressources humaines dans les pays européens aient été évaluées et mobilisées ?

Faudrait-il poser que, comme il en a été pour l’Irlande pendant de nombreuses années, les pays les plus riches doivent "payer" pour aider les plus pauvres ou les moins bien dotés à s’équiper, à se former et à investir en industrie, technologique, sciences etc.
Pour le moment, il faut bien admettre qu’on en est loin et qu’il faut revenir aux réactions du début. Il est certain que le "ouf !" de soulagement ne serait qu’une réaction inepte, même si les pays qui le pousseraient seraient en droit de dire qu’après des mois de volées de bois vert reçues du bon élève allemand, il est reposant de se dire qu’il fait lui aussi grise mine. Il est certain que le cri d’horreur devant l’abîme serait salutaire. Car, la spirale récessionniste s’inscrit de moins en moins comme un risque et prend de plus en plus les allures de la réalité.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !