Le Qatar sur le banc des accusés : ce qu’on peut vraiment reprocher à l’émirat<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Qatar (ici, Doha) est accusé de financer "l'islamisme qui tue".
Le Qatar (ici, Doha) est accusé de financer "l'islamisme qui tue".
©Lazy Sam

Vous avez dit diffamation ?

Suite aux propos de Floriant Philippot sur le Qatar qui selon lui "finance l'islamisme qui tue", la monarchie du Golfe a déposé une plainte pour diffamation. Une affirmation de la part du député européen qui n'est pourtant pas dénuée de fondements.

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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A propos de l'accusation pour financement du djihadisme

Roland Lombardi : Les liens du Qatar avec d’autres mouvements dangereux pour le Moyen-Orient sont de notoriété publique. Ainsi, les relations du Qatar avec le Hamas s’inscrivent parfaitement dans la politique étrangère de l’émirat depuis quelques années…

En juin 2013, les Talibans n’ont-ils pas été autorisés à ouvrir un bureau diplomatique à Doha ?

Le rôle du Qatar semble aussi important en Afrique du Nord. Ainsi, la presse française et certains spécialistes ont révélé que le Qatar apportait un soutien financier à des éléments djihadistes dans le Nord du Mali mais aussi à certaines tribus séparatistes touaregs. Les services spéciaux français mais aussi algériens ont alerté les autorités françaises sur un probable financement d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) par Doha. D’ailleurs, avant l’intervention de l’armée française au Mali, rappelons que la seule organisation humanitaire autorisée dans le nord du pays était le Croissant-Rouge du Qatar…

En Libye aussi le Qatar est soupçonné d’entretenir des liens très étroits avec des groupes islamistes depuis la chute de Kadhafi, comme s’en était alarmé le Premier ministre libyen de transition, Mahmoud Jibril…

Quant à la Syrie et l’Irak, ce sont peut-être les zones où le Qatar a été le plus actif ces dernières années. En effet, depuis le début de la guerre civile en Syrie, le Qatar, dans sa véritable lutte d’influence avec l’Arabie Saoudite, a mis toute son énergie pour dominer l’opposition syrienne. C’est pourquoi, jusqu’à la scission d’avril 2013, le Qatar a soutenu le Front Al-Nosra. Cette organisation, qui rappelons-le, est affiliée à Al-Qaïda et inscrite pourtant sur la liste noire des terroristes de Washington ! Après le printemps 2013, lorsqu’Al-Nosra s’est donc séparé de l’Etat islamique (EI) dirigé par al-Baghdadi, Doha s’est alors tourné vers l’EI à l’inverse de Riyad qui poursuit son financement d’Al-Nosra… Toutefois, le Qatar peut encore être amené à soutenir des milices se revendiquant d’Al-Nosra pour des intérêts ponctuels…

Enfin, le Qatar reste le plus grand bailleur de fonds des Frères musulmans au Moyen-Orient et en Europe. Mais les Frères musulmans peuvent-ils être considérés comme des terroristes ? En tout cas, ils le sont officiellement pour l’Arabie Saoudite, la Russie et le président égyptien Al-Sissi.

Haoues Seniguer : Sur la question du djihadisme, il est indispensable d’être prudent et mesuré dans le type de réponse avancé, en raison de la gravité d’une telle accusation ou de cette mise en cause. Néanmoins, un faisceau concordant de présomptions fortes nous autorise pleinement à formuler l’hypothèse probable d’une implication du Qatar dans un tel financement ou accompagnement logistique et idéologique d’activistes violents agissant au nom de l’islam, que ce soit au nord Mali ou dans des pays d’un Moyen-Orient en crise avancée ; à la condition toutefois d’apporter une précision méthodologique cruciale et deux informations complémentaires. D’une part, dans un régime patrimonial ou néo-patrimonial à l’instar de l’émirat, il n’existe pas, censément, de séparation hermétique entre les domaines public et privé, entre la politique "tribale" ou familiale et la politique officielle ; en d’autres termes, une richissime famille finançant le djihadisme évoluerait nécessairement, à un niveau ou à un autre, autour des cercles dirigeants sans en être elle-même forcément partie prenante ; d’autre part, le Qatar, très conservateur au plan intérieur, emploie depuis le début des années 1960 le théologien Yûsuf al-Qaradhâwî, imam à la mosquée Omar Ibn al-Khattab de Doha, lequel est connu non seulement pour ses appels au djihad répétés en Libye, en 2011, ou en Syrie à compter de 2013, mais également pour ses saillies anti-chiites et antisémites réitérées. Si réellement le Qatar était contre la violence perpétrée au nom de l’islam, il n’aurait pas tardé à limoger Y. al-Qaradhâwî… Enfin, rappelons que le Trésor américain, en septembre 2014, a produit un document mettant en cause peu ou prou l’appareil étatique qatari pour le financement d’organisations telles que al-Qaïda ou même l’État islamique. Ce n’est pas parce que la diplomatie qatarienne dément, ou a, réellement ou non, changé de politique étrangère depuis lors, que ses membres n’auraient jamais financé, de près ou de loin, de tels groupes violents ! L’émirat n’est pas prêt de sortir de l’ambiguïté de si tôt, car il veut être l’ami/allié de tout le monde, y compris en courant le risque d’être en permanence écartelé : satisfaire les grands de ce monde, d’un côté, satisfaire sa clientèle musulmane conservatrice, de l’autre.

A propos de la lutte contre l'homophobie 

Haoues Seniguer : Le Qatar concurrence l’Arabie saoudite en cherchant à s’imposer dans le cœur des musulmans, notamment religieux, et des Occidentaux, en s’affichant à la fois comme scrupuleusement attaché à un islam pratiqué intérieurement et extérieurement, et en même temps comme ouvert sur la modernité et l’apport des cultures étrangères, à la condition que celles-ci ne froissent jamais ses propres représentations de l’islam. Autrement dit, l’homophobie serait beaucoup plus la règle et sa dénonciation l’exception. Inutile de dire qu’il est rigoureusement impossible de déclarer publiquement son homosexualité dans un tel pays, comme beaucoup d’autres pays majoritairement musulmans du reste ou non (à l’image de la Russie de Poutine), sans risquer de perdre la vie ou être sévèrement condamné par les tribunaux.

A propos des droits des femmes

Haoues Seniguer : Le Qatar, parce que, par exemple, il autorise les femmes à conduire contrairement à l’Arabie saoudite, est présenté, notamment par ses thuriféraires, comme plus ouvert sur la féminité et l’autonomie des femmes que son voisin. Il est difficile de faire plus rigoriste que l’Arabie en la matière : "Quand on se considère, on s’inquiète, quand on se compare, on se rassure", comme le dit très bien l’adage…

Un autre pays qui pourrait inspirer le député européen : la Russie

Haoues Seniguer : La focalisation, parfois exacerbée, sur le Qatar peut avoir de bonnes et de mauvaises raisons : parmi les bonnes raisons, le quasi esclavagisme institutionnalisé de la main d’œuvre immigrée ; la promotion d’un islam replié sur lui-même, exclusiviste et violemment prosélyte ; parmi les mauvaises raisons, une haine à l'égard des musulmans qui n’ose peut-être pas dire son nom ; l’omission aussi qu’il existe d’autres pays, en dehors du Qatar, comme la Russie que semble porter en estime le Front national, qui sont loin d’être des parangons de démocratie libérale ! Tout est question de mesure et d’honnêteté intellectuelle dans les critiques formulées. Rien de plus, rien de moins. 

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